Intitulé
Grégoire et CPE l'Apprenti-Sage, 2025 QCTAT 773
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Yamaska
Type d'action
Contestation par la travailleuse d'une décision relative à une plainte en vertu de l'article 32 Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). Contestation accueillie.
Décision de
Josée Picard, juge administrative
Date
20 février 2025
La travailleuse, une éducatrice, a subi une lésion professionnelle et a dû s'absenter du travail du 13 avril au 11 décembre 2022. Lors de ses vacances, l'année suivante, elle a constaté que son indemnité de congé annuel était moindre que celle versée habituellement. On lui a expliqué que ce résultat découlait du calcul prévu dans la convention collective, alors que son salaire brut avait été inférieur à celui des années antérieures. Considérant qu'il s'agissait d'une mesure de représailles en raison de sa lésion professionnelle, la travailleuse a déposé la présente plainte. À son avis, l'application de la disposition de la convention collective qui prévoit le calcul de l'indemnité de congé annuel va à l'encontre de l'article 242 LATMP. Le médiateur-décideur a déclaré sa plainte irrecevable.
Décision
Afin qu'une plainte soit recevable, elle doit répondre à 5 critères. À cet égard, 4 d'entre eux sont admis par les parties et ont été démontrés par la preuve, soit que la travailleuse est une travailleuse au sens de la loi, qu'elle a été victime d'une lésion professionnelle, qu'aucun grief n'est actif et que sa plainte a été déposée dans le délai prévu. En ce qui concerne le cinquième élément, soit la présence d'une mesure de représailles, l'avis des parties est partagé quant l'interprétation que doit recevoir de l'article 242 LATMP. Cette disposition prévoit que le travailleur «qui réintègre son emploi [...] a droit de recevoir le salaire et les avantages aux mêmes taux et conditions que ceux dont il bénéficierait s'il avait continué à exercer son emploi pendant son absence». Son interprétation a mené à 2 courants jurisprudentiels, dont le premier considère la période d'absence qui survient à la suite d'une lésion professionnelle comme s'il s'agissait de temps travaillé, alors que le second ne considère pas cette période afin de déterminer le salaire et les avantages auxquels un travailleur a droit lors de son retour au travail. Il est vrai que, devant la CALP et la CLP, le courant favorisant la thèse de l'employeur, soit celle de ne pas retenir cette période, semble retenu par la majorité des décideurs. Les décisions adoptant l'autre courant, dit minoritaire, demeurent tout de même raisonnables et n'ont pas justifié l'intervention des tribunaux supérieurs. En 2016, un litige portant sur l'interprétation de l'article 242 LATMP a été porté devant la Cour supérieure. Bien que cette dernière ait conclu que le courant minoritaire était rationnel et, donc, raisonnable, une lecture de sa décision permet de déceler qu'elle était en désaccord avec cette position. Or, malgré cette réserve, le courant majoritaire n'a pas pris de l'ampleur, au contraire. Depuis cette décision, on constate un nombre légèrement supérieur de décisions qui adoptent le courant minoritaire. Il est donc maintenant risqué d'affirmer que le courant auquel l'employeur adhère est toujours fortement majoritaire, considérant le faible nombre de contestations à ce sujet portées devant le Tribunal dans les dernières années et le résultat partagé des décisions rendues depuis de la décision de la Cour supérieure.
