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Le congédiement et la maladie

De nombreuses et récentes études démontrent la forte probabilité qu’un salarié s’absente pour raison de santé physique ou psychologique au cours de sa vie professionnelle. Il en résulte de lourdes conséquences pour l’employeur qui pourrait devoir composer avec une problématique importante de gestion de l’absentéisme. A priori, un congédiement pour cause de maladie est discriminatoire. À ce titre, il nous faut souligner qu’un employeur désire généralement congédier un salarié non pas parce qu’il est malade, mais plutôt parce qu’il découle de nombreuses absences de son état et qu’en conséquence le salarié ne satisfait pas à son obligation primaire d’offrir une prestation de travail régulière. Dans un tel contexte, l’employeur qui souhaite congédier son salarié doit analyser scrupuleusement les particularités de chaque cas afin de prendre une décision judicieuse.

28 avril 2006
Gilles Rancourt, CRIA, avocat

La question du congédiement administratif, notamment pour cause de maladie ou d’invalidité, a été abordée à maintes reprises en doctrine et en jurisprudence. En effet, la nature même du contrat de travail est à l’effet que le salarié s’engage à fournir une prestation de travail donnée en contrepartie d’une rémunération. À cet égard, la jurisprudence reconnaît à l’employeur le droit de congédier un salarié incapable de s’acquitter adéquatement de ses fonctions. En effet, conserver à son emploi un salarié qui ne peut fournir une prestation de travail normale met en péril l’objet du contrat de travail.

Or, au fil des années, la loi et la jurisprudence sont venues tempérer la portée de ce droit de l’employeur, particulièrement dans la foulée des récents jugements des tribunaux supérieurs traitant de l’obligation d’accommodement.

La Loi sur les normes du travail
D’entrée de jeu, on peut dire qu’un congédiement pour cause de maladie est interdit. L’article 79.1 de la Loi sur les normes du travail (LNT) accorde au salarié qui justifie de trois mois de service continu le droit de s’absenter pour cause d’accident ou de maladie pour une durée d’au plus 26 semaines par année, sans solde. Suivant l’article 79.4, l’employeur doit réintégrer le salarié au sein de l’entreprise et lui accorder tous les avantages dont il aurait bénéficié, n’eût été de l’absence. Néanmoins, cet article précise clairement que ce droit du salarié à la réintégration ne saurait faire échec au congédiement, à la suspension et au déplacement du salarié si les conséquences de l’accident ou de la maladie ainsi que la répétition des absences constituent une cause juste et suffisante. Nous y reviendrons. L’article 122, quant à lui, prohibe le déplacement ou la suspension d’un salarié et l’exercice à son égard de mesures discriminatoires ou de représailles, notamment parce qu’il s’est prévalu d’un droit prévu par la loi.

Dans cette perspective, l’employeur qui souhaite mettre un terme à l’emploi du salarié constamment absent en raison d’une maladie ou d’une invalidité devra s’assurer qu’il respecte les critères établis par la jurisprudence, afin d’éviter que l’arbitre éventuellement saisi d’un grief n’infirme sa décision.

Congédiement pour absentéisme
La validité d’un congédiement pour absentéisme est tributaire de la démonstration de trois éléments :

  1. le taux d’absentéisme excessif du salarié;
  2. l’improbabilité que le salarié ne s’amende et fournisse une prestation de travail adéquate dans un avenir raisonnablement prévisible;
  3. l’employeur a déployé des efforts raisonnables et sincères pour accommoder le salarié, mais se heurte à une contrainte excessive.

Un taux d’absentéisme excessif
En premier lieu, l’employeur devra faire la démonstration que le salarié a été excessivement absent sur une période significative. En effet, le taux d’absentéisme du salarié, relativisé grâce à une comparaison avec le taux d’absentéisme moyen des autres salariés de l’entreprise, doit être réellement excessif. On remarque que la jurisprudence arbitrale est très sévère en ce qui concerne la qualification d’un taux d’absentéisme dit excessif.

Le taux d’absentéisme excessif invoqué au soutien du congédiement doit être considéré au moment du congédiement. Il serait grandement imprudent pour un employeur de procéder au congédiement d’un salarié qui se serait absenté excessivement au cours des dernières années, mais qui aurait été présent au cours des mois précédant le congédiement. Puisque chaque cas est un cas d’espèce, il peut s’avérer hasardeux de tenter de qualifier arbitrairement d’excessif un taux d’absentéisme.

Un pronostic futur qui n’augure rien de bon
En deuxième lieu, le tribunal arbitral doit conclure qu’il est fort improbable que le salarié s’amende, dans un avenir raisonnablement prévisible, et soit ainsi en mesure de fournir une prestation normale de travail.

