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Rencontre disciplinaire : la présence d’un représentant syndical, une simple formalité?

En s’appuyant sur une affaire récente, l’auteur aborde la question de la présence du représentant syndical lors d’une rencontre disciplinaire. S’agit-il d’une simple formalité? Quelles sont les obligations de l’employeur en la matière?
19 avril 2023
Me Amine Bakas, CRHA

Les conventions collectives dans plusieurs secteurs d’activités prévoient des clauses imposant la présence d’un représentant syndical lorsqu’une personne salariée se voit convoquée à une rencontre pouvant donner lieu à une mesure disciplinaire. Alors que la jurisprudence a parfois considéré que le non-respect de cette disposition n’entraînait pas une annulation automatique de la mesure imposée, une décision récente[1] réitère que le courant majoritaire veut que l’omission de l’employeur de se conformer à pareille disposition constitue un vice de fond invalidant tout le processus.

Contexte

Dans Association des formateurs en conduite automobile du Québec (CSD) et École de conduite Tecnic Rive-Sud inc. (Mario Morier)[2], le salarié, un moniteur en conduite automobile, conteste la suspension sans solde et illimitée que lui a imposée l’employeur. Cette mesure lui est imposée en raison d’une altercation inappropriée avec une autre personne salariée et d’un problème de gestion de colère, la décision sur l’objection préliminaire ne présentant toutefois pas plus de détails.

Le salarié est rencontré pendant son quart de travail, sans convocation préalable et en l’absence d’un représentant syndical. Le salarié lui-même informe le représentant syndical de la tenue de cette réunion après le fait.

Les positions respectives

Le syndicat soutient que le libellé de la clause 17.06 de la convention collective est très clair, se lisant comme suit : « Un (1) représentant du Syndicat doit être présent à toute convocation d’un salarié par l’Employeur lorsque ce dernier pourra imposer un congédiement ou toute autre mesure disciplinaire. » Selon le syndicat, l’utilisation du mot doit et non peut crée pour l’employeur une condition de fond obligatoire avant d’imposer toute mesure disciplinaire à un salarié. Son non-respect doit entraîner le rejet de la mesure disciplinaire au salarié.

Le syndicat soutient par ailleurs que le rôle du représentant lors d’une rencontre disciplinaire est d’aider le salarié visé à comprendre la situation. Pour le syndicat, le préjudice est ainsi manifeste, le salarié ayant été privé de conseils de son représentant syndical lors de la rencontre du 23 février 2022.

Pour sa part, l’employeur soutient que la rencontre au cours de laquelle la lettre de suspension sans solde a été remise au salarié constitue la continuité d’une mesure disciplinaire de suspension antérieure; il ne s’agit donc pas d’un nouvel événement. Ainsi, il n’a pas à se soumettre à un excès de formalisme. Le salarié n’a subi aucun préjudice quant au non-respect de la clause 17.06.

L’employeur soutient également que l’article 17.06 ne prévoit aucun défaut en cas de non-respect. Il plaide que l’utilisation du mot doit, bien que dénotant un impératif, n’est pas déterminant à lui seul, deux courants de pensée existant sur la question en vertu de la doctrine3] :

« 2.141 Par ailleurs, les conventions collectives prévoient fréquemment qu’un salarié “peut” ou “doit” être accompagné d’un représentant syndical lors d’une rencontre disciplinaire. Il va de soi que le vocable “peut” accorde un caractère facultatif à cette formalité. L’emploi du terme “doit” fait quant à lui l’objet de deux courants jurisprudentiels quant aux conséquences du défaut de respecter cette formalité; l’un voulant que le défaut entraîne automatiquement la déchéance de la mesure, alors que l’autre veut plutôt que l’on analyse le préjudice subi par l’employé en raison de l’absence d’un représentant syndical. Enfin, notons que la présence d’un représentant syndical lors de toute rencontre – notamment une rencontre administrative pour collecte d’informations – n’est pas un droit absolu des salariés, à moins d’être explicitement prévu dans la convention collective. »

La décision

L’arbitre Me Pierre Loyer est d’avis que la clause 17.06 est claire. Il indique que l’absence d’un représentant syndical lors de la rencontre de remise de la mesure constitue une violation de l’article 17.06, et ce, nonobstant le fait que la rencontre s’inscrivait dans la continuité d’une autre suspension ou le non-respect des conditions de la suspension antérieure.

