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Congédiement, personne salariée, travailleuse autonome

La plaignante, une avocate, est une salariée qui a fait l'objet d'un congédiement sans cause juste et suffisante; bien que sa relation avec son employeur, un cabinet d'avocats, n'ait jamais été documentée par écrit, il existait un lien de subordination juridique entre eux, alors que ce dernier exerçait toujours un certain contrôle sur le travail qu'elle accomplissait.
4 décembre 2025

Intitulé

Dumais c. Jean-Charles Phillips avocat inc., 2025 QCTAT 3180

Juridiction

Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Outaouais

Type d'action

Plaintes en vertu des articles 122 et 124 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) à l'encontre d'un congédiement — accueillies.

Décision de

Véronique Girard, juge administrative

Date

1er août 2025


Décision

la plaignante, une avocate, prétend que l'employeur, un cabinet d'avocats, l'a congédiée en raison de son absence pour cause de maladie — elle affirme également avoir fait l'objet d'un congédiement sans cause juste et suffisante — selon l'administrateur du cabinet, les plaintes sont irrecevables puisque la plaignante n'est pas une salariée, mais une travailleuse automne — les critères permettant de déterminer si une personne est un salarié ou un entrepreneur indépendant ont été résumés dans Kadoch c. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Ouest-de-l'Île-deMontréal (T.A.T., 2022-03-18), 2022 QCTAT 1326, SOQUIJ AZ-51839667, 2022EXPT-1002 — on y mentionne notamment la prestation de travail, la rémunération, le contrôle de l'exécution du travail, la propriété des outils de travail et la possibilité de profits ou de pertes — à cet égard, la nature de la relation entre la plaignante et le cabinet d'avocats n'a jamais été documentée par écrit — l'analyse globale de ces différents critères penche cependant en faveur de l'existence d'un lien de subordination juridique entre eux — en effet, même si la plaignante jouissait d'un niveau d'autonomie appréciable dans la conduite de ses dossiers et la gestion de son temps en raison de la nature de son travail, elle accomplissait toujours celui-ci sous un certain contrôle de l'administrateur — le cabinet lui fournissait tous ses outils de travail — de plus, le mode de rémunération retenu par les parties, lié au rendement et à des primes, et le fait de supporter des dépenses n'empêchent pas de reconnaître la rémunération que recevait la plaignante à titre de salaire dû pour son travail — par conséquent, celle-ci était une salariée au sens de la Loi sur les normes du travail et le cabinet d'avocats, son employeur — il en découle que, lorsque, le 19 janvier 2023, l'employeur a écrit à la plaignante pour l'informer qu'il devait mettre un terme à sa relation d'affaires à la fin de sa convalescence, il l'a congédiée au sens de cette même loi — par ailleurs, puisqu'il y a concomitance entre le droit exercé par la plaignante, son absence pour maladie et son congédiement, cela donne ouverture au bénéfice de la présomption de congédiement illégal — il appartient donc à l'employeur de prouver que le congédiement a été effectué pour une cause sérieuse — à cet égard, l'absence de transfert de dossiers avant son départ en convalescence est l'un des principaux reproches formulés par l'employeur à l'égard de la plaignante — selon lui, il s'agit d'un manque flagrant à ses obligations déontologiques — l'attitude et la bouderie de l'employeur n'ont pas facilité les choses pour le transfert des dossiers — il s'est ainsi dégagé de toute responsabilité par rapport à la gestion de l'absence de la plaignante et au suivi de ses dossiers — on ne peut cependant retenir la prétention de la plaignante selon laquelle son inaction s'explique par son statut de salariée — comme avocate et professionnelle, vu le niveau d'autonomie dont elle jouissait dans son travail, elle devait, peu importe son statut, s'assurer que les dossiers dont elle avait la charge ne demeuraient pas sans suivi durant son absence — elle aurait dû laisser au bureau ou sur le réseau informatique du cabinet sa liste de dossiers en cours, y compris un résumé ainsi que les actions imminentes à entreprendre et les délais à respecter — il était également de sa responsabilité d'effectuer un suivi régulier de ses courriels ou de s'assurer que quelqu'un le ferait pour elle — son comportement ne peut