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Intervenir en santé mentale : les bonnes pratiques de gestion

Les problèmes de santé mentale en milieu de travail affectent un nombre important de personnes et entraînent des coûts élevés. Des pratiques de gestion ciblées permettent de reconnaître les facteurs de risque et d’intervenir pour mieux soutenir les employés.
17 octobre 2023
Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

La détresse psychologique, la dépression et l’épuisement professionnel sont les trois grands problèmes de santé mentale pour lesquels il est possible d’intervenir, selon Alain Marchand, directeur scientifique à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail, directeur de l’Observatoire sur la santé et le mieux-être au travail (OSMET) et professeur titulaire à l’Université de Montréal. « On sait qu’ils sont parmi les principaux facteurs d’absentéisme en milieu de travail », souligne-t-il.

La détresse psychologique n’est pas une pathologie, mais elle résulte d’un ensemble de symptômes de santé mentale non spécifiques à un problème précis. L’épuisement professionnel, plus connu sous le nom de burn-out, est considéré comme un syndrome chronique pouvant se ressentir de manière plus ou moins marquée. D’après, l’American Psychiatric Association, les symptômes consistent entre autres en un fort cynisme au travail, des réactions négatives, une irritabilité, une grande fatigue, de la désillusion, voire des manifestations physiques comme des maux de dos et de tête.

Si ces deux situations ne sont pas prises en charge et s’inscrivent dans la durée, elles peuvent se transformer en dépression. L’Organisation mondiale de la Santé indique que ce glissement peut se manifester par un sentiment de culpabilité excessive ou de dévalorisation de soi, du désespoir face à l’avenir, voire des pensées suicidaires sous la forme grave de ce trouble mental.

Femmes et jeunes plus vulnérables

Une étude de l’OSMET, actuellement menée dans 92 milieux de travail canadiens depuis 2019, permet d’établir un portrait plus précis de la santé mentale au travail. Alors que les symptômes de détresse psychologique sont demeurés inchangés chez les hommes pendant la pandémie, ils ont considérablement augmenté chez les femmes. Elles étaient également plus nombreuses à vivre une dépression. « L’épuisement professionnel a quant à lui diminué, ce qui peut être lié à une diminution des déplacements, entre autres », souligne le professeur.

Les constats sont d’autant plus alarmants chez les jeunes qui ont entre 15 et 34 ans alors que leur niveau d’épuisement professionnel n’a pas baissé par rapport aux autres groupes d’âge et que la détresse psychologique a augmenté de 10 points de pourcentage. Le nombre de cas de dépression déclaré était aussi beaucoup plus important dans cette tranche d’âge que dans les autres. « Cela reflète bien la plus grande souffrance des jeunes durant la crise sanitaire », commente-t-il.

Les facteurs d’influence au travail

Comment reconnaître les différents facteurs qui pourraient influencer positivement ou négativement ces problèmes de santé mentale, dans l’objectif d’intervenir?

  • La conception des tâches

    Alain Marchand suggère de s’intéresser, avant tout, à la conception des tâches. Il s’agit de comprendre dans quelle mesure on sollicite les compétences d’une personne dans l’entreprise et à quel point le milieu de travail lui permet de prendre des décisions en toute autonomie. « Plus on utilise les compétences et plus on valorise l’autorité décisionnelle, moins importantes seront les atteintes à la santé mentale », insiste le professeur.

  • Les exigences

    Les exigences du travail représentent un autre élément sur lequel il est possible d’intervenir. Par exemple, l’emploi peut être associé à une certaine pénibilité physique ou contractuelle, c’est-à-dire un grand nombre d’heures en continu, ou bien un horaire irrégulier. La demande psychologique, à savoir la charge et le rythme de travail, ainsi que la demande émotionnelle (voir des patients et des patientes mourir si l’on est dans le milieu de la santé) doivent être évaluées. Si elles sont très élevées, il y aura davantage de risques d’atteintes à la santé mentale.

  • Les relations sociales

    Au travail, les relations de travail agissent sur la santé mentale. Sans surprise, plus les gens évoluent dans un environnement où les collègues se soutiennent mutuellement, et bénéficient du soutien de la direction, mieux ils se portent. À l’inverse, une supervision abusive et un milieu teinté par la violence et le harcèlement seront très néfastes pour leur santé mentale.

  • Les gratifications

    Il est nécessaire de prêter attention aux gratifications ou aux récompenses que les membres du personnel obtiennent dans l’entreprise. La reconnaissance du travail doit être valorisée, de même que les perspectives claires de promotions ainsi qu’un salaire en adéquation avec le travail fourni. Quand une menace de fermeture plane, la manière dont la rumeur ou l’information est gérée influencera le sentiment d’insécurité. Il faut éviter de laisser le doute et l’incertitude s’installer.

