« La meilleure façon de penser l’avenir, c’est de le créer », a dit le célèbre consultant américain en gestion d’entreprise Peter Drucker. C’était peut-être vrai au 20e siècle, mais pour mieux imaginer l’avenir à notre époque, où les enjeux en milieu de travail sont complexes et multiples, il vaut mieux le cocréer, avance Nathalie Sabourin, M. Sc., CRHA. Des approches qui ont fait leurs preuves à l’Hôtel OMNI Mont-Royal, mises en place de 2022 à 2024 et qui subsistent maintenant au sein de l’entreprise.
Comme la quasi-totalité des entreprises de l’industrie touristique, l’établissement a été happé de plein fouet par la pandémie en 2020, qui a forcé un ralentissement, pour ne pas dire un arrêt total de ses activités pendant plus d’une année et demie.
En effet, au Québec, comme au Canada, l’achalandage des touristes internationaux a chuté radicalement, soit de près de 87 %, notamment en raison de la fermeture des frontières pour éviter la propagation de la COVID-19.
Les compressions et suppressions de poste étaient ainsi inévitables.
« À ce moment-là, dans tout le groupe d’hôtels, nous sommes passés de 23 000 associés à 2000. À part l’équipe technique et quelques gestionnaires, le reste de l’équipe a été mis à pied. Du jour au lendemain, il y a eu un grand remaniement de personnel », relate le directeur général de l’établissement montréalais, Jean-François Pouliot.
Partir de presque zéro
Dix-huit mois plus tard, les restrictions sanitaires ayant été levées graduellement et le tourisme ayant repris, il était temps de redémarrer la machine.
Avec une équipe réduite et une pénurie de main-d’œuvre qui pointait son nez, le défi était déjà colossal.
« Il a fallu se rebâtir une équipe de leadership rapidement avec un talent et une force de travail qui étaient totalement différents, raconte Jean-François Pouliot. Il n’y avait plus d’équipe. Nous avons embauché de nouvelles ressources, qui avaient un degré d’expertise variable, des connaissances du domaine très différentes, et nous avons fait face à un défi d’intégration. Il fallait développer une synergie. »
Le fait que l’hôtel montréalais se trouvait à des kilomètres du siège social de la chaîne, sis à Dallas, au Texas, a donné une certaine liberté au gestionnaire d’adopter une approche innovante.
« On se trouvait dans un autre pays et dans un pays qui gérait la crise sanitaire d’une tout autre façon, rappelle Jean-François Pouliot. Je me suis retrouvé avec une dynamique très particulière, et avec ça sont venues les coudées plus franches. Je crois que, dans notre cas, la distance a aidé. »
Aller jusqu’au bout
Parmi les recrues de l’hôtel se trouvait la nouvelle directrice des ressources humaines, Nathalie Gibeault, engagée en novembre 2022. Elle allait jouer un rôle central dans la mise en place de cette nouvelle stratégie d’évolution de la culture.
« Dès le moment de l’entrevue, Jean-François m’a demandé si je connaissais les pratiques de co-leadership », se souvient la principale intéressée, aujourd’hui la seconde cadre en ancienneté de l’établissement, après la direction générale.
À ce moment-là, Jean-François Pouliot travaillait depuis déjà une bonne dizaine d’années avec Nathalie Sabourin, CRHA, coach d’équipe et cofondatrice dans Le Co-Leadership Groupe. Pour lui, profiter de cette relance pour implanter une démarche de co-leadership allait de soi.
Pour sa part, Nathalie Gibeault s’est lancée tête première dans le défi. « J’ai accepté, mais j’ai posé la condition d’aller jusqu’au bout, explique-t-elle. Moi, l’engagement que j’ai pris, c’est de maintenir le projet en vie, de le faire vivre. Ça ne fonctionne pas pour moi de reléguer des projets aux oubliettes. »
« Il faut vraiment oser, soulève Nathalie Sabourin. Le statu quo ne fonctionne pas. Pour transformer une organisation, il faut être un catalyseur en tant que professionnel des ressources humaines. »
Un parcours adaptatif de longue haleine
Un parcours dynamique et participatif de coaching d’équipe a été déployé, comprenant quatre grandes phases : 1) Rebâtir. 2) Mobiliser 3) Développer 4) Amplifier.
Les membres de la nouvelle équipe de leadership se sont donc réunis pour jeter les bases de cette nouvelle approche de travail, où tous les cerveaux sont mis à contribution. La première étape comprenait bâtir la nouvelle intention et cocréer le plan d’action pour aller de l’avant, ensemble.
« On a rassemblé nos gestionnaires et on leur a dit : “ Il faut se doter d’une vision commune. Cette vision va créer un engagement envers des objectifs, et nous devrons mesurer notre succès ” », témoigne Nathalie Gibeault.
