Le Gala 2014 de l’Association des femmes en finances du Québec avait pour thème l’entraide. Peu innocent pour une communauté de professionnels de la finance, ce choix remet à l’actualité l’importance de l’entraide au travail pour l’épanouissement et le succès professionnels.
Plusieurs études en effet démontrent l’importance de l’entraide pour la satisfaction et donc la performance au travail, dont celle de l’Organisation mondiale de la Santé portant sur l’organisation du travail et le stress, selon laquelle plus les travailleurs reçoivent de l’appui dans leur travail ou en liaison avec leur travail, moins ils sont exposés au stress.
Nous sommes à une époque où les programmes de mentorat, les groupes de collaboration et de codéveloppement ainsi que le travail d’équipe sont formellement à l’honneur dans beaucoup d’organisations. Pourtant, combien d’études font le constat d’une absence d’entraide et d’altruisme dans les entreprises. En effet, aucun programme ne peut remplacer ce qui est véritablement récompensé à titre de comportements, ou l’attitude et l’approche individuelle qu’une personne choisit dans ses rapports avec autrui. Offrir un support spontané, désintéressé et positif afin d’aider ses collaborateurs pour le succès et le bien-être collectif est de nos jours beaucoup moins présent. Olivier Schmouker vient d’ailleurs de publier un livre portant sur l’art oublié de travailler ensemble, qui rappelle les caractéristiques d’une véritable collaboration au travail et les coûts reliés à son absence.
Responsabilité organisationnelle?
Si les comportements d’entraide ne sont pas véritablement reconnus comme vecteurs de succès par l’entreprise, ils ne seront pas mis de l’avant. Dans un article intitulé L’employeur-providence, Rémi Tremblay donne en exemple son échange avec une classe de MBA où il parlait du bien commun et de l’importance de s’ouvrir à l’autre. Une jeune femme lui a fait remarquer qu’on lui enseignait l’inverse : être vu, être reconnu, marquer des points. Combien d’entreprises, tout en offrant un discours sur le partage, le travail en commun et l’entraide, récompensent en fait les résultats individuels et la compétitivité pour l’accession à des postes de plus hautes responsabilités? Il est donc peu surprenant que les individus détectent les véritables critères de succès valorisés et se rallient à une approche individualiste afin d’atteindre la réussite professionnelle.
Applications pratiques : comportements à privilégier par les gestionnaires et l’entreprise, appuyés par les professionnels RH
- D’entrée de jeu, adopter une ligne directrice cohérente concernant le système de valeurs prônées au sein de l’entreprise et la reconnaissance attribuée. Si la culture organisationnelle doit stimuler la compétition interne, prôner celle-ci avec honnêteté à titre de valeur d’entreprise. La cohérence entre ce qui est dit et ce qui est valorisé dans les faits diminue de façon significative le stress induit par des messages contradictoires. Cette cohérence permet aux individus de faire des choix éclairés sur l’environnement de travail qu’ils choisiront, ce qui favorise la rétention.
- Si l’entraide est une véritable valeur d’entreprise :
- définir clairement les comportements attendus à titre de signe d’entraide afin de dissiper toute méprise;
- élaborer un système d’évaluation de la performance et de la contribution des individus en lien avec la démonstration concrète de comportements d’entraide;
- mettre en place un système de reconnaissance, de rétribution et de rémunération en conséquence;
- préciser les comportements à bannir et exiger des mesures correctives sévères, pouvant mener à un départ, s’ils demeurent présents.
Responsabilité individuelle?
Mais l’organisation ne peut supporter seule la responsabilité pleine et entière de l’émission de comportements d’entraide. Tous les acteurs présents ont un pouvoir sur les valeurs véhiculées, sur les comportements à mettre de l’avant et sur la perspective à adopter quant au succès. Montesquieu écrivait : « Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous ». Si cette philosophie était comprise, plusieurs s’investiraient dans les gestes d’entraide.
