L’intelligence artificielle (IA) aura « un effet énorme » et causera « une transformation des métiers », voire peut-être la disparition de certains d’entre eux, prévient Hugues Foltz, associé et vice-président exécutif de Vooban, une entreprise qui œuvre dans la transformation numérique. « On ne pourra pas s’en sauver, car le train va trop vite. Comment l’intégrer? C’est ça, le défi. »
La bonne nouvelle, c’est que l’IA « permet des économies phénoménales, en énergie et en temps, [dans les services de] ressources humaines », ce qui fait que sauter dans ce train en mouvement engendrera des bénéfices. « On élimine des tâches redondantes et abrutissantes. On ne parle pas assez de tout ce potentiel! » lance Hugues Foltz.
De son côté, Xavier Beauchamp-Tremblay, lead régional, Transformation du domaine juridique chez KPMG Canada, est certain que, dans à peu près toutes les entreprises, le personnel a commencé à intégrer des outils d’IA dans ses habitudes. « Vos employés utilisent ChatGPT, que vous le vouliez ou non », assure-t-il.
La raison est simple : ça améliore la productivité et ça libère de tâches que beaucoup jugent inintéressantes. Xavier Beauchamp-Tremblay utilise l’image de l’ange et du démon sur l’épaule des gens. Ce dernier en pousse beaucoup à utiliser tous les outils offerts, même s’ils ne sont pas approuvés par l’entreprise, afin de mieux effectuer leur travail.
C’est pour cette raison que « nos entreprises doivent arrêter de se poser [des] questions et doivent commencer » à adopter l’IA, croit fermement Hugues Foltz.
Par où commencer?
Il envoie quand même un avertissement aux leaders : « Il faut éviter de tomber dans le piège du trip technologique et faire de l’IA juste pour faire de l’IA. C’est une solution technologique avancée, mais c’est une solution comme les autres. » En d’autres termes, les outils d’intelligence artificielle doivent être une solution à un problème et doivent s’inscrire dans une stratégie « par étape ».
« On ne veut pas un gros risque technologique pour nos premiers projets. Ça prend un bon [rendement de l’investissement], un projet qui a de l’effet, qui envoie un message positif. »
Choisir comment faire ses premières armes dans le domaine de l’IA est donc primordial. Xavier Beauchamp-Tremblay pense que les services des ressources humaines peuvent s’inspirer de son domaine de base, le droit, pour décider par quoi commencer.
« Le droit, c’est un domaine qui a beaucoup résisté à l’innovation parce que le savoir est prisonnier de la paperasse. Les RH, c’est la même chose : beaucoup de documents, de formulaires… »
Les récents développements technologiques offrent cependant une augmentation considérable des capacités de traitement. « Tous ces dossiers d’emplois desquels vous pourriez tirer des analyses [sans que ce soit une tâche lourde et manuelle], c’est le sweet spot », affirme-t-il. Certains outils qui, par exemple, permettent d’automatiser le traitement d’énormes feuilles de calcul sont ou seront bientôt intégrés aux environnements Azure, de Microsoft, qui sont très répandus.
Hugues Foltz explique que « vous pouvez utiliser des modèles existants [comme ChatGPT] et les entraîner » et il y va d’un exemple précis et facile à comprendre. Disons qu’une organisation veut créer un assistant virtuel pour répondre aux questions du personnel en ce qui a trait à une demi-douzaine de documents sur ses politiques internes. « Cet assistant-là va s’entraîner sur les documents en question […] et pourra répondre à n’importe quelle question [à propos de] ces centaines de pages à une vitesse plus grande que n’importe quel être humain. » Et tout ça, ça se programme « en 1 minute 30 et 4 clics », assure le spécialiste de la transformation numérique.
Gérer les risques
À terme, les outils utilisant l’intelligence artificielle seront nourris d’une quantité presque inimaginable de données, dont beaucoup pourraient être de nature délicate ou confidentielle. Ils aideront les ressources humaines à prendre des décisions importantes au sein de l’entreprise, en participant par exemple à la formation, en plus de l’embauche et du congédiement du personnel. C’est donc normal que les considérations éthiques et les angoisses liées à la cybersécurité soient courantes.
L’enthousiasme d’Hugues Foltz pour l’IA se traduit aussi par une vision très peu alarmiste de la situation. Selon lui, il y a plus de risques à laisser passer ce train qu’à sauter dedans. « Si on laisse le personnel utiliser [la version gratuite de] ChatGPT, c’est là que c’est dangereux. [Alors que] si on met en place la bonne infrastructure sécurisée, comme la majorité des entreprises le font, on vient régler ce problème [de sécurité des données]. »
Il estime aussi que les réponses viendront au fur et à mesure que l’on comprendra mieux la portée de l’IA. « Il y a des tables partout dans le monde qui sont en train de définir [les enjeux éthiques et de gouvernance]. […] Si on attend d’avoir toutes les réponses, on va se retrouver en 2030 sans avoir innové. »
Xavier Beauchamp-Tremblay veut lui aussi se tenir loin des projections sensationnalistes sur les risques de l’IA « Il y a toutes sortes d’utilisations “dérisquées” de ces technologies. Mettre un GPT [un outil qui utilise l’analyse de données pour générer une réponse textuelle] dans un workflow pour extraire des valeurs qui ne sont pas contentieuses ou pour s’intégrer dans un procédé qui n’est pas risqué », c’est à la portée de tout le monde.
Il faut aussi éviter de penser qu’on se dirige vers un monde où quelqu’un se fera congédier par un robot sans qu’un être humain ait approuvé cette décision. Les deux experts s’entendent pour dire que l’IA est là pour faciliter les tâches des personnes, pas pour les éliminer du processus.
C’est tout le négativisme derrière l’IA qu’Hugues Foltz veut briser. « Il faut développer une fierté liée à l’utilisation de ChatGPT », assure-t-il. Il espère aussi qu’on cessera collectivement de mettre de l’avant les risques et les zones d’ombre et qu’on se concentrera sur les bienfaits, comme la transformation pour le mieux des métiers des ressources humaines.
Xavier Beauchamp-Tremblay renchérit : « Je vois déjà ça dans mon organisation, des gens qui sont parfois gênés de dire qu’ils ont fait [des tâches] avec ChatGPT. Si tu fais quelque chose de bon avec Microsoft Word, vas-tu t’excuser de ne pas avoir utilisé une machine à écrire? On ne devait pas être gêné de vouloir aller plus vite et d’être meilleur. »
Le risque, c’est de ne rien faire
En 2019, près de neuf services de ressources humaines sur dix dans le monde avaient déjà intégré une certaine forme d’IA dans leurs processus d’embauche. Et, selon Hugues Foltz, les gestionnaires qui utilisent ChatGPT gagnent de quatre à six heures par semaine. « Les trentenaires sont toujours là-dessus. Les quarantenaires et cinquantenaires qui ne s’y mettent pas vont se faire rattraper. »
« Surfer la vague » IA au sein de ses ressources humaines n’est donc ni plus ni moins qu’une question de survie. « Vos concurrents, les plus grands acteurs [du marché], ceux qui peuvent nuire à votre business, vont [faire appel à l’intelligence artificielle], déclare-t-il. Il faut devenir des virtuoses de l’IA dans chaque service. »