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Priorités en droit et relations du travail 2024 : télétravail, santé mentale et climat de travail

Les tendances actuelles en droit et relations du travail pour l’année 2024 mettent en lumière deux thèmes prédominants : le télétravail et les enjeux de santé mentale. Quelles sont leurs implications sur les relations professionnelles?
11 mars 2024
Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

Télétravail : évolution et complexité

Le télétravail a connu une évolution considérable au cours des dernières années, influencée en grande partie par la pandémie mondiale. Me Gilles Rancourt, CRIA, associé chez Norton Rose Fulbright, cite des statistiques issues de Statistique Canada : « Avant la crise sanitaire en janvier 2020, seulement 6 % des Canadiens travaillaient à distance. En avril 2020, ce pourcentage a explosé et a atteint 41 %, reflétant l’adaptabilité rapide des entreprises. Depuis, une tendance à la baisse a été observée : 20 % des emplois étaient toujours exercés en télétravail en novembre 2023 », cite-t-il.

Pour Me Rancourt, les avantages du télétravail sont indéniables. Il rappelle une enquête révélant que « 47 % des travailleurs au Canada et 85 % au Québec estiment que le télétravail a eu un effet positif sur la conciliation travail-vie personnelle. Du côté des employeurs, 61 % imposent des journées obligatoires en présentiel, et 32 % ont l’intention de revoir le mode de travail dans leur entreprise ».

Outre la conciliation travail-vie personnelle, les avantages du télétravail incluent la diminution du temps de déplacement, la réduction des dépenses et la possibilité de déménager en région. Cependant, des inconvénients comme l’isolement social, la fusion des sphères personnelle et professionnelle et la difficulté à se déconnecter sont également observés. Pour les employeurs, l’optimisation de l’espace de travail, l’aide au recrutement et l’amélioration de la productivité sont des avantages, mais cela s’accompagne de défis notamment une gestion plus complexe et la diminution du sentiment d’appartenance.

Exercice raisonnable des droits de gérance

Me Rancourt illustre la complexité du télétravail par le biais de deux exemples d’exercice raisonnable des droits de gérance. Le premier, l’affaire Syndicat des salariés de SSQ, Société d’assurances générales et SSQ, Société d’assurance-vie inc., en 2023, met en évidence la décision de l’employeur d’imposer une journée obligatoire en présentiel. Bien que le syndicat ait déposé un grief, l’arbitre a soutenu que l’employeur avait le droit de rappeler les employées et employés au bureau en vertu de son droit de gérance.

Me Rancourt croit que cette décision de 2023 mettra la table pour d’autres décisions à venir. Selon lui, la loi québécoise donne à l’employeur le pouvoir de déterminer le lieu de travail. En revanche, les employeurs ont tout intérêt à offrir ce privilège à leurs employées et employés lorsque c’est possible.

Le deuxième exemple cité par Me Rancourt ramène une décision de 2021, laquelle concerne l’Institut national de santé publique, le Syndicat des professionnelles et des professionnels de la santé publique du Québec et le Syndicat des professionnelles et professionnels du Laboratoire de santé publique du Québec. Elle souligne la possibilité pour l’employeur d’émettre des directives unilatérales sur le télétravail, même après la pandémie. Il est mentionné que la convention collective ne limite pas le droit de gérance de l’employeur. Ainsi, Me Rancourt reste prudent quant au droit au télétravail.

Retour obligatoire en présentiel

Le retour en présentiel suscite également des controverses. Une ordonnance de sauvegarde dans l’affaire Association des employés de secteurs financiers et Desjardins Sécurité financière en 2023 a suspendu la décision de l’employeur d’exiger la présence des salariées et salariés deux jours par semaine. Une lettre d’entente négociée avec les syndicats a mis en pause ce changement, illustrant une situation exceptionnelle dans le monde professionnel.

Selon Me Rancourt, le télétravail est devenu une condition de travail au cœur des préoccupations des travailleuses et travailleurs. Cette décision le démontre bien. Même si l’employeur applique son droit légitime de direction, les employées et employés peuvent prendre des mesures pour freiner les changements liés au télétravail.

