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Employeurs, connaissez-vous vos obligations envers un employé devant s’occuper d’un parent handicapé ou gravement malade?

Au Québec, la Loi sur les normes du travail (la « LNT ») et la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte ») sont les principales sources génératrices d’obligations incombant à l’employeur envers un employé qui doit s’absenter afin de s’occuper d’un membre de sa famille atteint d’un handicap.

9 décembre 2015
Frédéric Henry, CRHA

La LNT

a) Absence pour remplir des obligations familiales
L’article 79.7 de la LNT prévoit qu’un employé peut s’absenter du travail, sans salaire, pendant dix (10) journées par année pour remplir des obligations reliées à la garde, à la santé ou à l’éducation de son enfant ou de l’enfant de son conjoint, ou en raison de l’état de santé de son conjoint, de son père, de sa mère, d’un frère, d’une sœur ou de l’un de ses grands-parents. Afin de bénéficier d’un tel congé, l’employé doit aviser l’employeur de son absence le plus tôt possible et prendre les moyens raisonnables à sa disposition pour limiter son congé et sa durée.

Pendant de telles absences, l’emploi de l’employé est protégé et, s’il fait l’objet d’une sanction, dans une période concomitante à l’exercice du droit de s’absenter pour remplir des obligations familiales, il y aura présomption en sa faveur que la sanction lui a été imposée à cause de l’exercice de ce droit. Ces principes ont été rappelés récemment par la Commission des relations du travail (la « CRT ») qui a annulé le congédiement d’une employée qui avait établi que son congédiement était survenu par suite d’une absence du travail pour prendre soin de sa fille handicapée[1].

Dans cette affaire, l’employée en question était mère monoparentale et devait s’occuper de sa fille de 13 ans atteinte d’un handicap qui requérait des soins particuliers. Au cours d’une nuit de semaine, celle-ci tomba malade. L’employée tenta alors de joindre les membres de sa famille afin de trouver une personne en mesure de prendre soin de l’adolescente afin de lui permettre de rentrer travailler le lendemain. Aucun d’eux n’étant disponible, l’employée communiqua alors avec ses collègues afin de se faire remplacer, mais sans succès. L’employée avisa donc son employeur de son impossibilité de se présenter au travail le lendemain, ainsi que des démarches accomplies pour essayer de résoudre la situation. Son employeur ne voulant rien entendre lui demanda de se présenter au travail comme prévu, à défaut de quoi elle serait congédiée. Il lui rappela la règle de l’entreprise selon laquelle l’employé qui doit s’absenter est responsable de se trouver un remplaçant. L’employée s’absenta tout de même, ce qui entraîna son congédiement par l’employeur.

La CRT accueillit la plainte pour pratique interdite déposée par l’employée, car celle-ci s’était absentée pour remplir des obligations familiales, soit pour prendre soin de sa fille, et qu’elle avait avisé son employeur et tenté d’assumer autrement ses obligations. L’article 79.7 LNT s’appliquait donc à son cas.

Plus récemment, dans le cadre d’un arbitrage de grief[2], le tribunal d’arbitrage a annulé des suspensions de trois (3) et de dix (10) jours imposées à un employé qui présentait un taux d’absentéisme excessif et a remplacé le congédiement de ce dernier par un avis écrit. L’employé s’était entre autres absenté pour prendre soin de sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer. Le tribunal d’arbitrage nota que lorsqu’une personne doit s’occuper d’un parent malade, il n’est pas toujours facile d’aviser l’employeur au préalable. Dans le cas de l’employé, la maladie de sa mère s’était d’abord manifestée par des problèmes de démence et des crises de panique impromptues et répétées. Par ailleurs, le tribunal d’arbitrage ne retint pas le reproche de l’employeur à l’égard de l’employé pour avoir fait défaut de remettre des documents justificatifs pour ses absences liées au soin de sa mère malade. Le tribunal d’arbitrage considéra que fournir un document justificatif peut s’avérer difficile lorsqu’un employé doit s’occuper de sa mère à son domicile. De plus, en l’espèce, l’employeur n’avait jamais contesté le fait que l’employé devait s’occuper de sa mère. Enfin, le tribunal d’arbitrage constata qu’au cours des derniers mois, l’employé avait réussi à obtenir plus de ressources pour l’aider à s’occuper de sa mère et que ses absences avaient diminué. Ainsi, le tribunal d’arbitrage conclut que l’employé pouvait bénéficier du droit de s’absenter du travail prévu à l’article 79.7 LNT.

b) Absence en raison de la maladie grave d’un proche
L’article 79.8 LNT prévoit qu’un employé qui justifie d’au moins trois (3) mois de service peut s’absenter du travail pendant une période d’au plus douze (12) semaines sur une période de douze (12) mois lorsque sa présence est requise auprès de son enfant, de son conjoint, de l’enfant de son conjoint, de son père, de sa mère, du conjoint de son père ou de sa mère, d’un frère, d’une sœur ou de l’un de ses grands-parents en raison d’une grave maladie ou d’un grave accident.

