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Les tests de dépistage aléatoires en milieu de travail constituent-ils une violation aux droits fondamentaux?

Les auteurs nous présentent un article qui traite des tests de dépistage aléatoires (alcool et drogues) auxquels les employeurs peuvent demander à leurs employés de se soumettre. Mais qu’en est-il réellement? Trouvez ici des pistes de réponse.
9 juin 2021
Me Frédéric Desmarais, CRHA, Me Jennifer Nault et Florence Picard

Introduction

Les tests de dépistage aléatoires (alcool et drogues) en milieu de travail ont déjà fait couler beaucoup d’encre en raison de leur violation aux droits fondamentaux que sont l’intégrité de la personne et le droit à la vie privée. Cette exigence de la part des employeurs de soumettre les employés à de tels tests a été maintes fois contestée devant les tribunaux. La décision récente Syndicat international des marins canadiens et Desgagnés Marine St-Laurent inc. (Michael Frégeau)[1] rendue par l’arbitre Me Louise Viau (« l’arbitre »), vient se distinguer des autres bien connues en la matière. Elle conclut que l’atteinte au droit à la vie privée était justifiée dans le contexte.

Le litige

Le plaignant occupe un poste de matelot de pont chez Desgagnés Marine St-Laurent inc. (« l’employeur »). Lors d’une escale à Montréal de quelques jours, son employeur lui demande de passer un test de dépistage avant de repartir avec une cargaison de pétrole vers le port de Pembroke au Royaume-Uni. Ce test s’avère positif, et le plaignant est congédié, sanction qu’il conteste par voie de grief.

Il convient de noter d’emblée que le milieu dans lequel travaille le plaignant est un milieu très à risque. Plusieurs incidents peuvent se produire sur un navire : un incendie, un homme à la mer, un échouement avec ou sans perte de pétrole, une collision avec un autre navire ou avec un quai, sans oublier les opérations d’amarrage qui sont toujours un moment critique de la navigation.

Ainsi, dans le cadre de la négociation de la convention collective, le syndicat et l’employeur se sont entendus pour intégrer une politique, soit la Politique visant le maintien d’un transport sécuritaire et l’élimination des risques reliés à l’affaiblissement des facultés à la suite de la consommation de substances (« la politique ») prévoyant la possibilité pour l’employeur d’effectuer des tests aléatoires de dépistage d’alcool et de drogues et, en cas de résultat positif, un congédiement automatique.

Le débat devant l’arbitre soulevait la question de savoir si le fait d’exiger d’un employé qu’il se soumette à un test aléatoire de dépistage d’alcool et de drogues constitue une atteinte illicite à ses droits fondamentaux et plus particulièrement à sa vie privée.

La décision

L’arbitre, loin de contredire que le fait d’exiger d’un employé qu’il se soumette à un test de dépistage constitue une atteinte aux droits à l’intégrité physique et à la vie privée, en expose plutôt les limites. Elle rappelle tout d’abord que ces droits ne sont pas absolus et qu’il est possible, à moins que cela ne soit contraire à l’ordre public, d’y renoncer en tout ou en partie.

L’arbitre rappelle que la politique est incorporée à la convention collective et qu’elle a été dûment négociée entre les parties :

« Du fait qu’il s’agit ici d’une Politique ayant reçu l’aval du syndicat, cela change donc singulièrement la donne lorsque vient le temps de vérifier si l’équilibre devant exister entre les droits fondamentaux des salariés sont brimés par l’employeur d’une manière déraisonnable ou incompatible avec le respect de l’ordre public et du bien-être général des citoyens. »[2]

Selon l’arbitre, la politique est incorporée par référence à la convention collective même si, au départ, il s’agissait d’une politique unilatérale de l’employeur qui précédait la conclusion de la présente convention collective. En effet, tant la convention collective que le Code de discipline contenu à l’annexe B de la convention collective font référence à la politique. L’arbitre souligne toutefois que cette conclusion n’aurait pas été la même si la politique avait été modifiée unilatéralement par l’employeur après l’entrée en vigueur de la convention collective. Ainsi, en signant la convention collective qui comportait des références expresses à la politique, le syndicat a acquiescé, au nom des employés, aux conditions d’emploi prévues à la politique. Il avait d’ailleurs tout le loisir de la contester s’il n’était pas d’accord. La politique de l’employeur ne découle donc pas uniquement de l’exercice des droits de direction de ce dernier. Il s’agit d’une condition d’emploi.

