[Cet article rédigé en 2013 a été mis à jour en mai 2025]
Par Jean-Philippe Bradette, CRHA
La formation en ligne regroupe l'ensemble des expériences numériques conçues pour soutenir un développement structuré, mesurable et durable des habiletés. Elle peut s'intégrer dans un parcours complet comprenant des actions avant (préparation, activation des connaissances préalables, motivation), pendant (pratique active, rétroaction, engagement cognitif) et après (renforcement espacé, transfert en contexte), ou être utilisée de manière autonome selon les objectifs.
Son objectif peut être de transmettre de l'information, mais elle vise surtout à rendre la personne capable de mobiliser ses connaissances dans la bonne situation, au bon moment. Cette capacité d'action est renforcée lorsque l'apprentissage est intégré dans le flux de travail, soutenu par des interventions brèves, ciblées et répétées qui facilitent la rétention et la mise en pratique.
Un tournant accéléré par la COVID-19
La pandémie de COVID-19 a grandement accéléré l'adoption de la formation en ligne dans les organisations. Cette transition soudaine, souvent imposée par les circonstances, a généré à la fois des avancées significatives et des dérives. D'un côté, elle a permis une démocratisation rapide des pratiques numériques, une exploration de nouveaux formats, et une plus grande ouverture à la formation à distance. De l'autre, elle a aussi mis en lumière les limites de solutions improvisées : formations mal adaptées, surcharge d'informations, absence d'encadrement ou de logique pédagogique. Ce contexte a révélé un enjeu fondamental : il ne suffit pas de numériser des contenus, il faut concevoir des expériences d'apprentissage efficaces, alignées avec les besoins, les contextes et les capacités des apprenantes et apprenants. Cette période a ainsi souligné l'importance d'une approche rigoureuse, ancrée dans les sciences de l'apprentissage, et pensée pour créer de la valeur réelle sur le terrain.
Trois postures organisationnelles en matière de formation
Depuis plusieurs années dans les organisations, on observe différentes façons d'aborder la formation. Ces postures reflètent des niveaux de maturité variés, influencés par les contextes, les priorités et les ressources. Elles ne sont pas figées, mais traduisent une évolution dans les façons de concevoir et d'intégrer l'apprentissage au travail.
Celles qui agissent de façon stratégique
Dans ces milieux, la formation est considérée comme un levier de développement durable, à la fois pour les personnes et pour l'organisation. Elle est pensée de manière structurée, alignée avec les enjeux d'affaires, intégrée dans les processus de travail et suivie dans le temps. Ces organisations misent sur des parcours complets, sur le transfert dans l'action et sur l'analyse des données pour rajuster et améliorer continuellement les approches.
Celles qui répondent à la demande
Ces organisations sont actives et bien intentionnées. Elles conçoivent des formations pour répondre à des besoins exprimés, souvent formulés sous forme de commandes précises — un module à livrer, une capsule à créer, une formation à déployer. On y retrouve souvent de bonnes pratiques sur le plan de la conception ou de l'expérience apprenant. Cependant, l'approche reste centrée sur le quoi et le comment, en oubliant parfois le pourquoi. Sans une intention claire ni une perspective d'ensemble, les efforts peuvent perdre en cohérence ou en portée. Ces milieux ont tout en main pour aller plus loin : ce qu'il leur manque, c'est souvent une structure qui relie les actions ponctuelles à une stratégie globale.
Celles qui ne savent pas...
Dans ces organisations, la formation est présente, mais reste souvent limitée à des outils ou à des plateformes de gestion (comme un LMS), sans véritable réflexion sur comment les gens apprennent. Les sciences de l'apprentissage sont peu connues, et l'effet des initiatives est rarement mesuré. La formation est souvent perçue comme une obligation ou une réponse rapide, plutôt que comme un levier de transformation. Ce n'est pas un manque d'intérêt, mais plutôt un manque d'exposition, de repères ou de soutien. Dès que ces organisations commencent à explorer de nouvelles approches, elles découvrent un potentiel d'évolution important.
Il n'est pas rare de retrouver ces trois postures au sein d'une même organisation, selon les secteurs, les équipes ou les personnes concernées. Certaines initiatives peuvent être très stratégiques, d'autres plus réactives, et certaines zones peuvent encore chercher leur voie. Reconnaître cette diversité est un point de départ essentiel pour faire évoluer les pratiques avec cohérence, bienveillance et ambition.
L'efficacité de la formation en ligne : ce que dit la recherche
Les recherches en sciences de l'apprentissage, incluant plusieurs méta-analyses rigoureuses, montrent que la formation en ligne peut être aussi efficace — voire plus efficace — que la formation en classe, à condition que les bonnes méthodes soient utilisées. Lorsque les mêmes stratégies pédagogiques sont appliquées dans les deux contextes, les résultats sont comparables. Si la formation en ligne surpasse parfois la formation en présentiel, c'est surtout parce qu'elle intègre plus souvent des pratiques fondées sur des preuves, telles que la récupération active, la répétition espacée, les mises en situation réalistes et la rétroaction. Les études révèlent toutefois une grande variabilité dans les résultats : certaines formations numériques produisent d'excellents apprentissages, d'autres très peu, notamment lorsque l'apprenante ou l'apprenant est peu sollicité. Ce n'est donc pas la technologie qui fait la différence, mais la conception pédagogique, l'intention derrière les activités, et la capacité à engager activement l'apprenante ou l'apprenant. Une formation en ligne bien conçue, particulièrement lorsqu'elle est combinée à d'autres modalités comme le coaching ou la pratique guidée, peut générer des effets d'apprentissage significatifs et durables.