L’arbitre énonce clairement que l’obligation de tenir la rencontre en présence d’un représentant du syndicat est une obligation de fond et non de forme. Il reconnaît qu’il existe un conflit jurisprudentiel au sein des tribunaux d’arbitrage au Québec sur l’interprétation à donner à ce type d’article de la convention collective, mais se rallie à ce qu’il qualifie de « tendance majoritaire » indiquant que les conditions d’une disposition comme l’article 17.06 doivent être considérées comme impératives, et ce, même si aucune sanction n’y est expressément prévue.

Le Tribunal considère ainsi que l’inobservance par l’employeur de la procédure impérative prévue par les parties à la convention collective en cas d’imposition d’une mesure disciplinaire ne peut être sanctionnée que par l’annulation de la mesure. Il accueille le grief et annule la suspension imposée au salarié.

Que faut-il retenir?

Cette décision ne révolutionne pas le sujet, mais vient toutefois renforcer la position dite majoritaire en procédant à une revue étoffée des concepts en jeu.

L’arbitre n’établit pas de distinction entre le fait que la rencontre disciplinaire s’inscrive dans la continuité d’une mesure déjà imposée antérieurement (alors qu’un représentant syndical était présent) et le fait qu’il s’agisse maintenant d’une nouvelle mesure.

L’arbitre se fonde notamment sur les enseignements de la Cour d’appel[4] pour rappeler les principes applicables en situation similaire :

  • Le droit d’être assisté d’un représentant ou d’un délégué syndical n’est pas une composante du droit d’association et n’existe qu’en vertu d’une disposition claire de la convention collective;
  • Lorsqu’une telle disposition existe et prévoit la présence du délégué syndical lors de la rencontre avec le salarié ou lors de l’imposition d’une mesure disciplinaire, la jurisprudence est partagée en deux tendances :
    1. La première tendance maintient la mesure disciplinaire malgré l’absence du délégué syndical lorsque cette absence ne cause pas de préjudice au salarié, notamment lorsque la clause n’a pas de caractère impératif ou ne prévoit pas que son non-respect se verra sanctionné;
    2. La deuxième tendance, majoritaire, considère que l’absence du délégué syndical est un vice de fond si la clause est impérative, même si aucune sanction n’est prévue pour son non-respect. Cette tendance est notamment justifiée par le devoir de représentation qu’impose l’article 47.2 du Code du travail[5] au syndicat pour justifier l’annulation des gestes faits en violation de la convention collective.

Ultimement, chaque cas en demeure un d’espèce, un salarié pouvant par exemple faire le choix de ne pas être accompagné à une rencontre disciplinaire.

Concluons simplement qu’en présence d’une pareille clause, l’employeur est bien avisé de toujours la respecter. Autrement, il met sérieusement à risque son processus disciplinaire.


Author
Me Amine Bakas, CRHA Avocat en droit du travail/santé, sécurité et mieux-être au travail Monette Barakett
Amine s’est joint à l’étude Monette Barakett en 2019 après y avoir réalisé son stage professionnel du Barreau. Au cours de ses études en droit, il a eu l’opportunité de travailler à titre d’assistant juridique dans le milieu communautaire, le menant à informer une clientèle diversifiée sur des questions ayant trait aux normes du travail. Préalablement à ses études en droit, Amine a également complété un baccalauréat en relations industrielles. Au cabinet, il dédie principalement sa pratique aux domaines du droit du travail, de la santé et de la sécurité du travail – gestion de la présence au travail et du litige civil. Il est appelé à conseiller les clients dans leur gestion quotidienne des relations de travail, notamment en matière d’embauche et de cessation d’emploi, d’imposition de mesures disciplinaires ou administratives, de harcèlement au travail et de gestion de griefs. Il est aussi appelé à se pencher sur des questions d’interprétation de conventions collectives et à travailler dans des dossiers de réclamation pour lésion professionnelle. De plus, il effectue la recherche jurisprudentielle et doctrinale lors de la préparation de dossiers et rédige des procédures, avis juridiques, politiques et règlements internes. Il apporte sa collaboration aux diverses publications, ouvrages et formations du cabinet.

Source : Vigie RT, avril 2023

1 Association des formateurs en conduite automobile du Québec (CSD) et École de conduite Tecnic Rive-Sud inc. (Mario Morier), 2023 QCTA 69.
2 Id.
3 CAIJ, JuriBistro eDoctrine, Ch. 2, La préparation de l’audience et les moyens préliminaires.
4 Syndicat national des travailleurs de St-Thomas Didyme (CSN) c. Donohue St-Félicien inc., (1982) C.A. 98, D.T.E. T82-184.
5 RLRQ c. C-27.