D’entrée de jeu, on admettra qu’il puisse paraître irréfléchi de se présenter au travail bien qu’on ne soit pas en mesure de fournir un rendement à la hauteur de ses capacités. Heureusement, la majorité des travailleurs malades choisissent de s’absenter plutôt que de se présenter au travail. Toutefois, un nombre croissant d’employés ne souscrit plus à cette règle logique.
Qu’est-ce que le présentéisme?Le présentéisme est le comportement du travailleur qui, malgré des problèmes de santé physique ou psychologique nécessitant de s’absenter du travail, persiste à s’y présenter. Bien qu’il existe, à l’heure actuelle, certaines pistes explicatives quant aux motifs qui incitent une personne à agir ainsi, il demeure que le présentéisme est un phénomène fort complexe. Cette complexité se caractérise notamment par la prise en compte d’un grand nombre de facteurs qui déterminent la nature de la relation entre le travailleur malade et l’entreprise où il travaille.
Les écrits sur le sujet permettent de croire que le présentéisme affecte grandement la productivité des entreprises québécoises et canadiennes. D’ailleurs, une étude réalisée en 2006, par Brun et Biron, auprès de travailleurs québécois montre que la fréquence du présentéisme (9,9 jours/année) est supérieure à celle de l’absentéisme (7,1 jours/année). D’autres, tel Paul Hemp, vont même jusqu’à affirmer que les présentéistes accusent une baisse de productivité relative équivalente, voire parfois supérieure à 30 % par rapport au travail qu’ils accomplissent normalement. Sur le plan économique, Levin-Epstein estime que les coûts annuels associés à ce phénomène s’élèveraient chez nos voisins du sud à plus de 150 milliards de dollars. Cela dit, on peut croire que l’importance des problèmes liés au présentéisme, sur les plans tant de son incidence que des coûts qu’il génère dans les entreprises, est encore plus grande que ne l’est celle de l’absentéisme.
Qu’est-ce qui peut justifier une telle conduite?
Trois conditions peuvent expliquer le comportement du travailleur qui se présente au travail malgré la maladie : les natures, les causes et les manifestations. Conjointement, ces conditions permettent d’identifier huit types de présentéisme plus particulier, qui sont représentés dans ce qu’il est maintenant convenu d’appeler le cube du présentéisme (voir figure 1). Cette structure triaxiale permet, d’une part, d’apprécier chacune des déclinaisons pouvant potentiellement être reconnues au phénomène et, d’autre part, de reconnaître le caractère multidimensionnel des facteurs qui interviennent dans le choix effectué par le travailleur au sortir du lit, soit celui de se présenter ou non au travail. Les tableaux 1 et 2 présentent les définitions de chacune des dimensions ainsi que des exemples typiques de comportements pour chacun des types de présentéisme.
Axes | Dimensions | Exemples |
Natures | Physique |
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Psychologique |
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Causes | Involontaire |
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Volontaire |
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Manifestations | Épisodique |
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Chronique |
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Tableau 2 – Exemples de comportements de présentéisme en fonction de la logique triaxiale
Natures | Causes | Manifestations | ||||
Physique | Psychologique | Involontaire | Volontaire | Épisodique | Chronique | Un employé… |
x | x | x | … souffre d’une amygdalite et ne peut pas s’absenter du travail. | |||
x | x | x | … vit un deuil et ne peut pas s’absenter du travail. | |||
x | x | x | … a des allergies et persiste à se présenter au travail. | |||
x | x | x | … est dépressif et persiste à se présenter au travail. | |||
x | x | x | … fait de l’arthrite rhumatoïde et ne peut pas s’absenter du travail. | |||
x | x | x | … est en épuisement professionnel et ne peut pas s’absenter du travail. | |||
x | x | x | … a la grippe et persiste à se présenter au travail. | |||
x | x | x | … vit une dépression passagère et persiste à se présenter au travail. |
Les natures
De façon générale, le phénomène du présentéisme peut être causé par des atteintes de nature physique ou psychologique. Sur le plan physique, il faut considérer que ces atteintes entraînent généralement des limites fonctionnelles (trouble musculo-squelettique, problème respiratoire, maladie cardio-vasculaire) ainsi que des symptômes secondaires inhabilitants (fièvre, nausée, étourdissement). Sur le plan psychologique, on pensera plutôt à des conditions de santé particulières reconnues pouvant limiter les capacités productives du travailleur (dépression, épuisement professionnel, anxiété).
Les causes
Quant aux motifs sous-jacents liés au comportement du présentéiste, ils peuvent être distingués sur la base du libre choix d’une personne de se présenter au travail alors que son état de santé est altéré; on parlera alors de présentéisme volontaire et involontaire. Le présentéisme volontaire est lié à une décision de l’employé de se présenter au travail malgré la maladie. Le sens du professionnalisme, l’engagement ou l’intérêt personnel envers le travail sont au nombre des motifs pouvant amener un employé à se présenter malade au travail. Ainsi, bien qu’il soit conscient du fait que sa condition de santé entraînera une diminution significative de sa productivité, l’employé persiste à croire qu’il est préférable, tant pour lui que pour l’organisation, de se présenter au travail.
