Intelligence contextuelle vs intelligence générale
Le concept d’intelligence contextuelle fut élaboré en 1985 par Robert J. Sternberg, un psychologue bien connu pour ses recherches sur l’intelligence humaine et la créativité. Sternberg proposa cette théorie comme alternative à l’idée d’intelligence générale mesurée par le QI, qu’on appelle aussi « intelligence académique » (Vinney, 2020).
Sternberg a soutenu que l’intelligence contextuelle (aussi appelée « intelligence pratique ») et la créativité étaient tout aussi importantes que l’intelligence générale dans le fonctionnement efficace d’une personne. En outre, et heureusement, il estimait que cette compétence pouvait être développée (Vinney, 2020).
Qu’est-ce que l’intelligence contextuelle?
Très sommairement, l’intelligence contextuelle est l’aptitude d’une personne à réagir et à s’adapter au monde qui l’entoure, incluant les facteurs sociaux, culturels et historiques. Le terme « intelligence contextuelle » a été utilisé par différents chercheurs et praticiens dans des disciplines comme la psychologie, la médecine, l’éducation, la politique, les affaires, et le leadership organisationnel, entre autres (Kutz & Bamford-Wade, 2013). Depuis peu, on s’intéresse aussi à ses applications en matière de mentorat (Courcy et al., 2024; Mampane & Mampane, 2024; Saha, 2019).
En principe, on s’attend à ce que les personnes mentores possèdent assez de souplesse mentale et de créativité pour recevoir ouvertement et comprendre le mieux possible les facteurs contextuels de leur mentoré ou mentorée. Toutes les relations mentorales sont façonnées par l’environnement dans lequel elles évoluent. À cet égard, chaque partenaire apporte dans la relation sa propre compréhension des choses, ses croyances et ses perceptions — donc le contexte — qui influence forcément la construction de la relation (Cox, 2003).
L’intelligence contextuelle ne peut pas exister sans la présence d’une certaine sagesse issue de l’expérience. La pertinence de l’expérience est mesurée par l’habileté d’une personne à extraire intuitivement de la « sagesse » de différentes expériences personnelles sans que ce soit dépendant de l’accumulation ou du passage du temps, et à l’appliquer de manière pratique au moment opportun.
Intelligence vs sagesse
Selon Manfred Ket de Vries, psychanalyste d’entreprise et professeur à l’INSEAD (2017), les gens assimilent souvent la sagesse à l’intelligence ou au fait d’être bien informé et compétent. Toutefois, et trop souvent, il devient apparent qu’être intelligent et être sage soient deux choses complètement différentes. Dans la gestion des programmes de mentorat, il s’agit d’une nuance importante dont il faut tenir compte quand vient le temps de recruter des mentores et mentors et surtout, de les jumeler adéquatement.
« Sur le plan cognitif, poursuit-il, les personnes sages ont la capacité d’avoir une vue d’ensemble. Elles sont capables de faire la part des choses, de prendre de l’altitude par rapport à leur point de vue personnel et d’observer une situation sous plusieurs angles différents. » Cette description de Kets de Vries est en fait le cœur même de l’intelligence contextuelle.
Trois facteurs à maîtriser
Lors des rencontres de mentorat, l’intelligence contextuelle de la personne mentore lui permet de saisir intuitivement chez sa ou son mentoré les événements pertinents du passé (hindsight), d’avoir une conscience aiguë des variables contextuelles du présent (insight) ainsi que la perspicacité de comprendre ce que la personne préfère voir dans l’avenir (foresight) (Kutz, 2008). En effet, pour paraphraser la vice-présidente américaine Kamala Harris, une personne existe dans le contexte de tout ce qui l’a précédée, de ce qu’elle vit en ce moment et de ce qu’elle veut devenir. L’intelligence contextuelle de la personne mentore est donc particulièrement utile dans les situations interculturelles et les milieux de travail diversifiés, car elle élargit les perspectives sur plusieurs plans.
Développer un esprit flexible
Dans son récent ouvrage intitulé Elastic, l’auteur Leonard Mlodinow affirme que l’avenir appartient aux esprits souples et flexibles. Donc, aux personnes qui, dans le tourbillon de changements dans lequel le monde vit, sont capables d’adapter leur mode de pensée, en utilisant autant la logique que l’imagination, pour aborder une grande variété d’idées et de situations.
Malheureusement, notre cerveau a tendance à voir le monde à travers le prisme de ce qui a bien fonctionné dans le passé. Pire, les contextes sont souvent invisibles, surtout si ce sont des contextes familiers (Kovala, 2014). Cela peut être sous-optimal quand une nouvelle façon de penser est nécessaire pour accompagner une personne adéquatement.
À retenir par les responsables de programmes de mentorat
Les habiletés interactionnelles dans une relation mentorale, comme l’écoute active, le questionnement et le feedback ne peuvent pas s’utiliser sans tenir compte du contexte, et leur application dépend de l’intelligence contextuelle que la personne mentore possède. Chaque rencontre de mentorat peut être imprévisible et exiger qu’elle improvise ou fasse appel à son expérience et sa sagesse pour discerner les facteurs contextuels que lui apporte la personne mentorée dans le moment présent.
L’évaluation des compétences d’une personne mentore ne peut pas toujours tenir compte de tous les contextes possibles qui se présenteront en relation mentorale. Mais les responsables de programmes de mentorat doivent quand même recourir à leur jugement professionnel, même sur un nombre limité d’informations, pour déterminer si quelqu’un est assez compétent pour mentorer une personne avec un état d’esprit souple en n’essayant pas de donner « la bonne réponse », mais en amenant la personne mentorée à trouver ses propres réponses dans son univers personnel.
Références
COURCY, Julie, GAGNON, Nathalie & GAGNÉ, Andréanne (2024). Mentors’ Competence Development to Support Novice Teachers: Cross Analyzing Two Mentoring Context. In Education Applications & Developments IX (pp.134-146) inScience Press. https://doi.org/10.36315/2024eadIX11
KETS DE VRIES, Manfred (juin 2017). Why Wisdom Can’t Be Taught. Knowledge, INSEAD. https://knowledge.insead.edu/leadership-organisations/why-wisdom-cant-be-taught
KOVALA, Urpo (2014). Theories of Context, Theorizing Context. Journal of Literary Theory,8(1), 158-177. https://doi.org/10.1515/jlt-2014-0007
COX, Elaine (2023). The Contextual Imperative: Implications for coaching and Mentoring. International Journal of Evidence Based Coaching and Mentoring Vol. 1, No. 1, Été 2003.
KUTZ, Matthew R. & BAMFORD-WADE, Anita (2013). Understanding contextual intelligence: A critical competency for today’s leaders. E-Co, Vol. 15 No. 3 pp. 55-80.
KUTZ, Matthew R. (2008). Contextual Intelligence: An emerging competency for global leaders. Regent Global Business Review.
MAMPANE, Tebogo Jillian & MAMPANE, Sharon Thabo (2024). Mentoring higher education leaders and managers through contextual intelligence. BCES Conference Books, Volume 22.
SAHA, Mini (2019). Contextual Mentoring: Theory and Practice Alignment. Revue canadienne des jeunes chercheures et chercheurs en éducation - Canadian Journal for New Scholars in Education. 10(2) Automne 2019.
VINNEY, Cynthia (2020). Understanding the Triarchic Theory of Intelligence. 18 janvier 2020. Tiré de https://www.thoughtco.com/triarchic-theory-of-intelligence-4172497