Intitulé
Ville de Laval et Lazarescu, 2025 QCTAT 3589
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Laval
Type d'action
Contestation par l'employeur d'une décision ayant déclaré que le travailleur avait subi une lésion professionnelle. Contestation rejetée. Contestation par l'employeur d'une décision relative au lien de causalité. Contestation rejetée.
Décision de
Noémi Lamontagne-Girard, juge administrative
Date
29 août 2025
Le travailleur occupe un poste d'opérateur dans le secteur de l'eau potable pour la Ville de Laval. Il a produit une réclamation pour un diagnostic de trouble de l'adaptation avec humeur anxio-dépressive qu'il attribuait à du harcèlement effectué par ses employeurs. La CNESST a accepté sa réclamation et a déclaré qu'il avait subi une lésion professionnelle le 11 mars 2021. Dans une autre décision, elle a retenu que le nouveau diagnostic de dépression majeure avec humeur anxieuse était relié à la lésion professionnelle.
Décision
L'employeur prétend que le travailleur ne peut faire valoir à l'audience que la lésion professionnelle découle des circonstances exceptionnelles de son quart de travail effectué dans la nuit du 3 au 4 février 2021, car la réclamation produite à la CNESST indique que la lésion découle du harcèlement commis par des supérieurs. Or, comme le litige porte sur la reconnaissance d'une lésion professionnelle survenue le ou vers le 11 mars, le Tribunal doit tenir compte de l'ensemble des faits ayant précédé cette lésion alléguée pour statuer sur son existence. D'ailleurs, les faits au soutien de la réclamation du travailleur sont demeurés les mêmes depuis le début de ses démarches, et ce, même s'ils ne sont pas détaillés dans la réclamation. Que ce dernier les qualifie de harcèlement n'a pas d'incidence sur l'analyse que doit faire le Tribunal dans le cadre de l'application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Même lorsque les faits rapportés dans une réclamation sont différents de ceux invoqués à l'audience, le pouvoir du Tribunal n'en est pas diminué. Il appartient à ce dernier d'évaluer la force probante de ceux-ci.
Le travailleur a subi un accident du travail. Il est formé pour faire un arrêt d'urgence et repartir l'usine. Ces situations sont rares, contrairement aux pannes électriques, qui sont plus fréquentes et qui nécessitent un redémarrage. Il est habituel que les opérateurs soient seuls durant le quart de travail de nuit. Si un problème survient, l'opérateur peut faire appel au centre de gestion ou communiquer avec le superviseur en disponibilité. Le 3 février 2021, le travailleur était de retour de 2 jours de congé et des travaux au bassin d'ozonation qui avaient débuté quelques jours plus tôt engendraient des changements importants dans le processus habituel du traitement des eaux. Les témoins sont unanimes sur le fait que ce qui s'est passé cette nuit-là était inhabituel. Il ne s'agissait pas d'un arrêt d'urgence nécessitant un redémarrage, mais bien d'un «mode de survie» pendant presque toute une nuit. La preuve démontre la survenance d'un événement imprévu et soudain, compte tenu des faits particuliers de ce quart de travail, qui a commencé alors que l'usine était fragilisée. Les travaux relatifs au traitement des eaux ont été réalisés sans formation ou informations précises, outre la consigne d'être prudent. De plus, le fait que la seconde usine, sur les 3 présentes sur le territoire lavallois, ne pouvait venir en aide à celle en cause puisqu'elle faisait également l'objet de travaux, et ce, sans en avoir avisé les autres usines, ajoute à l'aspect hors du commun du quart de travail. Le travailleur croyait qu'il avait perdu les 5 étoiles de l'accréditation du Programme d'excellence en eau potable — Traitement (PEXEP-T) pendant son quart de travail et il a passé la nuit à penser aux risques que l'usine devienne non fonctionnelle pour une majorité de la population lavalloise. Ce sont des événements qui sortent du cadre normal de son travail et qui sont susceptibles d'engendrer un trouble de l'adaptation.
