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Un suivi serré n’est pas du harcèlement

Un directeur n'a pas subi de harcèlement psychologique, ayant plutôt fait l'objet d'un suivi plus serré de la part du président puisqu'il n'avait pas atteint les objectifs fixés; il a toutefois subi un congédiement illégal en raison de sa dénonciation d'événements qu'il qualifiait de harcèlement, de sorte que la plainte (art. 122 L.N.T.) est accueillie.
1 décembre 2025

Intitulé

Véronneau et Béton provincial ltée, 2025 QCTAT 3254

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail et Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal et Richelieu-Salaberry

Type d'action

Plainte en vertu de l'article 124 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) à l'encontre d'un congédiement — rejetée.

Décision de

Michel Larouche, juge administratif

Date

1er août 2025


Décision

Le demandeur a occupé un poste de directeur régional, puis de directeur général chez l'employeur, une entreprise de béton, avant de tomber malade et de cesser de travailler — il prétend avoir été congédié sans cause juste et suffisante pendant son absence pour cause de maladie — l'employeur invoque le fait que le demandeur était un cadre supérieur et qu'il ne peut donc déposer une telle plainte ni revendiquer le droit de s'absenter pour cause de maladie — la notion de «cadre supérieur» n'est pas définie à la loi — la Cour d'appel a toutefois énoncé les critères à considérer pour déterminer si une personne salariée répond à la définition de «cadre supérieur» (Commission des normes du travail c. Beaulieu (C.A., 2001-01-09), SOQUIJ AZ-50082094, J.E. 2001-259, D.T.E. 2001T-107, [2001] R.J.D.T. 10) — à cet égard, la preuve démontre que le demandeur occupait un poste important dans l'entreprise — contrairement à ses prétentions, il n'était pas un simple gérant qui ne faisait que suivre les instructions et était plutôt responsable de tout ce qui concernait le développement des affaires, l'établissement des objectifs et la réalisation de ces derniers pour la grande région de Montréal et la région de l'Outaouais — il était détenteur d'une autorité départementale, fonctionnelle, divisionnaire ou régionale en tant qu'alter ego du président dans sa région, laquelle représentait 45 % du volume d'affaires de l'employeur dans le secteur du béton préparé — compte tenu de ses responsabilités, le demandeur était un cadre supérieur — il ne peut donc se prévaloir des dispositions prévues à l'article 124 L.N.T., lesquelles visent le congédiement sans cause juste et suffisante, ni de celles énoncées à l'article 79.1 L.N.T., qui portent sur l'absence pour cause de maladie.

Plainte en vertu de l'article 123.6 L.N.T. pour harcèlement psychologique — rejetée — le demandeur soutient avoir fait l'objet de harcèlement de la part du président — selon l'employeur, les actes en cause, lesquels sont qualifiés de «manifestations de comportements vexatoires répétés» par le demandeur, s'inscrivent dans l'exercice de son droit de direction alors que ce dernier ne répondait pas aux objectifs fixés pour sa région — la preuve démontre que le demandeur a été tenu responsable des résultats obtenus dans la région de Montréal en 2022 — or, tels étaient sa responsabilité et son rôle — il était redevable auprès du président de la fixation des objectifs et de leur réalisation — toutes les remarques du président s'adressaient à la personne responsable et elles étaient le reflet de son droit de direction — une perte de confiance envers un cadre supérieur n'équivaut pas à une manifestation de harcèlement psychologique — le demandeur a difficilement vécu la remise en question de sa capacité à diriger, mais celle-ci n'a pas été faite d'une manière vexatoire ou inacceptable — même si le demandeur a vu des attaques personnelles chaque fois que le président lui reprochait les résultats obtenus, il s'agit d'une perception erronée — plusieurs témoins ont qualifié le ton employé par le président de ferme, mais sans plus — le demandeur n'a pas été victime de harcèlement.

Plainte en vertu de l'article 122 L.N.T. pour congédiement — accueillie — le demandeur soutient avoir été congédié illégalement en raison de l'exercice d'un droit prévu à la Loi sur les normes du travail, soit la dénonciation d'un comportement assimilé à du harcèlement psychologique — puisque la plainte a été déposée dans le délai requis, une présomption en faveur du demandeur est applicable, et il appartient à l'employeur de faire la démonstration d'une autre cause juste et suffisante — à cet égard, ce dernier reproche au demandeur d'avoir fait du troc avec un client — non seulement l'employeur n'a jamais demandé la version du demandeur avant de le congédier, mais la preuve démontre qu'il a remis en cause l'intégrité de ce dernier sur la base de l'affirmation d'un client voulant qu'il ait négocié une entente, et ce, sans aucune preuve tangible à cet effet — l'une des factures produites est d'ailleurs antérieure à la seule rencontre qui s'est tenue entre le demandeur et ce client — un témoin qui était présent à cette rencontre n'a pas eu connaissance de cette entente — dans ces circonstances, l'employeur ne disposait pas d'éléments qui lui permettaient de considérer que le motif voulant que le demandeur ait conclu une entente de troc soit une cause juste et suffisante de congédiement — l'employeur reproche aussi au demandeur d'avoir avantagé un ami en lui permettant de lui faire une concurrence déloyale — or, l'employeur n'a pas cherché à obtenir la version du demandeur avant de le congédier — cette entente a également été conclue sous les yeux de tous — le demandeur n'a pas tenté de la dissimuler et le «vice-président administration», qui était proche du président, en a été officiellement informé — bien que ce dernier ait nié ce fait, il demeure qu'un courriel très précis sur cette question lui a été acheminé — on ne saurait donc voir dans cette entente connue de l'employeur une autre cause juste et suffisante de congédiement — par conséquent, l'employeur n'a pas repoussé la présomption selon laquelle il a congédié le demandeur en raison de l'exercice par ce dernier d'un droit prévu à la loi — les parties seront convoquées de nouveau pour entendre leurs arguments au regard d'une ordonnance de réintégration.

Contestation par l'employeur d'une décision ayant déclaré que le demandeur avait subi une lésion professionnelle — rejetée — les notions de «harcèlement psychologique» et de «lésion professionnelle» sont différentes et relèvent de lois différentes — les recours exercés suivant chacune de ces notions font l'objet d'analyses distinctes en fonction de grilles d'analyse qui leur sont propres — ainsi, le fait que le Tribunal ne reconnaisse pas la présence de harcèlement psychologique n'élimine pas la possibilité de reconnaître que le travailleur a subi une lésion professionnelle, ce qui est le cas en l'espèce — tous les témoins entendus lors de l'audience confirment que l'année 2022 a été différente et difficile pour la région de Montréal — pour la première fois, le président devait s'immiscer dans les affaires courantes — les méthodes qui fonctionnaient jusque-là ne donnaient plus de résultats et il fallait constamment chercher de nouvelles solutions — cette situation a créé un stress chez les employés et la direction, voire un climat toxique de travail, selon l'un des témoins — des directeurs en sont presque venus aux coups lors d'une rencontre virtuelle avec le président — de telles situations sortent de l'ordinaire — le demandeur a témoigné avoir toujours eu à coeur le bien-être de ses employés et avoir dû faire face à un conflit de loyauté — obtempérer à la demande du président de modifier la structure aurait entraîné le départ de l'un d'eux — la CNESST a reconnu que le demandeur avait été victime d'une lésion professionnelle, soit un trouble de l'adaptation avec humeur anxiodépressive, et les parties admettent que la série d'événements survenus en 2022 constitue un événement imprévu et soudain — le Tribunal abonde dans le même sens — les médecins au dossier ont également retenu que la condition psychologique du demandeur découlait des événements survenus au travail.