Les organisations prennent progressivement conscience de l'importance cruciale de développer la relève afin de soutenir leur performance et d'assurer leur pérennité. Bien qu’étant des leviers pertinents à implanter, les programmes traditionnels de développement du leadership sont souvent insuffisants pour préparer adéquatement la relève aux nombreux défis qui l’attendent.
De plus, un frein, pourtant grandement répandu et souvent passé sous silence, ralentit les aspirants leaders dans leur cheminement. On parle ici du phénomène de l’imposteur.
L'objectif de cet article est d'établir un lien entre la littérature scientifique et les récentes expériences de gestionnaires aspirants ou nouvellement en poste pour dégager des pistes d'intervention concrètes afin d’accélérer leur développement.
Le phénomène de l’imposteur
Le phénomène de l’imposteur, défini par Clance et Imes (1978) comme l'expérience interne du sentiment d'être un imposteur (Rohrmann et al., 2016), décrit les différences individuelles dans la perception de la fraude intellectuelle, indépendamment des diverses réalisations (Brauer et Proyer, 2022). Il se manifeste par un manque d'internalisation des succès et un doute prononcé sur soi-même (Clance et Imes, 1978 ; Ibrahim et al., 2021). S'ajoute à cela la peur d'échouer dans des tâches futures et d'être considéré comme un imposteur, ce qui limite la qualité de vie et les ambitions professionnelles (Ibrahim et al., 2021). Les personnes chez qui les sentiments d’imposteur sont très présents croient que les éloges ou l'approbation reçus reflètent leur capacité à tromper les autres sur leur compétence (Sonnak et Towell, 2001).
Le phénomène de l’imposteur est souvent qualifié de syndrome dans les articles non scientifiques. Un syndrome est un diagnostic clinique, caractérisé par sa présence ou son absence. Un phénomène est beaucoup plus flexible : il se manifeste avec une intensité variable et apparaît ou disparaît à différents moments de notre vie. Ainsi, l'expression du phénomène de l’imposteur varie non seulement d'une personne à l'autre, mais évolue également rapidement au sein d'une même personne. (Clance et Imes, 1978)
La littérature démontre que 70 % de la population dit avoir éprouvé des sentiments d'imposteur à un moment de leur vie (Gravois, 2007). Bien que ces sentiments puissent survenir à différents stades de la vie, ils sont surtout observables lors des changements de carrière et tendent à diminuer avec l'augmentation de l'expérience professionnelle (Ibrahim et al., 2021 ; Prata et Gietzen, 2007).
Le contexte de la relève
La transition vers un poste de gestion est une période charnière qui combine de nombreux facteurs pouvant induire ou exacerber les sentiments d’imposteur : adoption d’une posture de leadership adaptée à la culture organisationnelle, intégration à un nouveau groupe de référence, évolution des relations avec les anciens collègues, apprentissage de nouveaux processus (budget, gestion de la performance, etc.) et autres (Ibrahim et al., 2021; Martins, 2023).
Différents signes peuvent révéler une présence élevée du phénomène de l’imposteur chez les aspirants ou nouveaux leaders :
- Difficulté à accepter les compliments ou la rétroaction positive.
- Attribuer sa progression professionnelle à la chance plutôt qu’à ses compétences.
- Faire preuve d’un perfectionnisme excessif.
- Retarder la prise de décision.
- Hésiter à partager son point de vue.
- Minimiser ses capacités auprès de l’équipe.
- Éviter la confrontation.
Ces manifestations témoignent de l’impact significatif de ce phénomène sur la perception de soi et les interactions professionnelles (Greenberg, 2023). Elles peuvent affecter négativement la crédibilité, générer une charge de travail supplémentaire et ralentir l’appropriation du nouveau rôle.
Les conditions de succès pour déjouer le phénomène de l’imposteur
Le phénomène de l'imposteur, complexe et profondément ancré dans la perception de soi, ne peut pas être complètement éliminé. Cependant, les organisations peuvent mettre en place des pratiques qui atténuent ses répercussions et favorisent un climat de confiance et d'affirmation de soi.