Quant au présentéisme involontaire, il est causé plutôt par le coût élevé que représenterait une absence pour l’employé ou par l’impossibilité pour celui-ci de s’absenter. En l’occurrence, l’employé demeure au travail, même s’il évalue que sa condition pourrait justifier une absence. Ainsi, le travailleur à faible revenu, celui qui craint des représailles à la suite de son absence, qui ne peut être remplacé, qui anticipe une surcharge de travail à son retour de congé ou encore qui ne dispose pas (ou plus) de congés de maladie, aura tendance à se présenter au travail plutôt qu’à s’absenter.
Les manifestations du présentéisme réfèrent plus concrètement à l’aspect temporel de l’occurrence du comportement adopté par le présentéiste. À cet égard, il y a deux manifestations typiques du présentéisme, soit les formes épisodique et chronique. Les manifestations épisodiques sont dues notamment à des problèmes de santé passagers (migraine, grippe, mal de dos, cafard passager). Pour leur part, les manifestations chroniques peuvent être causées soit par une maladie ou une condition de santé nécessitant une convalescence particulière (problème cardiaque), soit par des malaises récurrents (allergie, arthrite).
Comment peut-on intervenir afin de limiter les effets néfastes du présentéisme?
Malgré une compréhension encore incomplète du phénomène, il est tout de même possible, sur la base des connaissances actuelles, d’entrevoir certaines pistes de réflexion pouvant contribuer à limiter les effets néfastes du présentéisme.
D’abord, on ne doit plus considérer que la présence au travail est nécessairement garante de la performance. Les employeurs ne peuvent plus aujourd’hui faire abstraction de cette réalité. De fait, les dirigeants d’entreprise, les gestionnaires et les spécialistes en ressources humaines se doivent dès maintenant de reconnaître les impacts du présentéisme sur l’efficacité des travailleurs et des équipes de travail. C’est d’autant plus vrai qu’il est maintenant reconnu que le présentéisme est potentiellement un signe annonciateur d’un absentéisme futur.
Depuis plusieurs années déjà, les entreprises ont investi massivement dans l’élaboration et l’application de programmes divers visant à contrer l’absentéisme. Toutefois, un regard nouveau doit être porté sur l’efficacité de ces programmes. Une entreprise qui encourage exagérément la présence au travail peut potentiellement entraîner une hausse du présentéisme chez ses employés. En ce sens, il est possible de croire que le présentéisme n’est, en réalité, qu’un symptôme des efforts consentis à la réduction de l’absentéisme. Il apparaît donc fondamental que les entreprises amorcent une révision des valeurs et des objectifs sous-jacents à l’existence même des programmes d’assiduité au travail.
Le succès de toute intervention ayant pour cible le présentéisme passe inévitablement par la promotion de la santé des travailleurs et l’amélioration des conditions de travail. Pour ce faire, les entreprises doivent minimiser les effets néfastes de certains modes d’organisation du travail sur la santé des travailleurs (par exemple la surcharge quantitative et qualitative de travail) et veiller à promouvoir de saines habitudes de vie. À ce titre, l’élaboration de programmes de santé et de bien-être en milieu de travail permettra à la fois de réduire l’absentéisme et de limiter le présentéisme.
Malgré le brouillard qui recouvre actuellement le concept de présentéisme, il faut reconnaître qu’il est devenu une réalité quotidienne, et rien ne laisse croire que ce phénomène se dissipera dans un avenir rapproché. Par conséquent, la question du présentéisme doit trouver dès maintenant sa place dans l’agenda des gestionnaires et des professionnels de la gestion des ressources humaines. Bref, l’idée voulant qu’un faible taux d’absentéisme soit garant d’une saine gestion et de travailleurs en santé ne tient vraiment plus la route!
Martin Lauzier et Éric Gosselin, professeurs de psychologie du travail et des organisations, Université du Québec en Outaouais
Source : Effectif, volume 14, numéro 3, juin/juillet/août 2011.
Bibliographie
Bergström, G., Bodin, L., Hagberg, J., Lindh, T., Aronson, G., & Josephson, M. (2009). Does sickness presenteeism have an impact on future general health? International Archives of Occupational and Environmental Health, article publié en ligne le 6 juin 2009, 1-12.
Brun, J.-P., & Biron, C. (2006). Absentéisme et présentéisme : entre la maladie, la paresse ouvrière et la responsabilité professionnelle. Communication prononcée lors du 74e Congrès de l’Association canadienne-française pour l’avancement de la science (ACFAS).
Hemp, P. (2004). Presenteeism: At work but out of it. Harvard Business Review, Octobre, 49-58.
Johns, G. (2009). Absenteeism or presenteeism? Attendance dynamic and employee well-being. dans Cartwright, S. & Cooper, C.L. (éd.), The Oxford handbook of organizational well-being, Oxford University Press: Oxford, 7-30.
Levin-Epstein, J. (2005). Presenteeism and paid sick days. Center for Law and Social Policy, 1-4.