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Apprendre avec les autres…

« On apprend toujours seul, mais jamais sans les autres. » C’est à Philippe Carré que nous devons cette citation. La simplicité de cet énoncé contraste avec la réalité complexe et polymorphe de l’apprentissage. Bien sûr, personne ne peut apprendre à la place de l’autre; chacun doit faire preuve d’autonomie, de détermination et d’initiative dans ses apprentissages. D’ailleurs, Carré ajoute : « On n’attend plus le savoir, on le prend ». Proactivité et compétence vont de pair! Retenons ceci : le savoir s’obtient, mais la compétence se vit : le défi est d’avoir les connaissances pour être compétent, efficace.

18 juin 2008
Claude Champagne, CRHA, et Louis Langelier, CRHA

Apprendre et se développer
Dans le tourbillon de changement du monde du travail, l’apprentissage et le développement des compétences sont d’importance stratégique pour attirer des candidats de talent, conserver et mobiliser les employés qualifiés, accroître la notoriété de l’entreprise… Comment y arriver si ce n’est en fournissant aux employés les moyens de se développer continuellement? Nous croyons en des moyens proches de l’action qui rendent les personnes aptes à résoudre des problèmes, à apprendre de leur expérience, qui leur permettent de se sentir plus compétentes et d’être plus efficaces.

Mais qu’en est-il des autres? Apprendre avec qui? Apprendre quoi au juste et comment? C’est ce que nous allons explorer dans cet article.

Discuter avec des collègues sur les moyens de rendre une procédure plus efficace. Transmettre un courriel à un groupe de pairs en vue de trouver une ressource sur un sujet particulier. Travailler en groupe en mode projet et prévoir des séances d’évaluation après des étapes cruciales. Se donner un espace de discussion pour réfléchir sur sa pratique professionnelle. Voilà autant de démarches qui construisent un savoir, améliorent l’expertise à partir de l’interaction avec autrui.

Voilà donc le réseau d’apprentissage : un regroupement, formel ou non, de personnes qui interagissent, partageant de l’information et des expériences à propos d’un objet spécifique. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil, car l’intelligence de l’humanité ne s’est pas construite seule; mais ces mécanismes de soutien et d’échange se raffinent et prennent souvent de nouvelles formes avec la technologie.

Parmi la grande variété de réseaux d’apprentissage, nous allons en considérer deux de plus près : le groupe de codéveloppement professionnel et la communauté de pratique intentionnelle.

Le groupe de codéveloppement professionnel
Le groupe de codéveloppement professionnel est une approche de groupe ouverte, collaborative et appréciative de réflexion sur l’action. Cette communauté de pratique professionnelle se compose d’un nombre restreint de personnes (généralement quatre à huit) qui veulent se donner le temps et les moyens pour s’entraider et apprendre ensemble afin de devenir plus efficaces. Ces personnes ont comme projet commun d’expliciter leurs meilleures pratiques, de se conseiller mutuellement pour élargir leur compréhension et leurs stratégies d’action concernant leurs préoccupations, problèmes et projets. Leur réflexion les mène à des actions concrètes et à un retour sur celles-ci, comme une boucle d’apprentissage. Un des moyens privilégiés pour aborder les préoccupations, problèmes et projets choisis est un exercice structuré de consultation où chacun agit à tour de rôle comme client et comme consultant.

En plein essor depuis une dizaine d’années, que ce soit dans le réseau de la santé et des services sociaux, à l’ÉNAP, dans la fonction publique fédérale et provinciale, chez Hydro-Québec, au sein des secteurs financiers, manufacturiers, universitaires et professionnels, l’approche traverse maintenant l’Atlantique. Des pratiques très similaires émergent et portent d’autres appellations : cercle de gestion, coaching par les pairs, action-formation.

Le succès du groupe de codéveloppement repose sur plusieurs facteurs : l’apparente simplicité de la démarche, le travail à partir de l’action (préoccupations et projets concrets des participants sont le matériel de base, mais un engagement à agir et un retour sur les résultats sont des leviers puissants), la rigueur de l’exercice de consultation proposé, l’intimité et la complicité créées notamment par un engagement à la confidentialité. Les participants y trouvent leur profit à la fois par les situations qu’ils exposent – et qu’ils résolvent souvent – sur leur pratique professionnelle, le soutien qu’ils trouvent auprès de pairs, l’espace d’échanges privilégié.

La communauté de pratique intentionnelle
De quoi s’agit-il? Réal Jacob (alors professeur titulaire à HEC Montréal et directeur scientifique au CEFRIO où il a dirigé une vaste expérimentation sur le sujet) définit la communauté de pratique intentionnelle ainsi : un groupe constitué en réseau d’échanges et d’apprentissage autour d’une pratique professionnelle ou d’une problématique spécifique. Ce groupe est formé de personnes désirant parfaire une pratique commune par l’échange d’idées, l’entraide mutuelle, le dialogue et la rétroaction en groupe restreint, et qui, au fil du temps, en vient à développer de nouvelles connaissances et pratiques professionnelles.

La communauté peut être virtuelle en ce sens que les échanges se font à distance en mode synchrone ou asynchrone, par l’entremise d’un collecticiel de travail.