- Redéfinir le leadership : que souhaite-t-on voir comme comportements chez nos leaders? De nombreux aspirants leaders se comparent à d’anciennes figures qui ne répondent cependant plus aux besoins actuels. La définition et la communication transparente d’un profil de compétences en leadership aident à clarifier les attentes et à éviter la dissonance chez les nouveaux leaders.
- Miser sur l’authenticité : l’ère du gestionnaire infaillible est révolue. Partager son propre vécu et ses sentiments sur le phénomène de l’imposteur est un moyen puissant de normaliser ce phénomène. En outre, cela contribue à instaurer un climat de confiance qui facilite l’expression de l’autre.
- Créer des occasions d’échanges: l’instauration d’une communauté de pratique entre nouveaux gestionnaires favorise les discussions avec d'autres personnes vivant des défis similaires et incite au passage à l’action.
- Adopter un esprit de développement et une posture de coach : les aspirants et nouveaux gestionnaires affrontent une courbe d’apprentissage abrupte et disposent de peu de temps pour la gravir. Pour les soutenir, il convient de fixer des objectifs progressifs et adaptés que l’on suit sur une base régulière en offrant une rétroaction bienveillante sans être complaisante. Bien que les échecs soient inévitables, il est crucial de les positionner comme des possibilités d’apprentissage afin d’éviter d’exacerber le sentiment d’imposteur.
Conclusion
Pour préparer adéquatement les leaders aspirants aux nombreux défis qu’elles et ils rencontrent, les organisations ont tout avantage à repenser l’accompagnement qui leur est offert afin de mettre en place les conditions de succès pour qu’ils progressent et se développent, malgré ce fameux sentiment de doute et d’incompétence qu’est le phénomène d’imposteur!
Références
- Brauer, K., et Proyer, R. T. (2022). The impostor phenomenon and causal attributions of positive feedback on intelligence tests. Personality and Individual Differences, 194, 1–3. https://doi.org/10.1016/j.paid.2022.111663
- Clance, P. R., et Imes, S. A. (1978). The imposter phenomenon in high achieving women: Dynamics and therapeutic intervention. Psychotherapy: Theory, Research & Practice, 15(3), 241–247. https://doi.org/10.1037/h0086006
- Gravois, J. (9 novembre 2007). You’re not fooling anyone. The Chronicle of Higher Education. http://chronicle.com/article/Youre- Not- Fooling-Anyone/28069/
- Greenberg, S. (13 février 2023). Identifying and solving for imposter syndrome in early career new hires. Ampersand. https://www.ampersandpro.com/blog/identifing-and-solving-for- imposter-syndrome-in-early-career-new- hires#:~:text=For%20professionals%20just%20launching%20their,then%20impacts%20t he%20entire%20organization
- Ibrahim, F., Münscher, J.-C., et Herzberg, P. Y. (2021). Examining the Impostor-Profile—Is there a general impostor characteristic? Frontiers in Psychology, 12, 1–14. https://doi.org/doi:10.3389/fpsyg.2021.720072
- Martins, J. (20 avril 2023). 15 tips to turn your imposter syndrome into confidence [2023]. Asana. https://asana.com/fr/resources/impostor-syndrome
- Prata, J., et Gietzen, J. W. (2007). The imposter phenomenon in physician assistant graduates. The Journal of Physician Assistant Education, 18(4), 33–36. https://doi.org/doi:10.1097/01367895-200718040-00007
- Rohrmann, S., Bechtoldt, M. N., et Leonhardt, M. (2016). Validation of the impostor phenomenon among managers. Frontiers in Psychology, 7, article 466. https://doi.org/doi:10.3389/fpsyg.2016.00821
- Sonnak, C., et Towell, T. (2001). The impostor phenomenon in British university students: Relationships between self-esteem, mental health, parental rearing style and socioeconomic status. Personality and Individual Differences, 31(6), 863–873. https://doi.org/doi:10.1016/S0191-8869(00)00184-7