Par Me Manon Poirier, CRHA
La surveillance au travail par les employeurs ne date pas d’hier. Avec l’essor du télétravail depuis la pandémie, elle s’est toutefois intensifiée, notamment grâce à la disponibilité grandissante d’outils technologiques dont certains font appel à l’intelligence artificielle.
Lors d’une conférence organisée récemment par l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, des chercheurs universitaires ont évoqué l’existence de plus de 650 produits sur le marché.
Il est tout à fait adéquat pour une organisation d’utiliser tout le potentiel des technologies pour protéger les données confidentielles de l’organisation, pour évaluer la charge de travail et la productivité et, bien sûr, pour assurer la sécurité informatique. Les données générées sont aujourd’hui essentielles pour prendre des décisions d’affaires éclairées et favoriser l’amélioration continue. Dans certains cas, les technologies peuvent confirmer le vol de temps d’une ou d’un employé délinquant ou l’usage inapproprié des outils de l’employeur.
Mon propos vise davantage l’usage systématique de technologies pour surveiller l’assiduité des travailleuses et travailleurs. En effet, ces technologies permettent notamment d’épier l’activité numérique (clavier, souris, utilisation des émojis), de capter et d’enregistrer des informations par le biais des caméras et des micros des appareils et aussi, de suivre les déplacements en utilisant la géolocalisation. Cet usage m’apparaît moins justifiable, voire dangereux.
Il est faux de penser que pour être performants, les gens doivent être surveillés et contrôlés. En fait, c’est tout le contraire pour la très grande majorité des gens. La surveillance peut nuire à l’instauration d’un climat de confiance et d’autonomie.
De manière générale, l’employeur devrait privilégier la mesure des résultats plutôt que la microgestion des processus. Par ailleurs, l’assiduité n’est pas synonyme de productivité. J’invite les organisations à adopter une posture de confiance envers l’ensemble des membres de leurs équipes, et de gérer l’exception au besoin.
L’employeur doit également expliquer aux membres de ses équipes la présence et le contexte d’utilisation des outils de surveillance, les limites qu’il s’impose dans la collecte et la durée de conservation des données, ainsi que les mesures qu’il met en place pour assurer la protection de ces données (risques de vol d’identité et de fraude si les données tombent entre les mains de personnes mal intentionnées).
Un lien de confiance à préserver
Sans motifs légitimes, sans communications adéquates avec ses équipes et sans un encadrement minimal de ses pratiques de surveillance, l’employeur qui utilise ces technologies risque de ternir sa réputation et de briser le lien de confiance avec les personnes qu’il emploie.
En effet, selon les professionnelles et professionnels en ressources humaines sondés par l’Ordre l’an dernier, les systèmes de surveillance peuvent générer des effets néfastes tels qu’augmenter le degré de stress des employés et les démotiver.
La surveillance électronique peut aussi favoriser l’apparition de comportements déviants visant à exploiter les failles du système mis en place. Il suffit de quelques minutes de recherche sur les réseaux sociaux pour trouver des centaines de milliers de vidéos présentant des astuces parfois loufoques et parfois même dangereuses.
La surveillance électronique des personnes est également préoccupante en ce qui concerne le droit à la vie privée. En plus d’être intrusive pour la personne surveillée en télétravail, elle peut l’être également pour ses proches qui pourraient être captés dans des contextes non liés au travail. Le fait pour l’employeur de mettre à la disposition d’une ou d’un employé des outils de travail, ne le dédouane pas des considérations liées au respect de la vie privée dans les échanges effectués à l’aide de ses outils (courriel, internet, téléphone). L’employeur doit éviter de surveiller ses employés en dehors des heures de travail.
Les considérations ci-dessus s’adressent principalement aux employeurs. Mais nous interpellons aussi les instances politiques : devant l’ampleur des dérives possibles, l’Ordre serait certainement en faveur d’appuyer une proposition législative qui viendrait mieux baliser l’utilisation de ces systèmes de surveillance. L’usage de certaines technologies intrusives et à risque accru comme la surveillance biométrique, la reconnaissance faciale ou la captation vidéo en continu en télétravail devrait être limité, voire interdit.
Me Manon Poirier, CRHA, est directrice générale de l'Ordre des conseillers en ressources humaines agréés.