Bien que la pénurie de main-d’œuvre n’est plus ce qu’elle était (au Québec en 2024, le nombre de postes vacants a atteint son seuil le plus bas depuis 2018[1]), nous ne pouvons pas nier différentes réalités avec lesquelles les entreprises jonglent et qui se traduisent par moins de ressources « en action » : délai pour pourvoir un poste, hausses des absences, investissement en temps pour le développement des compétences, etc. Certes, des solutions existent : intelligence artificielle, recrutement international, stratégies de rétention, etc. L’une d’elles parfois négligée : prendre un pas de recul et se réinventer, chaque fois. Comment peut-on voir les choses autrement et « profiter » d’un départ pour réorganiser son équipe? Comment peut-on impliquer les collègues, et non pas seulement les gestionnaires, à participer à ces réflexions?
Résister à la tentation
Chez plusieurs gestionnaires, il n’est pas rare d’avoir un réflexe commun : celui de se retourner vers les spécialistes RH et de souhaiter un « recrutement », rapide. Une roue qui peut tourner facilement, mais nous ramener au même point, chaque fois. Dans un contexte de départ, il peut parfois s’avérer gagnant de résister à la tentation d’afficher un poste qui serait un copier-coller de celui récemment laissé vacant, en prenant d’abord et collectivement un pas de recul.
Avoir une vision harmonisée aux besoins
S’assurer d’avoir une vision harmonisée semble évident a priori, mais parfois pris pour acquis. Amorcer cette discussion donne un bon prétexte pour revoir les réelles priorités : ce dont on avait besoin il y a à peine un an peut être différent aujourd’hui et de ce qu’on anticipe pour demain. Derrière un départ, malgré le stress et l’émotion que cela peut parfois engendrer, se cache un « monde de possibilités » pour la suite, afin de prendre la mesure des besoins réels et actuels de l’organisation.
Faire participer les personnes concernées
Sans doute l’étape la plus riche. Lorsqu’on interroge les collègues dont le travail est affecté par un départ, on obtient parfois une mine d’idées, car ces personnes ont leurs propres expériences et points de collaboration nécessaires pour le rôle laissé vacant. À partir de là, on peut bâtir collectivement ce qui deviendra la future description de poste adaptée aux réels besoins.
Cette étape peut sembler un peu longue au début, mais elle vise à gagner en efficacité à chaque fois. Quoi qu'il en soit, une personne prendra une décision pour la suite, mais au moins, elle aura pris en compte l'avis des personnes qui sont directement concernées et sera au courant d'éléments qui nous échappent parfois.
Par ricochet, cette manière de faire encourage la collaboration et puis, en faisant participer les personnes concernées, on favorise l’engagement qui apporte à son tour son lot d'avantages.
Selon une étude publiée par Gallup[2], un fort engagement permet :
78 % moins d’absentéisme
14 % plus en productivité
63 % moins d’incidents de sécurité
Penser autrement
« La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent. »
Citation attribuée à Albert Einstein.
Il faut oser les « et si? » Est-ce qu’on peut répondre à un même besoin en faisant les choses différemment? Oui, bien sûr! Et les changements plus importants exigeront une gestion du changement dans son ensemble, aussi les gains seront sur le long terme. À court terme ici, nous ne sommes pas nécessairement dans le « quoi », mais plutôt dans le « comment ». « Avec les avancées en matière d’accès à l’information et aux technologies, le savoir ne se contente pas d’augmenter, il se développe à un rythme toujours plus rapide(...) L'accélération du changement signifie que nous devons remettre en question nos convictions bien plus souvent qu’auparavant”[3] (Grant, 2022, p. 27). On gagne aussi à développer, par différentes stratégies, un milieu de travail ouvert aux nouvelles idées et qui plus est, diversifié. En effet, un environnement dans lequel chaque personne, quel que soit son rôle, se sent à l’aise pour proposer des idées, aussi audacieuses soient-elles, favorise l’innovation. De plus, notons que les équipes diversifiées ont démontré, selon un rapport de McKinsey[4], une plus forte capacité à résoudre des problèmes et à stimuler l’innovation.
Prendre le pouls
Afin d’assurer qu’on reste aligné, il est pertinent de planifier, avec les gestionnaires et les membres de l’équipe, des moments où l’on s’arrêtera pour prendre le pouls à la suite de la mise en place d’une nouvelle manière d’organiser un rôle ou une tâche, qu’elle soit temporaire ou de longue durée. Est-ce que ça donne les résultats escomptés? Est-ce qu’on a gagné en efficacité? Est-ce que cela amène une autre possibilité applicable ailleurs? Prévoir ce temps d’arrêt en amont permet de rassurer les équipes qu’une période est prévue pour écouter, échanger et poursuivre les réflexions au besoin. L’idée est de le voir comme une avancée chaque fois, sans avoir toujours la solution parfaite, mais plutôt de faire mieux qu’avant, et ainsi de suite.
Conclusion
Prendre le temps de s’arrêter et ouvrir les dialogues à propos des possibilités, en faisant participer les collègues, permet d’explorer des pistes innovantes, de reconnaître et de valoriser les expériences, de susciter un engagement envers une démarche, de tester de nouvelles méthodes de travail et de répondre aux besoins réels et actuels, dans ce monde en constante évolution.
Quelques pistes pour accompagner les gestionnaires
- Ramener aux grands objectifs : ceux-ci ne changent habituellement pas, alors que la manière de les réaliser peut évoluer;
- S’entendre sur les points de collaboration pendant la démarche, assurer sa présence et son accompagnement soutenu (le lien de confiance est essentiel);
- Ouvrir le dialogue : défis actuels et gains à long terme (pour les collègues, la ou le gestionnaire lui-même, l'organisation), etc.
- Communiquer des données RH fiables qui parlent d’elles-mêmes afin de susciter le désir de changement;
- S’appuyer sur les « histoires à succès » des autres équipes avec qui les démarches ont porté fruit.
- Dubé, I. (2025, 12 février). La pénurie de main-d’œuvre n’est plus. La Presse. https://www.lapresse.ca/affaires/2025-02-12/emploi/la-penurie-de-main-d-oeuvre-n-est-plus.php
- Gallup. (2024). The Relationship Between Engagement at Work and Organizational Outcomes Q12® Meta-Analysis: 11th Edition. https://www.gallup.com/workplace/321725/gallup-q12-meta-analysis-report.aspx
- Grant, A. (2022). Le pouvoir de la pensée flexible. Les Éditions de l'Homme.
- McKinsey & Company. (2022). La diversité au travail au Canada. https://www.mckinsey.com/ca/fr/~/media/mckinsey/locations/north%20america/canada/gender%20diversity%20at%20work/fr_gender%20diversity%20in%20canada_la%20diversite%20au%20travail%20au%20canada_final.pdf