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Comment mieux miser sur le bien-être au travail?

Les organisations s’efforcent de mettre en place des programmes santé et mieux-être. Pourtant, un chercheur britannique vient balayer ces mesures d’un revers de la main. Faut-il changer d’approche?
4 août 2025
Fanny Rohrbacher

Chaque semaine au Canada, c’est un demi-million de personnes qui s’absentent du travail pour des enjeux de santé mentale[1]. La firme Deloitte estime un coût économique annuel faramineux d’au moins 50 milliards de dollars. Sans compter les coûts indirects liés à la perte de productivité, attribuable à l’absentéisme et au présentéisme.

Alors que l’Organisation mondiale de la Santé appelle les milieux de travail à agir rapidement afin de faire face à la crise de la santé mentale[2], ce sujet de préoccupation ne cesse de croître pour celles et ceux désireux de pratiquer une gestion bienveillante.

Une mosaïque d’initiatives

Cours de tai-chi, de cuisine, séminaire de pleine conscience, conditionnement physique, pratique artistique… Les organisations promeuvent déjà abondamment les programmes de santé et mieux-être au travail, qui s'articulent autour de quatre axes principaux : la santé sociale, la santé physique, la santé financière et la santé psychologique.

« Réduire l’absentéisme, le présentéisme et les invalidités; attirer et fidéliser les meilleurs talents; augmenter le niveau d’énergie, la productivité et l’engagement du personnel; contrôler les coûts des soins de santé et ceux du régime d’assurance collective » sont autant d’avantages découlant de tels programmes, selon l’Étude Salveo[3]. Cette analyse sur la santé mentale au travail, qui a été menée auprès de 2 100 personnes salariées de 63 organisations de toutes tailles, est l’une des plus importantes jamais réalisées au Canada.

Malgré un grand nombre d’études scientifiques solides prouvant que ces pratiques procurent des effets positifs, des spécialistes remettent en question leur réelle efficacité.

Le pavé britannique dans la mare

Au début de 2024, le chercheur britannique William Fleming, de l’Université d’Oxford, jetait un pavé dans la mare. « Pratiques de relaxation, gestion du temps, coaching, programmes de bien-être financier, applications de bien-être, coaching en ligne, événements et applications de sommeil… » Aucune de ces offres n’a eu d’effet positif notable sur les 46 000 personnes participantes des 233 organisations, conclut son étude[4] publiée dans Industrial Relations Journal. Pire encore : les formations sur la résilience et la gestion du stress semblent même avoir engendré des effets négatifs! Parmi les 90 pratiques examinées, le chercheur encercle une seule exception : les travailleurs et les travailleuses ayant eu la possibilité de s'engager dans des activités caritatives ou bénévoles semblent avoir constaté une amélioration de leur bien-être.

Les chercheuses en santé mentale Jazz Croft, Acacia Parks et Ashley Whillans ont réagi à ce sujet dans Harvard Business Review[5]. Les pratiques superficielles qualifiées de carewashing, l’hypocrisie et le désengagement, la faible utilisation des programmes d’aide aux employés, ainsi que le manque d’engagement des employeurs, pourraient expliquer l’inefficacité des initiatives en matière de santé et de bien-être. Alors, comment faire mieux?

Vers une approche holistique

William Fleming, Jazz Croft, Acacia Parks et Ashley Whillans appellent les organisations à se concentrer avant tout sur la gestion de la charge de travail et la formation des équipes de direction quant aux questions de santé mentale. Les trois chercheuses encouragent les milieux de travail à adopter une approche globale. Elles invitent à aller au-delà des applications de bien-être et des formations de gestion du stress, qui restent centrées uniquement sur l’individu et négligent les causes profondes selon elles.

Bien que Pierre Durand, auteur de l’étude canadienne Salveo, ne soit pas aussi catégorique, il affirme que son équipe a « obtenu des résultats comparables qui indiquent que les interventions organisationnelles semblaient plus efficaces pour prévenir les problèmes de santé mentale ou de bien-être que les interventions politiques ou individuelles ». Le chercheur est également professeur à l'École de relations industrielles de l'Université de Montréal, et membre de l'Observatoire sur la santé et le mieux-être au travail.

