L'avènement de l'IA, en particulier l'IA générative, bouleverse de manière disruptive la fonction RH dans l'organisation. Elle remet crucialement en question le rôle, mais également le statut des gestionnaires des ressources humaines (RH) dans l'organisation.
Définir l’intelligence artificielle
L'intelligence artificielle (IA) est « conçue comme des systèmes informatiques similaires à l'esprit humain dans un certain sens, bien qu'un ordinateur et un esprit humain ne puissent pas être identiques dans tous les aspects. » (Wang, 2019)[1]
L’IA se distingue de l’informatique traditionnelle en ce sens qu’elle est associée aux fonctions cognitives du cerveau humain, comme « la recherche, le raisonnement, l’apprentissage, la planification, la perception, l’agir, la communication… » (Luger, 2008)[2].
De l’intelligence artificielle à l’intelligence artificielle générative
Depuis sa naissance dans les années 50, suite à des recherches en informatique, mathématiques et psychologie (Zouinar, 2020)[3], l’IA n’a cessé d’évoluer. Durant les années 1960 et 1970, l’IA bénéficie de l’arrivée des systèmes experts, « un miroir logique d’un raisonnement humain », et fournit des réponses d’ « un haut niveau d’expertise » après avoir entré des données[4]. Après un passage à vide dans la décennie 1980, malgré des investissements colossaux, l’IA a connu un regain d’intérêt spectaculaire après la défaite du champion du monde d’échecs Gary Kasparov face à Deep Blue, l’ordinateur d’IBM fonctionnant grâce à un programme décisionnel basé sur l’intelligence artificielle[5].
L’ère de l’Internet, amorcée à la fin des années 1990 et le développement significatif durant les années 2000, de l’apprentissage automatique (machine learning), puis de l’apprentissage profond (deep learning) ont conduit à la création de réseaux de neurones artificiels profonds, capables d'apprendre à partir de grandes quantités de données. Ce qui a permis des avancées remarquables dans des domaines comme la vision par ordinateur, la reconnaissance vocale et la traduction automatique[6].
Mais la révolution majeure dans le domaine de l’IA, s’est affirmée à partir de 2020 avec l’apparition des grands modèles de langage, GML (Large Language Model, LLM). Entraînés sur de gigantesques quantités de données textuelles, les GML sont ensuite capables de générer de manière autonome du contenu, comme des textes, des images, des vidéos, des sons et d'autres types de données[7]. Les GML ont engendré les transformeurs génératifs pré-entraînés, TGP (Generative Pre-trained Transformer, GPT), qui sont des modèles de langage « entraînés sur de vastes quantités de données textuelles, qui génèrent un contenu qui ressemble étroitement à l'écriture humaine. »[8]. Le plus connu des GPT, dont l’usage est désormais devenu commun et diffus, est ChatGPT, un modèle de langage lancé en novembre 2022 par OpenAI, entreprise regroupant des géants du monde des technologies de l’information, comme Microsoft, Amazon ou IBM. Une évolution récente de ces GPT les a dotés de fonctions multimodales, capables de générer en plus du texte, des images, du son et même de la vidéo.
L’IA générative, incarnée notamment par ChatGPT, est en train de révolutionner les usages humains communs en matière de création de contenu dans tous les domaines littéraire, artistique, scientifique, etc., ainsi que le monde de l’entreprise où les pratiques de gestion sont en passe d’être totalement modifiées. La gestion des RH n’échappe pas à ces transformations que d’aucuns qualifient de disruptives. Partant, l’IA remet crucialement en question le rôle, mais également le statut des gestionnaires des RH dans l’organisation[9].
Rôle et statut des gestionnaires des ressources humaines dans l’organisation
Le rôle et le statut des gestionnaires des RH dans une organisation sont deux concepts distincts, mais interdépendants, qui définissent leur position et leurs fonctions au sein de l'entreprise.
Dans sa célèbre typologie, Dave Ulrich a déterminé les différents rôles que la fonction des RH peut jouer au sein des entreprises (Le Boulaire, Retour, 2008)[10]. Ulrich a proposé quatre rôles fondamentaux pour les gestionnaires des RH : administratrice ou administrateur de système RH, championne ou champion des employées et employés, partenaire stratégique et agente ou agent de changement. (Ulrich, 1996)[11].
Le statut désigne « la position qu’une personne occupe dans un système social donné ». Le statut de la personne recouvre « un ensemble de rôles » dans l’organisation (Rui, 2010)[12].
Le statut des gestionnaires des RH dans l’organisation, associé à ses rôles tels que considérés par Ulrich dans sa typologie, confère à ces personnes un positionnement stratégique dans l’organisation (championne ou champion des employées et employés, partenaire stratégique et agente ou agent du changement). Le positionnement stratégique des gestionnaires des RH génère des transformations qui maximisent le potentiel humain et créent de la valeur[13].
Comment l’IA générative bouleverse-t-elle le rôle et le statut des gestionnaires des ressources humaines dans l’organisation
L'intégration de l’IA générative dans les processus RH peut transformer les pratiques RH en automatisant et optimisant des tâches comme le recrutement, la formation, la gestion de la performance, etc., améliorant la prise de décision grâce à l'analyse des données et augmentant l'engagement des employées et employés grâce à des expériences personnalisées (Budhwar et al., 2023)[14].