De ce fait, une déférence s’impose à l’égard de ce que les parties ont librement négocié; elles sont les mieux placées pour apprécier l’ensemble des considérations pouvant militer en faveur des tests de dépistage aléatoires.

De plus, l’employeur a plusieurs raisons et obligations qui justifient la légitimité de l’instauration de la politique, dont notamment la protection de l’environnement et les pratiques commerciales propres à l’industrie du transport maritime de pétrole, ainsi que la santé et la sécurité de son personnel.

Cette politique est d’autant plus justifiée considérant que le domaine de la navigation, et plus particulièrement lorsqu’il s’agit de pétroliers, représente des circonstances extrêmes. Compte tenu des enjeux et des dommages qui pourraient résulter d’un accident, il serait déraisonnable d’exiger de l’employeur qu’il attende qu’un tel événement se produise avant de pouvoir imposer des tests de dépistage.

Considérant ce qui précède, l’arbitre a donc conclu que les tests de dépistage aléatoires portent atteinte aux droits fondamentaux, dont le droit à la vie privée et à l’intégrité physique, mais que cette atteinte est justifiée par plusieurs raisons, telles les obligations contractuelles, de santé et de sécurité au travail et de protection environnementale qui constituent des « circonstances extrêmes ». Le motif de congédiement ayant été prouvé et l’arbitre n’ayant pas compétence pour se prononcer sur la sévérité de la sanction, le grief est rejeté.

Commentaires

Il importe de faire la distinction qui s’impose entre cette décision et les autres décisions unanimes rendues en la matière qui empêchent les tests de dépistage aléatoires[3]. En effet, ces dernières se sont limitées à statuer sur la validité d’une politique adoptée unilatéralement par l’employeur qui n’avait pas, au préalable, fait l’objet de négociation entre les parties. Dans de tels cas, « l’imposition de tests de dépistage d’alcool ou de drogue sans motif raisonnable le justifiant ou sans que soit survenu un accident – réel ou évité de justesse – et en dehors d’un programme de réadaptation adopté à l’égard d’un employé souffrant d’un problème reconnu de dépendance constitue une atteinte injustifiée à la dignité et à la vie privée des employés qui va au-delà de la mise en balance de l’intérêt légitime de l’employeur »[4].

La présente décision ouvre donc la porte à l’utilisation d’une telle politique de dépistage quand elle est incorporée à la convention collective et qu’elle en fait alors partie intégrante, à la condition que le syndicat donne son accord. Il n’en reste pas moins que les tribunaux, dans les cas d’atteinte aux droits fondamentaux, feront une mise en balance des intérêts afin de déterminer si l’atteinte est excessive ou déraisonnable dans les circonstances.

Cette décision de l’arbitre ne devrait cependant pas être interprétée par les employeurs comme leur accordant le droit de mettre en place des tests de dépistage aléatoires à tout moment. Il nous apparaît toutefois que cette décision ouvre la porte à une forme de tolérance de la part des tribunaux lorsque le syndicat acquiesce préalablement à une telle politique et qu’elle est incluse à la convention collective librement négociée entre les parties.


Me Frédéric Desmarais, CRHA, Me Jennifer Nault et Florence Picard

Source : Vigie RT, juin 2021

1 Syndicat international des marins canadiens et Desgagnés Marine St-Laurent inc. (Michael Frégeau), 2020 QCTA 271.
2 Précitée note 1, par. 152.
3 Nous référons notamment à la décision Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 300 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34.
4   Imperial Oil Ltd. and C.E.P., Local 900 (Re) (2006), 157 L.A.C. (4th) 22, par. 101.