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Quand l’intelligence artificielle redessine les contours du bien-être au travail

Au-delà des gains apparents, l’introduction de ces technologies pose des questions essentielles sur l’effet qu’elles peuvent avoir sur le bien-être et la santé mentale des personnes employées.
14 janvier 2025
Camille Lin, CRHA

L’IA : un outil pour alléger le travail ou pour mieux le contrôler?

D’un côté, l'IA présente de véritables perspectives pour alléger les charges de travail, en particulier les tâches répétitives, ou à faible valeur ajoutée. Dans certains secteurs, elle a déjà permis d’améliorer les conditions de travail en automatisant des tâches pénibles, réduisant ainsi le stress physique et mental chez plusieurs employées et employés.

Pourtant, ces mêmes outils permettant d’effectuer certaines tâches peuvent également être utilisés pour exercer une surveillance renforcée sur les personnes employées. Assistés par l’IA, les systèmes de gestion du temps et de suivi des performances permettent désormais de contrôler chaque minute de travail et chaque action réalisée, créant un climat de surveillance permanente. Cette omniprésence de la technologie peut transformer l’expérience de travail en un environnement de contrôle, où chaque geste est analysé et chaque résultat comparé à des objectifs algorithmiques.

Le paradoxe ici est frappant : l’IA, qui promet de rendre le travail plus simple et plus fluide, peut en réalité introduire une nouvelle forme de pression, celle de la performance constante.

La biométrie et la reconnaissance émotionnelle : soutien au bien-être ou intrusion?

Certaines entreprises vont plus loin en déployant des technologies biométriques pour analyser les émotions des personnes qu’elles emploient.

Des outils utilisent la reconnaissance faciale pour suivre les émotions tout au long de la journée, leur permettant de mieux comprendre leur état émotionnel et de gérer leurs réactions face aux situations stressantes. Ces technologies peuvent aider les employées et employés à reconnaître les sources de stress et à mieux comprendre leurs propres besoins en matière de bien-être.

Mais là encore, les avantages sont nuancés par les risques d’intrusion dans la vie privée et l’exploitation potentielle de données émotionnelles à des fins de contrôle. Lorsque chaque émotion est mesurée, chaque réaction scrutée, cela crée une atmosphère d’hypervigilance, où l’on peut se sentir obligé de réguler ses émotions même dans les moments où l’on aurait besoin de souffler.

En cas de variation inhabituelle du profil émotionnel, certains outils proposent même des notifications et recommandations pour aider les employées et employés à réagir. Cela déplace subtilement la responsabilité du bien-être de l'organisation vers l’individu : la personne doit gérer son propre état émotionnel sans que les causes systémiques, comme la charge de travail excessive ou le manque d’autonomie, soient prises en compte.

En introduisant ce type d'outils, l'IA peut paradoxalement être source d’un stress supplémentaire pour les employées et employés, qui peuvent avoir le sentiment d’être les seuls responsables de leur bien-être, sans que l’organisation s’interroge sur les facteurs externes et structurels de leur inconfort.

L'automatisation et la redéfinition des compétences : agilité ou pression constante?

L'un des principaux effets de l'IA sur le lieu de travail est la transformation rapide des compétences requises. Alors que les processus se digitalisent et s’automatisent, les employées et employés sont poussés à développer de nouvelles compétences pour s’adapter en permanence. Cette « course à l’adaptabilité » peut offrir des possibilités de développement personnel et professionnel, mais elle entraîne aussi un sentiment permanent d’urgence.

Pour que les employées et employés puissent réellement bénéficier de cette transformation technologique, ils doivent être accompagnés par des programmes de formation continue qui leur permettent de maintenir leur pertinence professionnelle sans s’épuiser.

Face à tout cela, que fait-on? Trois conseils pratiques

  1. Promouvoir la transparence et la compréhension de l’IA

    La première étape consiste à lever le voile sur le fonctionnement des systèmes d'IA et à instaurer une culture de la transparence. Les employées et employés doivent être informés sur la manière dont l'IA est utilisée dans leur organisation, les critères sur lesquels elle se base et les limites de sa prise de décision. Cette transparence peut être renforcée par :

    • Des séances de sensibilisation qui expliquent les capacités et les limites de l’IA, ainsi que ses effets potentiels sur le travail.
    • Des audits périodiques des algorithmes pour s'assurer qu'ils sont justes, non subjectifs et conformes aux valeurs de l’entreprise.
  2. Former les gestionnaires et revoir les modèles de leadership

    Les gestionnaires jouent un rôle crucial dans l’accompagnement de la transition vers un environnement où l'IA est présente. Elles et ils doivent être formés pour guider leurs équipes de manière à :

    • Adopter un rôle de facilitateur, en encourageant l'appropriation des outils d'IA et en restant à l’écoute des préoccupations de leurs équipes.
    • Préserver l'autonomie des employées et employés, en les aidant à utiliser l’IA comme un levier de soutien et non comme un agent de contrôle.
  3. Favoriser l’appropriation des systèmes d’IA par le personnel

    Pour que les systèmes d'IA soient adoptés avec succès, les membres du personnel doivent se sentir concernés et responsables de leur utilisation. Cela passe par :

    • Des ateliers de coconception, où les employées et employés participent à l’amélioration des systèmes d'IA.
    • Des phases de test et d’expérimentation, où il est possible d’expérimenter l’IA, émettre des commentaires et s’assurer que les outils répondent réellement aux besoins des membres du personnel.

En conclusion

L'introduction de l'IA dans le monde du travail est porteuse de changements significatifs, et avec eux, des avantages et des risques. L’IA doit être un appui, un levier permettant de décharger les employées et employés des tâches lourdes ou répétitives, et de leur fournir des outils de bien-être. Mais cela ne doit en aucun cas remplacer les engagements organisationnels envers un environnement de travail sain et respectueux des individus.

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Author
Camille Lin, CRHA ECH

Camille Lin, CRHA et enquêtrice certifiée en harcèlement, est fondatrice de Panser l'entreprise, spécialisée en prévention des risques psychosociaux (RPS). Créatrice de contenu, elle anime le balado Panser l’entreprise, dédié à comprendre, agir et repenser les dynamiques du monde professionnel.