être excusé par le fait qu'elle attendait qu'on l'appelle en cas de problème — il s'agit d'une faute de sa part — par ce fait, l'employeur a démontré une conduite insouciante de la plaignante durant son absence — il s'agit d'un motif qui ne constitue pas un prétexte pour se départir d'elle en raison de sa convalescence — l'employeur a également invoqué la négligence de la plaignante dans ses suivis, en mettant en preuve l'ensemble des lacunes relevées dans chacun des dossiers — les explications fournies par la plaignante pour expliquer son inaction dans certains dossiers sont peu convaincantes — bien qu'ils aient été découverts pour la plupart durant la convalescence, ces problèmes sont survenus antérieurement à celle-ci — l'employeur a démontré un motif réel au soutien sa décision de se départir de la plaignante, lequel ne constitue pas un prétexte en lien avec son absence pour cause de maladie — en ce qui concerne le rendement insuffisant, les versions des parties sont contradictoires quant à l'existence d'une entente intervenue en juin 2022 pour que la plaignante n'entreprenne pas de dossiers majeurs avant son intervention chirurgicale — la preuve démontre toutefois que l'employeur a abordé la nécessité d'un plan de redressement avec cette dernière à la fin du mois d'août 2022, alors qu'elle était sur le point de se faire opérer et ne serait assurément pas en mesure de remédier à la situation avant sa convalescence — à l'aube de celle-ci, l'employeur a modifié unilatéralement son mode de rémunération et a mis fin à son emploi quelques jours avant son retour sans qu'une réelle discussion ait eu lieu et avant que la plaignante n'ait pu lui présenter un plan de redressement — dans ces circonstances, on ne peut retenir la prétention de l'employeur selon laquelle les reproches concernant la rentabilité de la plaignante ne sont aucunement liés à cette absence — or, dès qu'un motif prohibé joue un rôle dans la décision de congédier une personne salariée, la mesure est irrémédiablement viciée sans qu'il soit nécessaire de déterminer dans quelle proportion il y a contribué — dans la mesure où la plainte pour pratique interdite est accueillie, celle fondée sur l'article 124 L.N.T. doit connaître le même sort — en effet, un motif illicite ne peut constituer une cause juste et suffisante pour mettre fin à l'emploi d'un salarié ni cohabiter avec une telle cause — vu la preuve administrée, il est toutefois utile de procéder à l'analyse des motifs invoqués par l'employeur sous cet angle afin d'évaluer si la plaignante a commis une faute grave permettant à ce dernier de procéder à son congédiement sans l'informer préalablement d'une conduite à corriger au moyen de sanctions progressives — contrairement à ce que soutient l'employeur, la preuve ne révèle aucune faute d'une gravité telle qu'elle aurait conduit irrémédiablement à la rupture du lien de confiance — il n'est pas question de malhonnêteté ni de 1 seule conduite impardonnable — l'employeur invoque plutôt un ensemble de faits l'ayant amené à conclure que la présence de la plaignante au cabinet nuisait à sa crédibilité et à sa réputation — le problème est qu'il n'a jamais eu de conversation franche avec la plaignante au sujet de ses insatisfactions — il s'est contenté de bouder et de la regarder s'enfoncer pour finalement mettre un terme à son emploi après avoir constaté, durant sa convalescence, que sa façon de travailler n'était pas à la hauteur de ses attentes — ce n'est pas parce que l'employeur regroupe l'ensemble des comportements reprochés survenus au cours des derniers mois, voire des dernières années, sans qu'il soit jamais intervenu, que ceux-ci acquièrent le statut de faute grave — n'ayant jamais discuté avec la plaignante des problèmes relevés, l'employeur ne peut non plus soutenir qu'elle n'aurait pu corriger son comportement à la suite d'une sanction autre que la peine capitale ou d'un véritable plan de redressement qu'il aurait établi — le congédiement est annulé — la plaignante considère que sa réintégration est impossible, tout comme l'employeur, et la preuve confirme leurs prétentions selon lesquelles une ordonnance de réintégration serait vouée à l'échec — il s'agit d'un cabinet de petite taille, quasi familial, où une grande confiance doit régner entre les parties — cette confiance n'existe plus entre les parties — il n'est pas dans l'intérêt de la justice que la réintégration soit ordonnée.