Les formes traditionnelles de reconnaissance, telles que les bonis liés à la performance et les cadeaux célébrant les années de service, continuent d'être utilisées. Toutefois, elles côtoient des formes de reconnaissance qui relèvent davantage du domaine des relations interpersonnelles. Un sondage auprès des fonctionnaires fédéraux révèle que les pratiques de reconnaissance les plus appréciées et qui ont le plus d'effet sur la motivation sont, la plupart du temps, informelles.
Cet engagement envers de nouvelles pratiques de reconnaissance exige des gestionnaires qu'ils maîtrisent des compétences sur le plan des relations interpersonnelles pour être capables d'avoir des rapports de travail au sein desquels la reconnaissance se vit dans l'action. Mais avant de traiter de la maîtrise de ces compétences et des autres exigences de ces nouvelles pratiques de reconnaissance, apportons des précisions sur les raisons qui sont à l'origine de la volonté de modifier les pratiques de reconnaissance des employés.
Le renouvellement des pratiques de reconnaissance
Diverses raisons peuvent expliquer le renouvellement des pratiques de reconnaissance des employés. Les principales nous paraissent être la capacité limitée des programmes traditionnels à satisfaire certains besoins humains, les risques inhérents à ces programmes de créer des iniquités, les attentes des jeunes concernant les relations professionnelles et l'accroissement des problèmes de santé mentale au travail.
La capacité limitée à satisfaire certains besoins
Créés pour susciter la motivation des employés, les programmes traditionnels de reconnaissance semblent avoir perdu de leurs effets. Bien que les pratiques formelles mises en place dans le cadre de ces programmes soient valables, elle ne peuvent pas combler l'ensemble des besoins de reconnaissance des employés.
S'apparentant à ceux d'amour et d'appartenance identifiés par Maslow, ces besoins ne peuvent donc pas être satisfaits uniquement par des pratiques bureaucratiques qui risquent de négliger l'aspect relationnel. Ajoutons, en ce sens, que les sondages effectués auprès des employés sur les programmes de reconnaissance indiquent que les pratiques les plus mobilisatrices sont de nature personnelle plutôt que de nature programmée.
De plus, certaines pratiques de reconnaissance perdent de leur efficacité quand la manifestation extérieure, ou instrumentale, ne semble pas refléter des valeurs pleinement assumées par la direction de l'entreprise. Ces pratiques sont ainsi perçues comme des acquis ou comme des exercices cosmétiques; elles ne sont pas vues comme le reflet de valeurs de l'organisation. L'enjeu en cause est alors la crédibilité et l'authenticité des gestes posés. Pourquoi s'ouvrir à être touché par un don si le geste ne traduit pas une intention sincère? Le Petit Robert définit ainsi le terme «reconnaissant»: «qui reconnaît ce qu'on a fait pour lui, qui ressent, témoigne de la reconnaissance». Si l'employé perçoit que la direction ne ressent pas réellement la reconnaissance exprimée, il risque de devenir cynique à l'égard de ce qu'on lui manifeste.
Le risque de créer des iniquités
Les pratiques de reconnaissance, particulièrement celles qui sont liées aux indices de performance, sont susceptibles de produire des iniquités. Une forme d'iniquité provient du nombre de personnes dont on reconnaît le rendement. Par leur mode de fonctionnement méritocratique, ces programmes sont susceptibles d'exclure des personnes qui ont fait les efforts requis, mais qui n'ont pas atteint des résultats remarquables en raison de circonstances extérieures. La situation inverse peut aussi se produire: des personnes peuvent sentir qu'elles ne méritent pas la récompense qu'on leur octroie, leur performance ayant été facilitée par des facteurs extérieurs qui ne leur sont pas attribuables. Dans un cas, de la frustration peut en résulter; dans l'autre, c'est de la culpabilité. À ces situations où l'on a pu manquer de justice distributive s'ajoutent celles où la justice procédurale s'avère déficiente. L'application de critères de décision qui varient selon la tête des individus est un exemple de distorsion pouvant faire en sorte que le programme de reconnaissance des performances ne produise par les effets escomptés.
Le mode de reconnaissance de type compétitif peut certainement être source de motivation et de mobilisation. Cependant, pour atteindre ces objectifs, certaines conditions sont requises, à la fois sur les plans de la conception et de l'administration des pratiques choisies. De plus, il ne faut pas que ce soit le seul moyen de reconnaître les contributions de chacun, car on risque de passer sous silence des apports importants. Enfin, il importe de ne pas perdre de vue l'estime de soi et le sentiment de compétence des individus, qui sont à la base du rendement futur.
Les attentes des jeunes
Les attentes des jeunes envers leurs employeurs semblent aussi contribuer au besoin d'avoir des pratiques de reconnaissance davantage relationnelles, comme l'indiquent les résultats d'un sondage réalisé par le groupe Léger et Léger pour le compte du Comité consultatif pour la gestion des personnes dans la fonction publique québécoise (CCGP) et du Groupe Adecco Québec. Les jeunes ayant répondu au sondage ont identifié, dans une proportion de 90 %, quatre attentes prioritaires à l'égard de leurs gestionnaires : l'authenticité, le sens de la communication, l'empathie et l'intégrité. Ces quatre caractéristiques sont reliées à l'efficacité des gestionnaires dans la reconnaissance et le développement des personnes.