Cas concrets de défis liés au télétravail

L’évolution vers le télétravail a également créé des situations délicates. Me Rancourt cite l’affaire Drake c. Équipement Trans Continental ltée en 2023, où le refus d’un employé de revenir au travail en présentiel a conduit à son congédiement pour insubordination. Si l’arbitre a annulé cette décision, il maintient que le refus de revenir au travail en présentiel peut constituer de l’insubordination. Me Rancourt souligne la décision de l’arbitre qui est d’exiger que l’employeur respecte la gradation des sanctions.

Me Rancourt signale un autre cas, Auger c. 8493782 Canada inc., en 2023, mettant de l’avant la démission d’un employé voulant s’acquitter de ses obligations familiales en continuant le télétravail. En isolement parce que ses proches avaient la COVID, l’employé a pu faire du télétravail. À la fin de l’isolement, l’employeur demande un retour de l’employé sur les lieux de travail. La décision a reconnu le caractère raisonnable de la demande de l’employeur, justifiée par les besoins de l’entreprise et le contrat de travail. Me Rancourt croit que cette décision indique l’importance de prendre des mesures prudentes et de consulter des experts médicaux et légaux.

Accidents de travail en télétravail

La question des accidents de travail en télétravail est également abordée par Me Rancourt. Deux décisions de 2021 et 2023 illustrent les nuances entourant ces situations, alors que l’une a donné raison à l’employée et l’autre, à l’employeur.

Me Rancourt mentionne toutefois que les critères juridiques s’appliquent, même en télétravail : le lieu et le moment de l’accident, la rémunération de l’activité exercée, le degré d’autorité ou le lien de subordination, la finalité de l’activité exercée par la personne, la connexité et l’utilité relative de l’activité de la personne.

Mode hybride : une solution imparfaite

La montée du mode hybride, qui rallie 13 % des emplois en novembre 2023, pose des questions sur son efficacité. Les avantages du télétravail et les inconvénients du présentiel s’entrechoquent, créant des enjeux de santé mentale, notamment des risques de dépression et d’anxiété.

Enjeux de santé mentale et de climat de travail

Les enjeux de santé mentale sont devenus cruciaux, comme en témoignent les statistiques montrant des fluctuations dans la perception de la santé mentale au cours des années. Me Rancourt rappelle que 500 000 Canadiennes et Canadiens s’absentent chaque semaine pour cause de troubles mentaux liés au stress.

Si le travail peut jouer un rôle positif dans la santé mentale, les employeurs ont aussi des obligations légales afin de maintenir un climat de travail sécuritaire, notamment en matière de protection physique et psychique des travailleuses et travailleurs. Me Rancourt fait part des obligations de l’employeur, selon la LSST : prévenir et faire cesser le harcèlement psychologique ainsi qu’adopter une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes.

À surveiller en 2024 : le projet de loi no 42

Me Rancourt souligne que le projet de loi no 42 prévoit des modifications appréciables en matière de harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel. Il vise à prévenir le harcèlement pour « toute personne », à limiter les effets des clauses d’amnistie en donnant des mesures disciplinaires sans limites de temps et à imposer des politiques de prévention plus strictes, « allant au-delà des normes antérieures », indique Me Rancourt.

La définition de violence à caractère sexuel sera revue, par exemple. Des obligations de l’employeur seront accrues en matière en prévention et de prise en charge du harcèlement psychologique incluant des méthodes, des formations, des recommandations de conduites à adopter, des modalités pour faire une plainte. Des mesures visant à protéger la confidentialité seront aussi ajoutées au projet de loi no 42.

Les priorités en droit et relations du travail de l’année 2024 reflètent un paysage complexe et changeant. Le télétravail, les litiges qui lui sont associés, les défis du retour en présentiel, les questions de santé mentale et les évolutions législatives marquent une période de transformation non négligeable dans le monde du travail. Me Rancourt souligne l’importance de l’adaptabilité des entreprises et de la prudence dans la gestion des relations professionnelles vis-à-vis de ces enjeux majeurs.


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