Intitulé
Janicki c. 11931814 Canada inc., 2024 QCTAT 3049
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division des relations du travail (T.A.T.), Montréal
Type d'action
Plaintes en vertu des articles 122 et 123.6 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) à l'encontre d'une pratique interdite et pour harcèlement psychologique — accueillies.
Décision de
Jean Paquette, juge administratif
Date
26 août 2024
Décision
Le plaignant, un artiste conceptuel et citoyen français, soutient que, après avoir réclamé ses bulletins de paie, l'employeur, une entreprise de production de jeux vidéo, lui a reproché sa façon de les demander en adoptant une conduite qui constitue à la fois une pratique illégale et du harcèlement psychologique — le plaignant a ensuite remis sa démission, mais affirme que celle-ci a été induite par les agissements de l'employeur, ce qui constitue un congédiement déguisé — les conditions d'exercice du recours de la plainte pour pratique interdite sont remplies — en effet, le plaignant était un salarié de l'employeur, il a exercé un droit qui résulte de la loi en demandant de recevoir ses bulletins de paie, il a subi des mesures de représailles de la part de sa supérieure immédiate en raison de cette demande et ces représailles ont fait en sorte qu'il a dû remettre sa démission pour s'exclure d'un climat de travail toxique — il s'agit là d'un congédiement déguisé en raison des agissements de la supérieure immédiate — il existe également une concomitance dans le temps entre l'exercice du droit, les représailles de l'employeur et ce congédiement déguisé — en ce qui a trait au délai pour déposer la plainte, bien que le formulaire ait été déposé 49 jours après le départ du plaignant, ce dernier a mis en preuve, par des échanges de courriels, qu'il a fait valoir ses droits auprès de la CNESST à l'intérieur du délai requis de 45 jours en transmettant sa version des faits et des documents à la demande d'une inspectrice-enquêteuse — le plaignant bénéficie donc de la présomption voulant qu'il ait subi des représailles de l'employeur ayant entraîné son congédiement déguisé en raison de l'exercice d'un droit résultant de la loi — cette présomption n'a pas été repoussée puisque l'employeur a omis de se présenter à l'audience et n'a ainsi pas établi une autre cause juste et suffisante.
En ce qui concerne la plainte pour harcèlement psychologique, l'analyse de la preuve démontre que la supérieure immédiate du plaignant a manifesté à son égard des comportements hostiles et non désirés et qu'elle a tenu des propos de même nature, alors qu'elle l'a appelé et lui a parlé de façon agressive en hurlant et en lui reprochant la façon dont il a demandé ses bulletins de paie — cette dernière a ensuite tenu une réunion d'équipe au cours de laquelle elle a cherché à intimider le plaignant devant tous ses collègues — elle l'a aussi rencontré dans son bureau au vu de tous et elle lui a répété sur un ton furieux qu'il n'était pas dans ses droits et qu'elle allait non seulement lui nuire, mais aussi le détruire, et ce, en frappant sur la table — ces conduites constituent des abus de pouvoir de sa part, lesquels ne peuvent se justifier par l'exercice légitime des droits de direction — il s'agit d'une conduite vexatoire qui a porté atteinte à la dignité du plaignant, mais aussi à son intégrité psychologique — cette conduite a entraîné un milieu de travail néfaste, voire toxique, pour le plaignant, de telle sorte qu'il a dû s'absenter du travail immédiatement après la deuxième rencontre et qu'il a remis sa démission dès le lendemain — dans ces circonstances, le plaignant a été victime de harcèlement psychologique — en outre, l'employeur n'a pu démontrer qu'il avait pris des moyens raisonnables pour prévenir ou faire cesser le harcèlement psychologique puisque la supérieure immédiate, qui est la présidente de l'employeur, est celle qui a harcelé le plaignant.
Quant aux mesures de réparation appropriées, le plaignant a renoncé à sa réintégration et le Tribunal estime qu'elle ne serait pas viable en raison des conduites vexatoires de la supérieure immédiate — l'entreprise ne semblant d'ailleurs plus active, il ne serait donc pas possible ni approprié d'ordonner une telle réintégration — une indemnité pour perte d'emploi est donc accordée pour compenser l'impossibilité de la réintégration — à cet égard, la somme réclamée de 2 769 $ pour 2 semaines de travail est accordée, laquelle porte intérêt au taux légal, plus l'indemnité additionnelle depuis le dépôt de la plainte jusqu'à la présente décision puisqu'il s'agit d'une indemnité compensatoire — le Tribunal accorde également la somme de 15 840 $ réclamée par le plaignant pour 11 semaines de salaire et autres avantages (indemnité de congé annuel), ce dernier n'ayant pas trouvé de travail par la suite et ayant décidé de retourner vivre en France — comme il s'agit d'une indemnité compensatoire, cette somme porte intérêt au taux légal et est assortie de l'indemnité additionnelle, divisée par 2, depuis le dépôt de la plainte jusqu'à la présente décision — selon la preuve, cette indemnité est raisonnable et, dans le contexte, la réduction des dommages n'était pas possible — une somme de 7 500 $ est aussi accordée pour les dommages moraux, le plaignant ayant notamment affirmé avoir subi une perte de confiance en soi et une dépression et avoir dû faire un suivi médical et psychologique durant au moins 1 an — cette indemnité étant également compensatoire, elle porte intérêt au taux légal et est assortie de l'indemnité additionnelle depuis le dépôt de la plainte jusqu'à la présente décision — en ce qui concerne les dommages punitifs, la somme réclamée de 2 500 $ est accordée — considérant que le harcèlement psychologique provenait de la présidente de l'employeur, le Tribunal doit indiquer clairement qu'il s'agit de conduites qui ne peuvent être tolérées en milieu de travail — cette somme porte intérêt au taux légal et est assortie de l'indemnité additionnelle à partir de la présente décision puisqu'il ne s'agit pas d'une indemnité compensatoire.