Si l’environnement de travail est source d’anxiété, les organisations préoccupées par le bien-être de leur personnel devraient privilégier des modifications structurelles, telles que la gestion des horaires, la rémunération et la révision des évaluations de performance, plutôt que d’offrir le nec plus ultra des programmes de santé et mieux-être. Les personnes salariées se sentiraient ainsi davantage soutenues, comprises et encouragées, améliorant ainsi le climat de travail et la motivation.

Les piliers de la culture du bien-être

Pour des programmes en santé et mieux-être performants et durables, il est essentiel de considérer six principes. Pierre Durand réfère à un article paru dans Harvard Business Review[6], qu’il qualifie d’un « classique ».

Pilier 1 : L’engagement à tous les échelons

La direction et les gestionnaires s’investissent véritablement et soutiennent activement les mesures en santé et mieux-être. De leur côté, les responsables des programmes conçoivent des pratiques adaptées pour favoriser une participation active et durable du personnel.

Pilier 2 : L’alignement

Les initiatives de santé s’accordent avec l'identité de l’organisation. Des activités régulières, des communications claires et des incitations positives (comme des réductions d’assurance pour les comportements sains) encouragent l’adhésion et l’engagement des employés et employées.

Pilier 3 : La portée, la pertinence et la qualité

Le bien-être ne se limite pas à la santé physique. Les programmes incluent aussi la dépression et le stress, et proposent des services sur mesure tels qu’un soutien émotionnel et des conseils confidentiels.

Les enquêtes auprès du personnel permettent de développer des programmes adaptés et personnalisés. « Si votre personnel est jeune, le portrait et le profil de consommation seront différents de celui de mon université, où la moyenne d'âge est de 50 ans », éclaire Pierre Durand. « Il faut que les gens puissent avoir accès à l'activité qui convient à leurs besoins. Pour certaines personnes, c'est de faire de l'activité physique. Pour d'autres, c'est une activité artistique, comme jouer d'un instrument de musique. »

Garantir des soins de qualité et intégrer le plaisir est tout aussi essentiel pour maintenir l’engagement des employés et employées.

Pilier 4 : L’accessibilité

Le personnel apprécie les centres de conditionnement physique sur le lieu de travail. Hors travail, le chercheur cite l’exemple de la Californie, où il existe des centres de conditionnement physique et de mieux-être. « L’abonnement coûte un certain montant, mais il offre une foule d'activités : sauna, piscine, pratique d’un sport en particulier, conditionnement physique, cours de cuisine végane, etc. ». Point important selon lui : cela permet de rencontrer des gens. « Avoir un soutien social hors travail, un réseau d'amis, des activités communautaires aide à se protéger contre la détresse psychologique. »

Des salons de santé sur le lieu du travail, qui proposent divers services et des dépistages, ont la cote. La nourriture savoureuse et abordable au travail contribue également au bien-être, tout comme l’accès en ligne aux ressources.

Pilier 5 : Les partenariats

Des partenariats internes et externes renforcent la crédibilité des programmes de santé et mieux-être. Les services de santé et mieux-être ou les laboratoires mobiles, par exemple, permettent d'accéder à des compétences et à des infrastructures spécialisées.

Pilier 6 : La communication

Les communications prennent en considération la diversité des employés et employées. La variété des médias joue aussi un rôle crucial dans la promotion du bien-être. Infolettres et affiches sont essentielles. Des éléments, tels que des supports à vélos et des appareils elliptiques installés dans l'espace de travail, favorisent également l'exercice physique.

En s’intéressant avant tout à ses travailleurs et travailleuses, les organisations s’assurent de prendre des actions précises et ainsi d’offrir des outils adéquats pour répondre à leurs besoins. « Ceux-ci fluctuent dans le temps, parfois plus rapidement que ce que l'on pourrait croire. Cela demande donc d’avoir des programmes relativement flexibles », note Pierre Durand. Les initiatives en santé et mieux-être doivent compléter des conditions de travail bénéfiques, telles qu’un environnement de travail positif, une bonne conciliation travail-vie personnelle, une gestion adéquate et des perspectives de progression. Ainsi, cette synergie favorise la satisfaction et la productivité du personnel, tout en optimisant les résultats en matière de santé mentale et physique.

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Author
Fanny Rohrbacher Journaliste scientifique