Tendances actuelles en formation : vers plus d'effet, plus de contexte, plus de données
Dans un contexte de surcharge informationnelle et d'évolution rapide des compétences, la formation tend à se recentrer sur l'essentiel : l'effet sur le terrain. On observe un déplacement progressif des efforts, non plus vers la simple transmission de contenu, mais vers des approches qui s'intègrent dans l'action, soutiennent le transfert, et accompagnent la performance au quotidien. L'apprentissage dans le flux de travail, le microapprentissage, les séquences de renforcement, et l'utilisation ciblée de l'intelligence artificielle pour adapter le contenu sont autant de leviers qui gagnent en popularité. Les organisations investissent aussi davantage dans l'analyse des données d'apprentissage pour mieux comprendre ce qui fonctionne, pour qui, dans quel contexte, et ainsi améliorer en continu leurs approches. Enfin, les modalités hybrides — qui combinent formation formelle, accompagnement terrain et ressources accessibles au moment du besoin — s'imposent comme des modèles durables, parce qu'elles reflètent la réalité des apprenantes et apprenants et permettent une individualisation plus fine des parcours.
Les facteurs de succès : quand la formation devient un levier d'action
On ne parle plus juste de formation en ligne. Aujourd'hui, ce sont des expériences d'apprentissage complètes et intégrées qu'il faut concevoir, capables de générer un véritable effet sur le terrain. Les formations efficaces reposent sur une approche mixte, combinant différentes modalités — formation structurée, apprentissage dans l'action, coaching, ressources numériques — pour s'adapter à la réalité du travail. Elles incluent des activités pratiques qui sollicitent la réflexion, l'expérimentation et la prise de décision. Elles prévoient un renforcement dans le temps, indispensable à la consolidation des acquis et à la lutte contre l'oubli. Elles s'appuient sur une logique de mesure, qui permet à l'apprenante ou l'apprenant de visualiser sa progression, et à l'organisation de suivre les retombées concrètes. Ces formations doivent aussi être soutenues par la ou le gestionnaire, qui joue un rôle-clé dans l'ancrage des apprentissages et dans le transfert dans l'action. Surtout, elles doivent être adaptées à la réalité opérationnelle et personnelle de l'apprenante ou l'apprenant, en tenant compte de ses besoins, de son contexte et de ses contraintes. Lorsqu'elles sont contextualisées, pertinentes, utiles et engageantes, les formations cessent d'être des obligations ponctuelles : elles deviennent des leviers puissants de développement, de performance et de valorisation du potentiel humain.
Les pièges à éviter en formation
1. Confondre transmission et apprentissage
Croire qu'expliquer un concept suffit pour qu'il soit retenu, compris et transféré. L'apprenante ou l'apprenant doit se l'approprier activement, et non seulement le recevoir.
2. Réduire la formation à une capsule + quiz
Une capsule informative suivie d'un quiz peut valider une compréhension immédiate, mais ne permet pas à elle seule un changement durable. Sans pratique, renforcement, ni mise en contexte, l'apprentissage s'efface.
3. Se laisser séduire par la technologie au détriment du sens
Animations 3D, avatars, réalité virtuelle... L'IA permet de produire du contenu rapidement, mais un design spectaculaire n'est pas garant d'un apprentissage efficace. L'outil doit servir le message, pas le remplacer.
4. Surcharger la personne en apprentissage
Trop d'informations dans un même module, ou une trop grande densité de concepts, crée de la charge cognitive. L'apprenante ou l'apprenant retient moins, surtout si aucun espace n'est prévu pour la consolidation.
5. Isoler la formation du quotidien
Proposer une formation sans lien clair avec les tâches, les enjeux ou les outils réels de l'apprenante ou l'apprenant crée une déconnexion. Sans contextualisation, le transfert est compromis.
6. Oublier le pourquoi
Répondre mécaniquement à des demandes (« fais-moi une formation sur... ») sans clarifier les objectifs réels ni les comportements attendus mène souvent à des formations bien faites... mais inutiles.
7. Ignorer le rôle de la ou du gestionnaire
Une formation sans soutien sur le terrain reste fragile. La ou le gestionnaire doit participer pour renforcer les messages, encourager la mise en pratique et donner du sens à l'effort de formation.
8. Ne pas mesurer l'effet
Sans indicateurs clairs de progression ou de transfert, difficile de savoir si la formation a eu un effet. Se limiter à des taux de complétion ou de satisfaction ne permet pas de s'ajuster ou d'apprendre de l'expérience.
Jean-Philippe Bradette, CRHA, est président de Apprentx.
[Cet article rédigé en 2013 a été mis à jour en mai 2025]