L'accroissement des problèmes de santé mentale
Le coût croissant des indemnités pour des problèmes de santé mentale met les gestionnaires face à des préoccupations humaines, particulièrement à la reconnaissance de ce que sont les individus et de leurs besoins réels. Plusieurs cas d'épuisement professionnel et de dépression reliée au travail prennent racine dans l'incohérence entre les besoins des individus et les rôles qu'ils assument. On peut même estimer que ces personnes souffrent d'être prisonnières de rôles ou d'une persona qu'elles ne réussissent pas à gérer en fonction de ce qu'elles sont profondément. Ce type de dynamique manifeste trop souvent un clivage entre ce qu'est l'individu et ce qu'il croit devoir être pour être reconnu. La reconnaissance peut donc être source d'une meilleure santé mentale quand elle a pour cible la personne dans ce qu'elle est.
Les exigences sur le plan des pratiques de gestion
Si la valeur d'une entreprise ne se mesure pas uniquement à ses actifs financiers ou matériels, mais aussi à la richesse et à la valeur de ses ressources humaines, la direction se doit de reconnaître la richesse humaine de son entreprise et de contribuer à son développement. Dans cet esprit, la reconnaissance peut être examinée en fonction de diverses pratiques de gestion.
La reconnaissance commence par soi : un exercice responsabilisant
La reconnaissance relationnelle dont nous parlons commence par une meilleure connaissance de soi. Cette approche tend à rendre les individus aptes à se reconnaître eux-mêmes et donc responsables dans ce processus. Ce type de rapport évite de maintenir des dépendances infantiles envers le regard parental de la direction. Les dirigeants d'Adecco expriment bien cet esprit de la façon suivante :
«Le pouvoir de choisir et de s'exprimer est un joyau extraordinaire de notre société, et nous en jouissons très peu en nous réfugiant dans un rôle de victime.»
Une culture de la reconnaissance offre à chacun la possibilité de prendre, dans son milieu de travail, la place à laquelle il a droit. Aussi, elle invite chacun à gérer son rôle plutôt que d'être défini par lui.
La délégation fait aussi partie d'une culture de la reconnaissance. Une personne qui accepte ses limites dans un domaine donné et qui voit chez un collègue la force recherchée atteint un double résultat : elle se libère d'une attente à laquelle elle ne peut pas répondre et elle valorise le potentiel d'une autre. Admettre ses limites requiert cependant une assurance en ses propres forces et une ouverture à l'assistance que les autre peuvent apporter.
La reconnaissance et la gestion du potentiel d'évolution
Une gestion de la reconnaissance de type relationnelle facilite la transformation d'un environnement de travail en un espace de rencontre et d'évolution. Chacune de ces composantes a ses exigences.
Quoique les fonctions exercées soient importantes, les personnes transcendent ces dernières. Reconnaître quelqu'un, c'est d'abord créer un lieu de rencontre et refuser de l'utiliser comme un simple moyen de production.
La gestion de la reconnaissance favorise aussi l'évolution des personnes dans l'esprit de la maïeutique, soit de faire accoucher de soi-même. Souvent, les leaders significatifs sont ceux qui ont su reconnaître le potentiel de personnes qui en sont encore inconscientes et contribuer à son émergence. Cette dynamique est indissociable du sens que chacun est appelé à donner à son travail.
Gérer la reconnaissance selon cette optique nous renvoie à nos postulats sur l'être humain, dont Mc Gregor faisait état en 1954 dans ses théories X et Y. Percevons-nous nos employés comme des paresseux qui veulent faire le minimum ou, au contraire, comme des personnes désireuses de s'accomplir et de contribuer? Notre façon de voir conditionnera notre croyance en leur potentiel d'évolution.
La reconnaissance et l'appréciation (appreciative management)
Srivastva et Cooperrider, de la Case Western Reserve University ont développé la notion d'appreciative management qui présente l'appréciation comme une façon pour les organisations de maximiser le potentiel des personnes et de l'organisation. Dans l'ouvrage qu'ils ont publié en 1990, intitulé Appreciative Management and Leadership, ils affirment que les leaders du XXIe siècle ne pourront gérer la complexité croissante des organisations que s'ils réussissent à reconnaître le talent, l'intelligence et la créativité que les divers membres de l'organisation peuvent apporter à leur travail. C'est une condition pour stimuler l'engagement et le besoin de réussite. Selon ces mêmes auteurs, la reconnaissance constitue aussi une valorisation de la diversité attribuable à des facteurs culturels ou ethniques, ou encore à des pratiques de gestion différentes et inhabituelles. La reconnaissance est alors un élément clé pour créer un sentiment d'unité et de sens partagé entre les membres d'une même organisation.
Conclusion
Les pratiques de reconnaissance axées sur la personne peuvent être un atout à un triple titre. Premièrement, elles peuvent contribuer à la rétention d'un personnel qui a de plus en plus le choix de son employeur. Deuxièmement, elles sont aptes à susciter un engagement accru à l'égard du travail et de l'organisation. Troisièmement, elles peuvent contribuer à prévenir des problèmes de santé psychologique. Il ne faut cependant pas oublier que l'implantation de ces pratiques se fonde sur la création d'une culture, sur des valeurs et des croyances partagées.
Linda Plourde, CRHA est présidente du Groupe Adecco Québec et François Héon est psychologue et responsable de la Maison des Leaders.
Source : Effectif, volume 7, numéro 2, avril / mai 2004