De plus, le deuxième alinéa de l’article 79.8 LNT prévoit qu’un employé a droit à une prolongation de son absence allant jusqu’à cent quatre (104) semaines lorsque son enfant mineur est atteint d’une maladie grave potentiellement mortelle[3].

La LNT ne définit pas les notions de « maladie grave » et de « maladie grave potentiellement mortelle ». La jurisprudence a reconnu qu’en utilisant deux termes différents, le législateur a clairement voulu faire une distinction quant au degré de gravité visé entre le premier alinéa et le deuxième alinéa de l’article 79.8 LNT[4]. À titre d’exemple, une hospitalisation de deux (2) semaines a déjà été considérée comme une maladie grave au sens du premier alinéa de l’article 79.8 LNT par la Commission des relations du travail[5].

La Charte

L’article 10 de la Charte prévoit que toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ni préférence fondée sur le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.

En décembre 2013, la Cour d’appel a rendu une décision par laquelle elle a confirmé que l’employeur était justifié de refuser la demande d’accommodement formulée par une employée en lien avec le handicap de son fils. Dans cette affaire[6], la mère d’un enfant handicapé s’était vu refuser l’accès à une titularisation dans une fonction supérieure sous prétexte qu’elle n’était pas disponible pour occuper la fonction pendant tous les quarts de travail requis (notamment lors des quarts de soir). L’employée alléguait que la décision de l’employeur était contraire à la Charte et qu’elle était victime de discrimination sur la base de l’état civil, du handicap de son fils et d’un moyen pour pallier le handicap de son fils.

Selon la Cour d’appel, aucun de ces motifs de discrimination ne trouvait application en l’espèce. D’abord, la parentalité n’est pas visée par l’état civil. De plus, la preuve démontrait que l’employée n’avait pas été exclue en raison du fait qu’elle est parente, mais bien en raison de sa non-disponibilité à occuper la fonction supérieure sur tous les quarts de travail. Enfin, la Cour d’appel conclut que la Charte ne permet pas à une personne d’invoquer pour elle-même le handicap d’une personne ou le fait d’être le moyen utilisé par cette autre personne pour pallier son handicap. Ainsi, l’employée ne pouvait pas invoquer ce motif pour exiger un accommodement sur le plan de son horaire de travail.

Il faut toutefois souligner que la Cour d’appel a rendu très récemment une décision qui contraste avec la décision précitée.

Dans l’arrêt Côté[7], la Cour d’appel conclut que les parents ont été victimes de discrimination prohibée par la Charte lorsqu’ils se sont vu refuser l’accès à un gîte en raison de la présence du chien d’assistance de leur fils handicapé dont ils avaient la garde alors que leur fils séjournait dans un centre pour enfants autistes. En effet, selon la Cour d’appel, compte tenu du contexte particulier dans lequel s’inscrit l’utilisation des chiens d’assistance et du fait que les parents étaient responsables de l’animal et du maintien de sa formation, ceux-ci avaient droit à la protection de la Charte contre la discrimination en raison du moyen qui pallie le handicap de leur fils.

Il sera intéressant de suivre le traitement de l’arrêt Côté par les tribunaux afin de voir si les principes établis par la Cour d’appel dans cette décision peuvent se transposer à d’autres mesures visant à pallier un handicap.

Source : VigieRT, décembre 2015.


1 Normandin c. 2849-0241 Québec inc., 2014 QCCRT 76.
2 Union des employées et employés de service, section locale 800 et Charl-Pol Saguenay inc., 2015 QCTA 827.
3 Les articles 79.9 et ss. de la LNT prévoient aussi le droit d’un employé de s’absenter si sa présence est requise auprès d’un parent qui a subi un préjudice corporel grave à l’occasion ou découlant d’un acte criminel.
4 Payen c. Centre d’hébergement de la Villa-les-Tilleuls inc., 2008 QCCRT 192.
5 Ibid.
6 Beauchesne c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301), 2013 QCCA 2069.
7 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Côté, 2015 QCCA 1544.

Frédéric Henry, CRHA