On la dit intentionnelle parce qu’elle est volontairement créée par l’entreprise. Ces communautés de pratique sont très répandues et peuvent regrouper plus d’une centaine de personnes. Au Québec, elles se sont développées au sein de grandes organisations privées ou publiques comme Hydro-Québec, Interquisa Canada et Bell, de même que dans plusieurs ministères et organismes. La communauté de pratique des infirmières en santé du cœur s’est particulièrement illustrée pendant l’expérimentation du CEFRIO citée plus haut. Par ailleurs, la fonction publique fédérale en héberge beaucoup, de même que de nombreuses grandes entreprises mondiales telles que Siemens, Xerox, Ford, IBM pour ne nommer que celles-là.

Parmi les bénéfices recherchés par les organisations, mentionnons la résolution plus efficace des problèmes, la mise en commun et l’instauration de bonnes pratiques, la réduction des déplacements requis pour le travail de collaboration, la réduction du nombre d’erreurs répétées ou de la duplication d’efforts, la facilitation du transfert intergénérationnel ou la mise en commun d’outils, d’astuces et de trucs du métier permettant d’être plus efficaces.

Dans ces deux types de réseaux, les membres sont valorisés pour leur contribution et trouveront souvent ce petit quelque chose qui leur manquait pour apprécier plus clairement une situation : mieux comprendre pour mieux agir, trouver l’idée, et souvent même le courage pour prendre un risque et se lancer dans l’action!

Ressemblances et différences
Il y a plusieurs similitudes entre le groupe de codéveloppement et la communauté de pratique. Mentionnons la mise en place et l’utilisation d’un réseau, un référentiel commun et une expertise complémentaire, des objectifs partagés et un projet conjoint. Précisons aussi que les participants voient généralement ces formules comme des moyens de développer leur compétence et de devenir plus efficaces dans leur pratique professionnelle au quotidien, plus que comme un vecteur pédagogique d’acquisition de connaissances.

Mis à part la dimension technologique et les modalités de fonctionnement, la communauté de pratique intentionnelle et le groupe de codéveloppement professionnel diffèrent sur certains aspects. La communauté est une entité où s’échangent les savoirs; le groupe de codéveloppement professionnel est plutôt une structure construite et plus souvent associée à un projet de développement personnel. La communauté n’adopte pas nécessairement un mode structuré d’organisation et d’échanges entre les membres et ne fixe pas de limite au nombre de participants.

Par ailleurs, le groupe de codéveloppement est davantage centré sur les problématiques individuelles de ses membres et la confidentialité de leurs échanges en fait une approche plus fermée sur l’extérieur. Enfin, une différence majeure réside dans la nature du projet commun. Dans une communauté de pratique, le projet commun est très apparent, rejoignant les intérêts généraux d’un grand nombre. Dans un groupe de codéveloppement professionnel, si chaque membre est invité à se développer en interaction avec les autres, il travaille d’abord sur ses projets personnels.

Dans les deux cas, ne s’agit-il pas en somme d’un apprentissage 3J : juste assez, juste à temps, juste pour soi? C’est-à-dire d’une expérience taillée sur mesure selon les besoins de la personne, au moment où elle est motivée pour en recevoir les enseignements et les mettre en pratique dans l’action, car « on n’attend plus le savoir, on le prend ».

Prendre aussi le temps
Comme rien n’est gratuit en ce monde, considérons les exigences de ces formules. En codéveloppement, l’investissement en temps est généralement concentré en une série de demi-journées mensuelles – même si un lien permanent peut être établi entre les membres –, alors que dans la communauté de pratique, il est plus continu.

Émanant parfois d’initiatives personnelles, parfois de programmes organisationnels, le codéveloppement requiert donc le temps des participants, en plus de celui d’une personne-ressource. Selon son envergure, la communauté de pratique intentionnelle peut être plus exigeante pour l’organisation. L’entreprise verra à dégager le temps requis des participants, à outiller convenablement la communauté et à pourvoir les différents rôles requis pour son bon fonctionnement : à tout le moins un animateur et un parrain au sein de la direction. Une communauté de grande envergure pourra faire appel à de multiples compétences : experts dans les thématiques proposées, personnel de soutien informatique, documentaliste pour gérer des documents, veilleurs et chercheurs qui alimenteront la réflexion de la communauté ou faciliteront son travail. Ces rôles peuvent aussi être assumés par les membres eux-mêmes.

En plus du temps, ces formules exigent rigueur, discipline, générosité, ouverture des participants et reconnaissance de la possibilité d’apprendre avec autrui…

Conclusion
Les gens sont de plus en plus isolés et disposent de moins en moins de temps pour s’investir dans de telles démarches, et c’est encore plus vrai quand on monte dans la hiérarchie. Se donner du temps et un espace d’échanges avec d’autres s’avère d’autant plus précieux pour agir efficacement. Par ailleurs, les résultats obtenus en termes de complicité, d’accroissement d’expertise et d’apprentissages organisationnels produisent habituellement un formidable rendement de l’investissement.

On voit que l’instinct grégaire, le besoin d’appartenance de l’être humain et la synergie des échanges sont aussi à l’œuvre quand il est question d’apprendre; il importe donc d’élaborer des approches pédagogiques en conséquence. L’intelligence, comme un réseau de neurones, n’est pas un phénomène seulement individuel, elle est aussi collective. L’autre est essentiel au développement d’une personne. En plus d’enrichir et de compléter ses connaissances, il lui renvoie son image, il est partenaire de sa réalisation comme être humain.

Claude Champagne, CRHA, adjoint, Services aux cadres, CSSS de Laval, et Louis Langelier, CRHA, conseiller en gestion, KLMNOP

Source : Effectif, volume 11, numéro 3, juin/juillet/août 2008.


Claude Champagne, CRHA, et Louis Langelier, CRHA