Le présent tribunal souscrit au courant jurisprudentiel prôné par la travailleuse et conclut que l'application par l'employeur du calcul prévu à la convention collective pour la fixation de l'indemnité de congé annuel le conduit à contrevenir à l'article 242 LATMP. En effet, cette disposition vise à régir les situations postérieures au retour au travail, compte tenu des termes «le travailleur qui réintègre son emploi». Cet article cherche donc à établir le salaire et les avantages auxquels le travailleur a droit lors de son retour au travail. Il n'a pas de portée rétroactive. Pour appuyer ses prétentions, l'employeur se réfère à l'article 235 LATMP. Selon lui, puisque l'indemnité de congé annuel n'y est pas expressément mentionnée, la travailleuse ne peut prétendre qu'elle s'est accumulée au cours de son absence en raison de sa lésion professionnelle en 2022. Or, le Tribunal considère que cet article n'est pas utile dans son analyse. En effet, la travailleuse ne réclame pas un avantage qui a été «accumulé» pendant son absence en 2022. Sa demande vise plutôt le versement, après son retour au travail, de son indemnité de congé annuel pendant ses vacances qui ont été prises entre le 1er avril 2023 et le 31 mars 2024. Il n'est donc pas approprié d'utiliser le terme «cumul» de vacances. En effet, les 20 jours de vacances auxquels la travailleuse a droit ne sont pas des jours de vacances «accumulés» au cours de l'année de référence 2022-2023. La durée du congé annuel est plutôt déterminée en fonction du nombre d'années de service continu chez l'employeur à une date précise, soit le 31 mars. Quant au montant correspondant à l'indemnité de congé annuel devant être versée, le fait qu'il soit calculé sur la base du salaire annuel gagné au cours de la période précédente ne fait pas en sorte qu'il devient un avantage qui s'accumule au cours d'une année de référence antérieure pour ensuite en bénéficier l'année suivante. Le salaire brut gagné ne constitue qu'une donnée utilisée aux fins du calcul de l'indemnité. En outre, le présent tribunal rejette l'argument de l'employeur voulant que la travailleuse ait déjà bénéficié de l'indemnité de congé annuel réclamée, compte tenu du versement de l'indemnité de remplacement du revenu (IRR). Bien qu'il soit vrai que l'IRR versée à la travailleuse en 2022, lors de son absence, comprend, en partie, une indemnité de congé annuel, la présente plainte ne couvre pas la même période puisqu'elle vise l'indemnité qui doit lui être versée en 2023, après son retour au travail. Un autre élément milite en faveur de l'interprétation retenue. En effet, la Loi sur les normes du travail prévoit qu'une absence pour un congé de maternité ou de paternité ou une absence maximale de 26 semaines découlant d'une maladie, d'un don d'organes ou de tissus à des fins de greffe, d'un accident, de violence conjugale ou de violence à caractère sexuel ou encore d'un préjudice corporel grave à la suite d'un acte criminel ne doit pas avoir pour effet de diminuer l'indemnité de congé annuel à laquelle une personne salariée a droit. Or, il serait curieux que le législateur ait voulu créer un régime moins avantageux pour les travailleurs qui s'absentent en raison d'une lésion professionnelle que pour ceux qui s'absentent pour une blessure ou une maladie qui ne découle pas d'une telle lésion. Par conséquent, le Tribunal conclut à l'existence d'une mesure de représailles exercée à l'endroit de la travailleuse.
La présomption prévue à l'article 255 LATMP trouve application en l'espèce puisque la mesure de représailles a été exercée moins de 6 mois après son retour au travail. L'employeur n'a démontré aucune autre cause juste et suffisante à l'application de cette mesure. Bien qu'il se soit appuyé de bonne foi sur une clause de la convention collective aux fins du calcul de l'indemnité de congé annuel à verser à la travailleuse, il demeure que cette clause va à l'encontre de l'article 242 LATMP, qui est d'ordre public et qui doit avoir préséance. L'employeur doit donc verser à la travailleuse l'indemnité à laquelle elle aurait eu droit, n'eût été son absence pour lésion professionnelle. Par ailleurs, le présent tribunal précise qu'il est conscient que sa position quant à l'interprétation de l'article 242 LATMP est à l'opposé de celle retenue par un arbitre de griefs dans une décision récente mettant en cause la même convention collective, mais visant 2 autres travailleuses. Il n'est toutefois pas lié par une telle sentence arbitrale.