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Contestation par l'employeur d'une décision relative à un partage des coûts

Les failles relevées dans l'opinion médicale de la professionnelle de la santé de l'employeur, en raison de leur nature, de leur nombre et de leur gravité, ne font pas qu'en compromettre la force probante, mais la rendent irrecevable; l'effet préjudiciable qu'est susceptible d'avoir cette opinion sur l'issue du litige l'emporte sur son utilité.
23 décembre 2025

Intitulé

Centre de services scolaire de Montréal, 2025 QCTAT 3689

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Montréal

Type d'action

Contestation par l'employeur d'une décision relative à un partage des coûts. Contestation rejetée.

Décision de

Danielle Tremblay, juge administrative, et Dre Noémie Doyon-Gamache, assesseure

Date

5 septembre 2025


En 2018, la travailleuse a subi une lésion professionnelle après avoir fait une chute sur la glace. L'employeur a demandé un partage d'imputation au motif que la travailleuse était déjà handicapée au moment de la survenance de sa lésion. La CNESST a rejeté la demande. Afin d'étayer sa demande, l'employeur a déposé au Tribunal l'avis médical sur dossier d'une professionnelle de la santé. Le Tribunal invoque d'office la question de la recevabilité de cette opinion médicale.

Décision

Dans l'arrêt R. c. Mohan (C.S. Can., 1994-05-05), SOQUIJ AZ-94111042, J.E. 94-778, [1994] 2 R.C.S. 9, la Cour suprême du Canada a indiqué que la recevabilité de la preuve d'expert repose sur la pertinence de celle-ci, la nécessité d'aider le juge des faits, l'absence de toute règle d'exclusion et la qualification suffisante de l'expert. L'article 237 du Code de procédure civile prévoit que l'expert qui ne possède pas les compétences requises ou qui manque gravement à ses devoirs puisse, à l'initiative du Tribunal ou sur demande de l'une ou l'autre des parties, être désavoué. Dans Du Sablon c. Groupe Ledor inc. (C.S., 2016-11-08), 2016 QCCS 5469, SOQUIJ AZ51340891 EYB 2016-272730, la Cour supérieure a rappelé qu'il est du devoir du décideur de traiter les irrégularités, les erreurs graves ou la partialité de l'expert dès qu'il en fait le constat, à l'étape de la recevabilité, plutôt que de reporter cette analyse au moment de l'appréciation du fond du dossier. En l'espèce, le comportement ainsi que les réponses de la professionnelle de la santé de l'employeur au sujet de ses qualifications professionnelles compromettent la crédibilité ainsi que la fiabilité de son témoignage. Ses réponses, notamment au sujet de sa pratique, manquent de transparence. D'autres sont évasives ou imprécises. Puisque la professionnelle de la santé de l'employeur ne possède pas de certification de spécialiste en psychiatrie, en orthopédie ni dans le domaine musculo-squelettique, elle n'aurait pas dû se présenter de la sorte. De tels propos ne peuvent faire autrement que d'induire le Tribunal en erreur ou de le tromper sur la nature de son expertise. Par ailleurs, le Tribunal n'accorde aucune valeur probante ni aucune fiabilité aux déclarations que la professionnelle de la santé de l'employeur fait au sujet de sa pratique, de son expérience et de ses connaissances. Puisqu'elle n'a pas démontré être en mesure d'éclairer le Tribunal au sujet de la santé mentale et physique de la travailleuse, elle ne se qualifie pas à titre d'experte.

Bien que le refus de qualifier la professionnelle de la santé de l'employeur à titre d'experte rende à lui seul son opinion irrecevable, il serait préjudiciable pour l'administration de la justice de ne pas discuter des failles subséquentes, tout aussi importantes et graves, notées par le Tribunal. Celles-ci compromettent tout autant, sinon davantage, la recevabilité de son opinion. Le rapport de la professionnelle de la santé de l'employeur, en y ajoutant les articles médicaux, fait plus de 250 pages, ce qui n'est pas concis. Il est inapproprié pour un expert d'inonder le Tribunal d'informations superflues. La valeur et l'utilité de l'avis de l'expert dépendent bien plus de la qualité des liens qu'on y fait que du nombre d'articles qui l'accompagnent. Une telle façon de procéder n'est pas conforme à ce qui a été établi dans les Attentes relatives au rôle des experts du Tribunal administratif du travail (Québec, Tribunal administratif du travail, Attentes relatives au rôle des experts, Québec, le Tribunal, 2016, 6 p.), et ne répond pas non plus aux attentes énoncées dans le guide du Collège des médecins (Collège des médecins du Québec et Barreau du Québec, Guide d'exercice — La médecine d'expertise: l'évaluation médicale indépendante et l'expertise médicale, Montréal, le Collège, 2021, 72 p.). L'avis d'un expert qui ne précise pas les déficiences applicables, aux fins d'une demande de partage de l'imputation, et qui laisse le soin au Tribunal de le faire, manque de clarté.

Le diagnostic de santé mentale posé par la professionnelle de la santé de l'employeur ne repose pas sur une démarche sérieuse, rigoureuse et objective. Les déficiences de la démarche médicale sont d'autant plus préoccupantes qu'elles mènent à un diagnostic manifestement erroné. Le contenu de son rapport ainsi que son témoignage démontrent que la professionnelle de la santé de l'employeur n'utilise pas une approche méthodique, structurée et critique, à laquelle le Tribunal s'attend pourtant d'un expert lorsqu'il commente la littérature médicale. Quant à ses conclusions au sujet des signes de non-organicité et de leur lien avec la santé mentale, elles ne constituent pas une opinion médicale, mais plutôt une opinion personnelle, de nature purement spéculative. Le rôle de l'expert n'est pas de formuler des hypothèses susceptibles de favoriser la thèse de l'employeur. Il s'agit plutôt de circonscrire celles qui se dégagent des faits documentés au dossier administratif, qui ont ou qui n'ont pas cet effet. L'opinion de la professionnelle de la santé de l'employeur, parce qu'elle n'est ni objective ni impartiale, s'apparente plus à un argumentaire qu'à un avis médical, ce qui est suffisant pour la considérer comme irrecevable. Le danger associé à l'admissibilité de son témoignage l'emporte nettement sur son utilité. Par conséquent, l'ensemble de son témoignage ainsi que son avis écrit, portant notamment sur la fragilité psychologique de la travailleuse et sur l'identification des déficiences ainsi que son écart avec la norme biomédicale sont irrecevables.

L'employeur soutient que la travailleuse est porteuse de déficiences qui affectent sa condition psychique, son membre supérieur gauche ainsi que sa colonne vertébrale, cervicale et lombaire. Le Tribunal ne peut tenir compte des 2 premières circonstances invoquées en raison de l'irrecevabilité de l'avis de la professionnelle de la santé de l'employeur, sur laquelle la démonstration de la déficience s'appuie. Quant aux multiples antécédents de douleur chronique de la travailleuse, qui touchent sa colonne cervicale et lombaire, ils constituent une déficience. Il n'est toutefois pas possible de départager l'effet de cette déficience et les autres diagnostics de la lésion professionnelle. L'employeur n'a pas démontré l'existence d'un handicap qui lui permettrait de bénéficier d'un partage de l'imputation.