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Une vice-présidente victime de conduites vexatoires de son président

L'ancienne vice-présidente au développement des affaires d'un entrepreneur concepteur d'immeubles a démontré qu'elle avait été victime de conduites vexatoires répétées de la part du président de l'entreprise, lequel est son ex-conjoint et le père de la responsable des ressources humaines; la plainte pour harcèlement psychologique est accueillie.
8 décembre 2025

Intitulé

Bélanger c. Proservin inc., 2025 QCTAT 3427

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Laurentides

Type d'action

Plainte en vertu de l'article 123.6 de la Loi sur les normes du travail pour harcèlement psychologique — accueillie.

Décision de

Véronique Emond, juge administrative

Date

21 août 2025


Décision

La plaignante était vice-présidente au développement des affaires pour l'entreprise de conception d'immeubles industriels et commerciaux de son conjoint (le président) — en juin 2019, ce dernier a mis fin à leur relation de longue date — la plaignante soutient que l'attitude du président à son égard a graduellement évolué au point de devenir humiliante et harcelante — elle a été congédiée le 27 juin 2022, quelques jours après avoir déposé un recours devant la Cour supérieure contre le président — la plaignante soutient que, en mars 2022, le président lui a arraché une bouteille de crème des mains et a tenu des propos blessants à son endroit devant d'autres personnes — un témoin n'ayant pas d'intérêt dans le litige a corroboré cette affirmation — cet événement hostile dépassait la simple manifestation d'impatience, d'autant plus dans le contexte où le président n'avait jamais demandé à la plaignante de cesser d'utiliser sa salle de bains — cette dernière affirme que, en avril 2022, le président aurait tenu des propos humiliants en lui reprochant son retard au bureau — un employeur a le droit d'intervenir à des fins d'assiduité — toutefois, la nature des propos et l'attitude du président dépassaient l'exercice raisonnable du droit de direction.

Au début du mois de juin 2022, la plaignante a appris qu'un poste de directeur au développement des affaires, dont le salaire et plusieurs des tâches correspondaient à son poste, avait été affiché sur Internet — l'employeur soutient qu'il s'agissait d'un poste d'agent, mais qu'un poste de directeur avait été affiché afin d'attirer de meilleurs candidats — le Tribunal peine à croire cette version — même en présumant qu'il s'agissait d'un poste d'agent, la plaignante a été tenue à l'écart de cette initiative alors qu'elle était responsable du développement des affaires — le fait qu'elle l'ait appris par hasard d'un tiers était inacceptable et humiliant — en outre, s'il s'agissait du poste de la plaignante, cela constituait un geste dénigrant de nature à la blesser et à lui faire perdre toute crédibilité dans ses fonctions — à la même époque, le président a exigé que la plaignante ne se présente plus au bureau et qu'elle effectue ses tâches en télétravail — il soutient que cela faisait suite à des plaintes d'employés en lien avec l'attitude de la plaignante, qui parlait de sa vie personnelle et exprimait des doléances à son endroit — or, l'employeur n'a pas démontré qu'un événement particulier ou nouveau était survenu de manière concomitante de l'imposition du télétravail — la plaignante a été tenue à l'écart suivant un comportement de nature vexatoire, soit l'affichage du poste de directeur au développement des affaires — la décision de l'employeur d'imposer à la plaignante de ne plus se présenter au bureau, sans justification raisonnable, était hostile — le 22 juin, tous les accès informatiques de la plaignante ont été coupés et l'employeur a exigé qu'elle rapporte son matériel — le président explique que, en recevant le recours civil de la plaignante, il a jugé nécessaire qu'elle bénéficie uniquement des accès requis par ses fonctions — le Tribunal estime qu'une telle demande, faite alors que la plaignante avait manifesté à plusieurs reprises ses craintes de perdre son emploi, ne saurait trouver de justifications fondées — la plaignante a expliqué avoir voulu récupérer ses documents personnels sur les appareils de l'employeur — le 27 juin, ce dernier a constaté que la plaignante avait effacé la totalité du contenu des appareils, y compris des documents appartenant à l'entreprise — il affirme qu'il s'agissait d'une faute grave qui justifiait une fin d'emploi — le Tribunal considère toutefois que le congédiement de la plaignante dépassait l'exercice raisonnable du droit de direction — l'effacement du contenu des appareils de l'employeur ne saurait à lui seul expliquer la fin d'emploi de la plaignante après 20 ans de service — la lettre de fin d'emploi faisait également état d'un manque de diligence dans le travail et de l'utilisation inadéquate de la carte de crédit de l'entreprise — or, la plaignante n'a jamais reçu d'évaluation de performance insatisfaisante ni n'a été avisée que son emploi était en jeu si elle ne redressait pas la situation — l'utilisation de la carte de crédit ne semble aucunement avoir fait l'objet d'une gestion officielle et adéquate — même en les cumulant, ces reproches ont tout l'air d'un prétexte pour se débarrasser d'une personne que le président voulait évacuer de sa vie professionnelle — l'employeur soutient que la plaignante avait des problèmes d'attitude — or, il n'a pas été démontré qu'elle avait adopté de tels comportements dans les semaines ou les mois ayant précédé son congédiement.

L'employeur invoque une incompatibilité entre l'attitude de la plaignante à l'égard du président et les allégations de harcèlement psychologique — le Tribunal fait une tout autre interprétation des messages texte échangés entre le moment de la rupture, en 2019, et la fin d'emploi, en 2022 — après quelques mois, il s'agissait d'échanges d'informations plutôt logistiques — les messages transmis de manière concomitante des allégations de harcèlement psychologique étaient uniquement professionnels — l'employeur soutient que la plaignante ne saurait être qualifiée de victime raisonnable, considérant son statut d'ex-conjointe délaissée — le Tribunal n'est pas de cet avis — la gravité objective des allégations prouvées et retenues parle d'elle-même — le Tribunal conclut que la plaignante a démontré avoir fait l'objet d'une conduite vexatoire — en plus d'être répétés, les propos et les comportements du président étaient hostiles et non désirés — la dignité et l'intégrité psychologique de la plaignante ont été atteintes — en janvier 2022, celle-ci a écrit au président qu'elle allait bien sur le plan personnel et qu'elle voulait s'engager dans l'avenir dans l'entreprise — cela démontre que l'atteinte était liée à la situation récente au travail et non à la rupture — plusieurs témoins ont affirmé que le milieu de travail était devenu nocif pour la plaignante — le Tribunal conclut que cette dernière a démontré avoir subi du harcèlement psychologique — l'employeur soutient que la plaignante ne l'a jamais alerté de la situation — or, il n'a pas été démontré que l'entreprise possède une politique de prévention du harcèlement assortie d'un mécanisme de plainte — même si cette politique avait existé, il ne peut être reproché à la plaignante de ne pas avoir déposé une plainte officielle — le président détient la plus haute autorité dans l'entreprise — il lui incombe de prendre les dispositions nécessaires pour assurer un environnement de travail exempt de harcèlement psychologique — la fille du président étant la responsable des ressources humaines, il aurait été illusoire de s'attendre à ce qu'elle soit proactive et qu'elle intervienne sans délai — dans les circonstances, le Tribunal conclut que l'employeur ne s'est pas acquitté de ses obligations.