Qu’est-ce qui rend l’entraide difficile au plan individuel? Il appert que le paradigme selon lequel une personne qui ne connaît pas le succès est du côté de l’échec et qu’elle l’est aussi si un autre connaît le succès, car celui-ci menace son propre succès, est peu porteur pour l’entraide. En fait, cette vision dichotomique de la réussite mène les personnes à ne chercher que le succès individuel. En effet, selon Carol Dweck, le succès individuel est intimement lié à l’estime de soi et à la valeur personnelle que l’on peut s’octroyer si l’on adopte une vision restrictive des choses. D’ailleurs, Carol Dweck et plus récemment John C. Maxwell ont publié des ouvrages portant sur les notions de succès et d’échec. Chacun à leur façon, démontrent les désavantages d’une telle vision binaire de la réussite pour le succès à long terme, tant individuel que collectif.
Plus on travaille avec un état d’esprit flexible quant à la définition du succès et de l’échec en examinant les échecs comme des occasions d’apprentissage, plus on connaîtra le succès. Plus on travaille avec un état d’esprit rigide quant à la définition du succès et de l’échec, plus on risque de connaître le véritable échec, le point de non-retour, la fixation sur des modes de fonctionnement qui mènent au cul-de-sac et surtout à un égocentrisme vain.
Conclusion
Perdre ou gagner, tel est le cadre de référence dans lequel évoluent souvent les organisations et les individus, ce qui rejoint les interprétations restrictives de la théorie darwiniste de l’évolution, concernant la survie du plus fort ou du mieux adapté. Pour le succès à long terme, une multitude de recherches démontrent que ce paradigme est faux. D’ailleurs, Darwin faisait énormément état de l’altruisme entre les espèces et même à l’intérieur d’une même espèce. En fait, la compétition aveugle pour le succès à court terme commence à faire voir ses limites, si l’on pense aux débâcles personnelles et organisationnelles des dernières années.
En 1902 déjà, Pierre Kropotkine, en réponse à Darwin, annonçait les bienfaits de l’entraide. Il écrit : « ...nous avons vu que la grande majorité des espèces trouvent dans l'association leurs meilleures armes dans la lutte pour la survie... Les espèces au sein desquelles la lutte individuelle a été réduite au minimum et où la pratique de l'aide mutuelle a atteint son plus grand développement sont invariablement plus nombreuses, plus prospères et plus ouvertes au progrès. Les espèces asociales, au contraire, sont condamnées à s'éteindre. »
Références
- Organisation du travail et stress - Série protection de la santé des travailleurs n° 3. Stavroula Leka , Amanda Griffith et Tom Cox. Organisation mondiale de la Santé 2004.
- « Quand on regarde les indemnisations versées par les compagnies d'assurances, c'est environ 50 % pour des problèmes de santé mentale. » — Dr Louis Patry, directeur du programme de surspécialité en médecine du travail, Université de Montréal, Ici Radio-Canada, 4 mai 2014.
- Olivier Schmouker. Le cheval et L’âne au bureau : L’art oublié de travailler ensemble, 2013, Les Éditions Transcontinental.
- Rémi Tremblay. « L’employeur-providence », Premium, Le meilleur de la planète en management, Mars-avril 2014.
- The High Risks of Short-Term Management new study looks at the risks for companies and investors who are attracted to short-term results. Research by Harvard Business School's Francois Brochet, Maria Loumioti, and George Serafeim.
- Montesquieu. Pensées diverses (1717-1755), extrait.
- Carol Dweck. Mindset The New Psychology of Success, Ballantine Books, 2006.
- John C. Maxwell, John Wooden. Sometimes You Win--Sometimes You Learn: Life's Greatest Lessons Are Gained from Our Losses, 2013.
- Pierre Kropotkine. L’Entraide, un facteur de l’évolution, Paris, Éditions du Sextant, 2010. Collection les Increvables.
À propos de l’auteure
Claire Landry, CRHA, psychologue organisationnelle et coach certifiée, est présidente de Landry Groupe Conseil. Elle offre des services de coaching de gestion, de carrière et d’évaluation des compétences. On peut la joindre par téléphone [514 448-5532] ou par courriel [clandry@landryconseil.com].