Les défis en EDI touchent à toutes les sphères des organisations, petites ou grandes : patronale, syndicale, de gouvernance et de gestion. Peu importe la situation et l’entreprise, plusieurs enjeux demeurent communs.
« Il faut travailler sur tous les plans, explique Émilie Nicolas, tout en sachant reconnaître les différences entre chacun d’entre eux : individuel, institutionnel et systémique. »
La démarche en EDI se définit donc comme un cycle de transformation à prendre en compte par tout le monde dans une organisation. Si on aborde la question du racisme, par exemple, il faut savoir qu’il s’agit d’un sujet sensible et incompris, selon Émilie Nicolas. C’est une problématique individuelle, lorsque des préjugés sont exprimés par une personne, ou interpersonnelle, quand ces préjugés sont dirigés vers quelqu’un d’autre.
Un peu d’histoire
« Pour comprendre le racisme, dit la consultante, il faut revenir sur l’histoire d’une société et comment elle s’est construite. Cela permet de constater que les sociétés en Amérique se sont structurées depuis 500 ans sur l’exclusion et la déshumanisation des populations autochtones pour s’emparer de leurs territoires. Ensuite, des formes d’esclavagisme se sont organisées envers les populations noires. On maîtrise peu et on sous-estime ces éléments d’histoire ainsi que leurs effets, pourtant essentiels à la compréhension du racisme. »
Ainsi, note-t-elle, certaines populations non européennes au Canada et au Québec sont placées dans une situation de précarité perpétuelle en raison de politiques d’immigration restrictives. Ce système, qui touche également aux domaines de la justice et des services en santé, perdure aujourd’hui et touche les milieux de travail. Il en résulte de la discrimination systémique profondément ancrée dans la société. Les entreprises n’existent pas en vase clos, mais dans une société qui y adhère.
« Cela a un impact non seulement sur les relations interpersonnelles, mais aussi sur les individus. »
La discrimination peut être intériorisée et faire en sorte que les personnes appartenant aux « groupes d’équité », dont les femmes et les personnes de la diversité sexuelle, peuvent avoir une image négative d’elles-mêmes, ce qui va jouer sur leur confiance en elles.
« Si l’on intervient dans un milieu de travail seulement sur le plan interpersonnel, sans prendre le temps de prendre en considération le plan institutionnel, on perd de vue comment certaines pratiques ont été mises de l’avant avec le temps. Cela peut avantager certains employés au détriment de leurs collègues lorsque l’on considère les compétences personnelles, professionnelles et de leadership. »
Le déni n’est jamais une solution
Un des conseils formulés par Émilie Nicolas est de passer de la défensive à la transformation de l’organisation en cherchant des solutions.
« On entend souvent dire “Ici, c’est tolérance zéro”, quand il est question de racisme ou de sexisme. Il faut se demander si ce n’est pas une façon de balayer le problème sous le tapis. L’intention réelle derrière cet énoncé est de suggérer qu’il n’y a pas de problème. Souvent, on ne travaille pas sur les causes profondes et on fait comme si ça n’existait pas. Cette stratégie défensive risque de ralentir le travail en EDI. »
Une organisation n’a pas à être parfaite, malgré la pression des médias, dit-elle. L’important est de créer des « espaces de vulnérabilité » à l’intérieur des organisations où l’on reconnaît qu’il y a des problèmes comme point de départ d’une transformation réelle.
« Concrètement, si on marche sur le pied de quelqu’un en disant que ce n’était pas intentionnel, cela ne règle rien. La douleur existe tout de même. Cela arrive souvent dans les milieux de travail. Une personne fera un commentaire qui sera reçu par une autre comme insensible. La personne qui a commenté dira que c’était seulement une blague, sans reconnaître l’impact de ses paroles. Cela n’aide en rien la situation. Le déni n’est jamais une solution. »
Même chose lorsqu’une personne dit ne pas voir les couleurs, en parlant des personnes racisées au travail. La tactique serait plutôt de reconnaître les iniquités et de valoriser la différence.
« En réalité, nier les couleurs, c’est faire implicitement comme si on ne les voyait pas. On fait semblant de ne pas voir la différence. En la valorisant par des gestes concrets, on évite alors le “tokénisme”. »
Tokénisme
En milieu de travail, le « tokénisme », ou la diversité de façade en français, consiste à faire des embauches en respectant la diversité culturelle et sociale sans comprendre ce qu’implique le fait de se diversifier. La diversité ne touche pas qu’à la couleur de la peau, mais à un parcours de vie et à des façons différentes de voir le monde.
« Il peut y avoir une lune de miel au début d’une embauche, mais sans travail interne, la personne embauchée va recevoir tout le fardeau du changement. Certains autres employés peuvent alors la voir comme conflictuelle ou polarisante. Ce qui se transforme en blâme et se termine souvent par son départ de l’entreprise. »
Les biais implicites existent partout en entreprise, du personnel à la direction. Il est possible de les constater en faisant un test élaboré par l’Université Harvard*. Les idées préconçues rendent difficiles les changements en EDI. Il est donc impérieux de voir clair pour mieux avancer dans ce domaine.
« La bonne nouvelle, souligne la conseillère, c’est que personne n’est prisonnier de ses biais implicites. Il faut prendre le temps de les reconnaître, en empruntant des détours pour trouver d’autres chemins vers l’EDI, moins influencés par les préjugés. »
Connaître les données pour mieux agir
Les statistiques internes, et surtout détaillées, recueillies par l’organisation peuvent aider à comprendre ce qui se passe concrètement.
« Est-ce que l’on calcule le nombre de personnes embauchées et, également, la rétention d’employés ? Pour ce qui est de l’intersectionnalité, calcule-t-on seulement le nombre de personnes qui font partie des minorités visibles ou les différencie-t-on selon leur provenance culturelle et ethnique ? » Les « belles » statistiques, ajoute Émilie Nicolas, peuvent masquer, dans un grand ensemble, le nombre de personnes autochtones et noires, par exemple. Même chose pour les femmes qui font partie de la diversité.
Les chiffres doivent donc inclure, notamment, l’âge des employés et employées, la situation de handicap, l’origine, etc. Plus la direction voit clairement qui a le plus d’opportunités au sein de l’organisation et, à l’inverse, qui peut être négligé pour des rôles de leadership, plus il est possible de réussir la transformation en EDI.
« Lorsqu’il est question de faire des embauches dans le milieu universitaire, l’on prend en considération les groupes d’équité comme un tout : les femmes, les minorités visibles, les personnes avec handicap, celles issues des minorités sexuelles ou les autochtones. »
Cette façon de faire influence également le type de promotions accordées dans l’organisation. S’il n’existe pas de définition précise des compétences et du professionnalisme, on embauchera surtout des personnes qui vont entrer dans le moule de la culture organisationnelle existante, une culture qui a été définie préalablement sans nécessairement tenir compte de la diversité.
Une compétence transversale
Le grand danger en EDI reste l’ignorance, c’est-à-dire le fait « de ne pas savoir qu’on ne sait pas », en pensant qu’on a déjà appris tout ce qu’il y avait à apprendre.
Il n’est pas suffisant d’avoir l’impression « d’être une bonne personne » pour posséder les compétences en EDI. Il s’agit d’une expérience de formation continue. C’est un apprentissage permanent à normaliser au sein de l’organisation. L’EDI devrait être considéré comme une compétence transversale au sein de l’organisation. Elle demande des ajustements constants sur les plans individuel et institutionnel.
* Projet Implicite (harvard.edu)