Le positionnement stratégique des gestionnaires des RH est donc renforcé de plusieurs façons (Hennebert et Bourguignon, 2021)[15] :
- Automatisation et efficacité : l'IA générative peut automatiser des tâches RH répétitives comme le filtrage des CV, la réponse aux questions fréquentes des employées et employés, et même la rédaction de descriptions de poste. Cela libère du temps pour les gestionnaires des RH pour se concentrer sur des initiatives plus stratégiques et à valeur ajoutée.
- Prise de décision basée sur les données : grâce à l'IA générative, les gestionnaires des RH peuvent accéder à des analyses prédictives et des perspectives reposant sur des données, améliorant ainsi leur prise de décision dans des domaines clés comme le recrutement, la rétention et le développement des talents.
- Personnalisation : l'IA générative permet une personnalisation à grande échelle des expériences des employées et employés, depuis l'embauche jusqu'au développement professionnel, en passant par le bien-être au travail. Cela aide les gestionnaires des RH à créer des parcours employés plus engageants et à répondre aux besoins individuels.
- Développement et formation : le recours à l'IA générative pour créer des programmes de formation et de développement personnalisés et évolutifs renforce le rôle stratégique des RH en favorisant une culture d'apprentissage continu.
- Gestion du changement : l'IA générative aide les gestionnaires des RH à anticiper les effets des technologies émergentes sur l'emploi et à planifier des stratégies de gestion du changement, assurant ainsi que l'organisation reste agile et compétitive.
L’immixtion de l’IA générative dans les RH met ses gestionnaires face à de nouvelles responsabilités. Le positionnement stratégique des gestionnaires des RH s'étend également à la gestion des implications éthiques et légales de l'IA, comme la confidentialité des données, la non-discrimination et l'équité. Les gestionnaires des RH doivent naviguer dans ces défis tout en exploitant les avantages de l'IA (Dilmegani, 2023)[16].
En définitive, l’IA générative soutient les gestionnaires des RH dans leur rôle de partenaire stratégique, utilisant l'IA pour prédire les besoins futurs en compétences et emplois, et pour favoriser l'adaptation et le développement des employées et employés. Cela nécessite une mise à niveau des compétences, notamment en analyse de données et en gestion du changement, pour maximiser l'efficacité de l'IA tout en assurant le bien-être des employées et employés (Jacob, Souissi, Patenaude, 2022)[17].
1 Wang, P. 2019. On Defining Artificial Intelligence. Journal of Artificial General Intelligence 10(2):1–37. 51.
2 Luger, G. F. 2008. Artificial Intelligence: Structures and Strategies for Complex Problem Solving. Boston : Pearson, 6th edition.
3 Zouinar, M. (2020) évolutions de l’Intelligence Artificielle : Quels enjeux pour l’activité humaine et la relation Humain-Machine au travail? Activités, 1-39.
4 https://www.coe.int/fr/web/artificial-intelligence/history-of-ai
5 https://sitn.hms.harvard.edu/flash/2017/history-artificial-intelligence/
6 https://korii.slate.fr/tech/histoire-lexique-tendances-intelligence-artificielle-etude-mit
8 https://www.linkedin.com/pulse/history-evolution-artificial-intelligence-journey-mark/
9 https://www.unow.fr/blog/actualites/une-transformation-ia-deja-en-marche-dans-l-entreprise/
10 Le Boulaire, M., & Retour, D. (2008). Gestion des compétences, stratégie et performance de l’entreprise : quel est le rôle de la fonction RH?. Revue de Gestion des Ressources Humaines, 70, 51-68.
11 Ulrich, D. 1996, Human Resources Champions: The next agenda for adding value and delivering results, Boston, Harvard Business School Press, 281 p.
12 Sandrine Rui, Les 100 mots de la sociologie, PUF, 2010.
14 Budhwar, P., Chowdhury, S., Wood, G., Aguinis, H., Bamber, G. J., Beltran, J. R., Boselie, P., Cooke, F. L., Decker, S., DeNisi, A., Dey, P. K., Guest, D., Knoblich, A. J., Malik, A., Paauwe, J., Papagiannidis, S., Patel, C., Pereira, V., Ren, S., … Varma, A. (2023). Human resource management in the age of generative artificial intelligence: Perspectives and research directions on ChatGPT. Human Resource Management Journal, 33(3), 606–659.
15 Hennebert, M.-A. et Bourguignon, R. (2021). La gestion des ressources humaines à l’ère numérique : Occasion stratégique ou risque de marginalisation? Dans J. Bernier (dir.), L’intelligence artificielle et les mondes du travail. Perspectives sociojuridiques et enjeux éthiques (99-122). Presses de l’Université Laval.
16 Dilmegani, C. (2023). Generative AI ethics: Top 6 concerns. Research AIMultiple.
17 Steve Jacob, Seima Souissi et Nicolas Patenaude, Intelligence artificielle et transformation des métiers en gestion des ressources humaines, Chaire de recherche sur l’administration publique à l’ère numérique Université Laval, Québec, 2022.