Celle-ci parle d’un processus adaptatif qui s’est échelonné sur plusieurs mois. « Il a fallu apprendre à se connaître à travers nos forces, aussi bien soi-même qu’entre nous. Au fil du temps, l’équipe s’est modifiée : des gens ont quitté l’entreprise, d’autres sont arrivés. Il a fallu s’adapter et mettre à jour le processus pour inclure les nouveaux arrivants et garder la motivation des plus anciens, et ce, pour que tout le monde évolue ensemble. »
Ateliers axés sur les forces (Gallup CliftonStrengths), sondages, séances de cocréation, codéveloppement, coaching par les pairs, tables rondes et on en passe : chaque mois, ou presque, l’équipe de leadership de l’Hôtel OMNI Mont-Royal a été invitée à des séances ponctuelles. Tout ceci permettant d’unir l’équipe, de bâtir la confiance et la collaboration entre les services en plus d’accélérer les objectifs et les projets amenant la transformation.
De la réticence à l’habitude
Cette nouvelle culture participative n’a pas été facile à vivre pour tous les gestionnaires, au départ. « Il y a toujours des gens qui n’embarquent pas dans un projet, qui ont des réticences, et c’est normal, relativise Nathalie Gibeault. On a commencé par des petites étapes et de petits exercices pour que chacun puisse s’approprier les pratiques de coleadership à son rythme. »
Mais rapidement, ce qui était quelque chose d’imposé est devenu une habitude, puis un réflexe au sein de l’entreprise. Des personnes réfractaires sont même devenues des ambassadeurs du coleadership, principalement la pratique du codéveloppement.
« Encore aujourd’hui, on garde le parcours mis en place bien vivant. On n’y va plus par étapes, on vit le processus tous les jours », affirme Nathalie Gibeault.
« On est fiers : quand on organise des rencontres de codéveloppement (Monday Codev), nos gens sont au rendez-vous. Ça fait partie du quotidien, c’est un rassemblement à valeur ajoutée, poursuit la directrice. On y voit la valeur ajoutée quand on observe l’énergie positive qui ressort de ces rencontres, où les gens s’appuient, échangent et se soutiennent. »
Les résultats au rendez-vous
Qui plus est, les indicateurs clés mesurés par l’entreprise sont au beau fixe. On juge l’équipe de leadership « plus efficace et performante », en plus d’être « mobilisée autour d’une vision commune ».
« Lors des séances de codéveloppement, c’est intéressant de voir que les gestionnaires amènent désormais eux-mêmes leurs défis à la table d’échanges, qu’ils parlent des challenges qu’ils vivent et qu’ils s’entraident entre eux », relève Nathalie Sabourin, qui a accompagné l’équipe de l’Hôtel OMNI pendant les 18 premiers mois du processus.
Les membres de l’équipe sont maintenant davantage mobilisés, ce qui stimule la créativité et la collaboration entre eux. Les sondages démontrent des améliorations significatives sur l’ensemble des indicateurs.
Deux ans après avoir implanté le coleadership, Nathalie Gibeault avance qu’elle referait tout de la même manière. Le seul regret de Jean-François Pouliot aurait été d’ouvrir encore plus grand les vannes pour profiter encore plus des avantages de l’exercice.
« Notre succès démontre la puissance de l’intelligence collective. Nous avons réussi à faire tomber les silos », avance Jean-François Pouliot.
« L’objectif, c’est d’optimiser notre positionnement et notre performance en s’assurant que tout le monde vise à la même place. »
Que demander de mieux?
Références
L’approche appréciative
- Diana Whitney and al. (2004) Appreciative Team Building: Positive Questions to Bring Out the Best of Your Team.
- Dialogic OD : https://www.odnetwork.org/page/dialogic-od
Le co-leadership
- Bédard et Sabourin (2021). Le co-leadership : briser les silos, stimuler la collaboration. Coin de l’expert. CRHA.
- Joly, H. (2022). L’entreprise, une affaire de cœur. Éditions PLON
Le codéveloppement aligné et actualisé
- Paquet, Sabourin et al. (2024). Codevelopment Action Learning for Business : Co-create. Accelerate. Editions Routledge Taylor & Francis. www.codevelopmentactionlearning.com/livre
- Sabourin et Lefebvre (2017). Guide pratique pour implanter des groupes de codéveloppement. Collaborer et agir, mieux et autrement. Lulu.com
Travail d’équipe axé sur les forces
- Gallup – Why is teamwork important in the workplace? https://www.gallup.com/cliftonstrengths/en/278225/how-to-improve-teamwork.aspx#ite-642944