L'employeur prétend que, s'il est survenu un événement imprévu et soudain dans la nuit du 3 au 4 février 2021, il découle de la faute du travailleur et que, par conséquent, le Tribunal ne peut conclure à la présence d'une lésion professionnelle. Or, un événement imprévu et soudain peut être attribuable à toute cause. De plus, le régime d'indemnisation des victimes de lésions professionnelles est un régime sans faute, à l'exception d'une démonstration d'une négligence grossière et volontaire, ce que l'employeur n'invoque pas. Au surplus, la preuve démontre de manière prépondérante que l'état de l'usine était déjà compromis au moment de l'arrivée du travailleur.
Le contexte du quart de travail du 3 au 4 février est suffisant pour constituer un événement imprévu et soudain, et le Tribunal pourrait, de sa propre initiative, retenir cette date comme celle de la survenance de la lésion professionnelle. Toutefois, il ne modifie pas la date retenue par la CNESST. En effet, les événements ayant eu lieu dans les jours qui ont suivi peuvent constituer des événements imprévus et soudains et il est possible que, si l'employeur avait utilisé adéquatement son droit de direction, la lésion professionnelle ne soit pas survenue.
Le travailleur prétend s'être senti surveillé puisque, lors de son quart de travail suivant, un autre opérateur était prévu à l'horaire pour «doubler» son quart de travail. Compte tenu de ce qui s'était produit la nuit précédente et des travaux réalisés dans la journée pour remettre le bassin d'ozonation en fonction, il revenait à l'employeur d'évaluer la nécessité de son effectif. Par ailleurs, le Tribunal ne considère pas raisonnable la manière dont s'est déroulée la rencontre du 8 février 2021. Il ne relève pas d'un processus normal du droit de direction de crier contre un travailleur et de lui dire qu'il est le «pire opérateur», d'autant moins dans le contexte où une enquête était en cours et où aucune explication n'avait été donnée à ce dernier quant aux fautes qu'il aurait commises. Le lendemain de cette rencontre, le travailleur a été suspendu administrativement avec solde à des fins d'enquête. Le 12 février 2021, le directeur adjoint au service de gestion de l'eau a produit une note de service à l'attention de tout le personnel des usines d'eau potable et du centre de gestion. Il était tout à fait inadéquat que l'employeur annonce un processus disciplinaire à tous les collègues du travailleur. Dans cette même note, il indiquait qu'une enquête était en cours et que les employés allaient être rencontrés. Bien que cette note ne précise pas le nom du travailleur, celui-ci est tout à fait identifiable. D'ailleurs, à la suite de la note de service, une pétition en appui au travailleur, laquelle a été transmise à l'employeur et a été signée par environ 47 collègues, dénonçait le fait que ce qui s'était produit dans la nuit du 3 au 4 février 2021 découlait d'«une série d'événements qui se sont succédé dans les jours précédents et s'en allait inévitablement vers une catastrophe». Il est peu probable qu'une telle pétition soit produite en raison d'un quart de travail normal ou d'une situation critique qui découle de l'unique erreur d'un opérateur. Par ailleurs, la note de service laissait sous-entendre publiquement que la perte d'accréditation PEXEP-T était reliée au travailleur, alors que l'employeur savait déjà que ce n'était pas le cas. Bien que cette situation n'ait pas été connue du travailleur à cette époque, elle laisse croire au Tribunal que l'employeur n'a pas agi de bonne foi lors de la diffusion de la note de service.
Quant à la rencontre du 11 mars 2021, elle s'est déroulée dans un climat qui ne correspond pas à une rencontre d'enquête raisonnable. Le contexte des rencontres, lesquelles ont été menées de façon agressive en criant contre le travailleur ou en l'empêchant de répondre aux questions qui lui étaient adressées, tout en prétendant être dans un processus d'enquête, ne constitue pas l'exercice raisonnable du droit de direction de l'employeur. Par ailleurs, la preuve démontre de manière prépondérante que le trouble de l'adaptation découle de l'événement imprévu et soudain. Par conséquent, le travailleur a subi une lésion professionnelle.
Le diagnostic de dépression majeure avec humeur anxieuse posé en août 2021 découle du diagnostic initial de trouble de l'adaptation relié à la lésion professionnelle. Le lien de causalité est donc reconnu.