  • Le télétravail

    Dans cette même étude, Alain Marchand et son équipe se sont penchés sur le lien entre le télétravail et la santé mentale. « On a remarqué que les personnes en télétravail présentaient des symptômes de dépression et d’épuisement professionnel plus faibles que celles en présentiel », indique-t-il.

    Plusieurs aspects positifs de ce mode d’organisation sont ressortis, notamment l’autorité décisionnelle, la reconnaissance et le soutien entre collègues. Toutefois, il est impératif de réfléchir à une stratégie pour l’implanter afin d’éviter les écueils. Si un cadre n’est pas défini, l’augmentation de la demande psychologique, de la charge de travail, du nombre d’heures ou des conflits pour concilier le travail et la famille peut annuler tous les avantages.

Les facteurs d’influence hors travail

Certains aspects de la santé mentale relèvent aussi de conditions personnelles, en dehors de l’entreprise. 

  • La famille

    Une personne en couple, avec un enfant de moins de cinq ans et dont le statut économique est stable, est souvent moins à risque. Au contraire, des tensions parentales, maritales ou des conflits de conciliation travail-famille augmentent le risque d’atteintes à la santé mentale.

  • Le réseau social

    Un milieu favorable à une bonne santé mentale impliquera également le soutien de l’entourage et l’existence d’un réseau élargi de connaissances dans lequel la personne est solidement intégrée.

  • Les caractéristiques individuelles

    Comme nous l’avons vu précédemment, les symptômes de détresse psychologique, d’épuisement professionnel et de dépression varient selon le genre et l’âge. Notons que les gens avec un niveau d’éducation un peu plus élevé auront tendance à vivre moins de problèmes de santé mentale. En revanche, ceux dont l’état de santé est fragile, qui vivent avec une condition chronique ou qui ont déjà connu des problèmes de santé mentale, seront davantage susceptibles d’en souffrir à nouveau. La personnalité, dont fait partie le degré d’estime de soi par exemple, pèse aussi dans la balance. En outre, certaines personnes seront naturellement plus résilientes et résistantes au stress. Les événements stressants dans le présent, comme un divorce ou le décès d’un proche, ou bien dans le passé, comme des agressions durant l’enfance, sont également à prendre en compte.

  • Les stratégies d’adaptation

    Face à certaines situations, des gens éviteront le problème, tenteront d’échapper à la confrontation ou tomberont dans une forme de dépendance (tabac et alcool). Ces comportements sont évidemment néfastes pour la santé mentale. D’autres essaieront d’améliorer leurs habitudes de vie et de pratiquer des activités physiques, ce qui créera plutôt un cercle vertueux.

Intervention et accommodement

Une fois que les gestionnaires ont pris en compte les caractéristiques liées au travail, et que des discussions ont permis de mieux connaître les facteurs hors travail et individuels, il s’agit d’adopter des stratégies d’adaptation.

Grâce à des données obtenues de compagnies d’assurance, Alain Marchand a conclu que certaines pratiques de gestion sont associées à des taux plus faibles de réclamations pour des problèmes de santé mentale. Elles sont classées selon trois catégories :

  • Macro : tout ce qui révèle des systèmes de communication et du contrôle des risques.
  • Méso : les pratiques que l’on peut implanter pour améliorer les conditions de travail (conception des tâches, demandes, relations sociales, gratifications).
  • Micro : les stratégies permettant de favoriser le mieux-être de l’individu de façon plus large (promotion de l’activité physique, nutrition, santé générale, gestion du stress, équilibre travail-famille).

Ainsi, les entreprises qui mettent en œuvre des pratiques pour la conception des tâches auraient sept fois plus de chances de rencontrer moins de problèmes de santé mentale dans leur structure. Cela peut se traduire par une baisse de l’absentéisme de 13 %, selon Alain Marchand. « Si l'on développe davantage de mécanismes de participation des employés, on devrait avoir des effets positifs », ajoute-t-il. Sur le plan micro, les entreprises qui misent sur l’équilibre travail-famille et sur l’activité physique ont également plus de chances de favoriser le mieux-être des membres de leur personnel et de diminuer le taux d’absentéisme.

« Il est beaucoup plus efficace de développer une pratique de gestion intégrée, incluant le niveau macro, méso et micro », conclut le professeur. Alain Marchand encourage les gestionnaires à investir dans le maintien et l’amélioration de la santé mentale en milieu de travail, les pratiques d’accommodement étant à la portée de chacun.


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