À ce titre, une distinction doit être faite quant au fardeau de preuve qui incombe à l’employeur. D’abord, lorsqu’il est prouvé que le salarié s’est absenté en raison de pathologies différentes, il lui revient de faire la démonstration qu’il pourra désormais s’acquitter adéquatement de ses fonctions et être présent de façon assidue au travail.

Au contraire, s’il s’agit d’une pathologie unique, la jurisprudence exige généralement que l’employeur fasse la preuve, par l’administration d’une expertise médicale, que le salarié ne pourra s’acquitter adéquatement de ses fonctions et être assidûment présent au travail. Cette preuve médicale doit être convaincante. Le cas échéant, l’employeur pourra insister sur la forte probabilité que le salarié subisse une rechute et s’absente à nouveau. Cependant, la simple possibilité qu’une rechute se produise, dans un avenir non déterminé et déterminable, ne constitue pas un risque substantiel et immédiat pour lequel la jurisprudence ferait droit à l’employeur de refuser de réintégrer un salarié.

Une obligation incontournable : l’accommodement
Le salarié malade congédié sur-le-champ pourrait démontrer que l’employeur a exercé une discrimination à son endroit sur la base d’un handicap et obtenir réparation. La jurisprudence en la matière qualifie le handicap d’une façon large et libérale, en indiquant qu’il peut être réel, mais également perçu subjectivement par l’individu qui en souffre. Ainsi, l’une des limites les plus importantes au congédiement d’un salarié malade est la portée de l’obligation d’accommodement de l’employeur à l’égard du salarié malade ou invalide, sous réserve d’une contrainte excessive. Outre l’employeur, cette obligation d’accommodement est partagée avec le syndicat, en milieu de travail syndiqué.

Les tribunaux supérieurs, notamment la Cour suprême du Canada, ont érigé en règle de droit impérative cette obligation d’accommodement procédurale et substantive. Au plan procédural, l’employeur a l’obligation de procéder à un examen rigoureux afin d’identifier toutes les solutions pratiques lui permettant de composer avec le salarié malade ou invalide. Ce faisant, il devrait examiner le poste du salarié et ses fonctions essentielles, et identifier des aménagements possibles qui lui permettraient de s’acquitter de sa prestation de travail de façon satisfaisante. À cet effet, l’employeur devrait considérer, entre autres, les modifications envisageables au poste du salarié, la disponibilité d’autres postes au sein de l’entreprise, l’ajustement des horaires de travail, l’utilisation d’un équipement ou d’outils susceptibles d’aider le salarié et la possibilité pour ce dernier de s’absenter occasionnellement pour des traitements médicaux. En outre, il devrait donc s’assurer d’obtenir toute l’information pertinente relative à l’état de santé du salarié concerné, consulter le syndicat pour discuter des aménagements possibles et s’assurer que toutes les mesures d’accommodement ont été mises en œuvre.

En somme, la procédure afférente à l’examen et à la détermination d’un accommodement constitue un aspect indépendant et devrait être irréprochable. À défaut, même s’il était ultimement impossible d’accommoder le salarié, l’employeur violerait son obligation d’accommodement si la procédure suivie pour prendre une telle décision était inappropriée.

Le volet majeur de l’obligation d’accommodement concerne la décision d’offrir ou non un accommodement au salarié en considérant la notion de contrainte excessive. Le standard de l’obligation d’accommodement est très élevé et le refus d’accommoder, en alléguant une simple contrainte, ne saurait être maintenu par les tribunaux. À défaut d’une contrainte dite excessive pour l’employeur, l’obligation d’accommoder le salarié handicapé demeure. Pour déterminer si l’obligation d’accommodement a été respectée sans subir une contrainte excessive, il faudra considérer plusieurs facteurs dont la nature du poste occupé, les coûts relatifs à toute modification, l’impact sur les relations du travail et les droits des autres salariés, advenant que la convention collective soit affectée, les conséquences sur les tâches des autres salariés et sur leur moral, l’importance des opérations de l’employeur ainsi que toute considération pertinente visant la sécurité.

Chaque situation doit être examinée dans son contexte factuel propre. Par contre, il est d’ores et déjà possible d’affirmer que l’employeur subira une contrainte excessive lorsqu’il pourra démontrer que l’accommodement exigerait, notamment, la création d’un nouveau poste, le maintien en emploi d’une personne incapable de s’acquitter des fonctions principales de son poste, la modification des fonctions ou du poste d’un autre salarié, qu’il aurait un impact significatif sur la convention collective, des conséquences sur la sécurité ainsi que des coûts importants qui, lorsque quantifiés, seraient susceptibles d’affecter la viabilité de l’entreprise.

En matière d’absentéisme pour cause de maladie, la jurisprudence est très inégale quant à la durée d’une absence pouvant constituer une contrainte excessive. Néanmoins, la contrainte excessive sera plus facilement prouvable lorsqu’il semble clair et sans équivoque, suivant la preuve, que le salarié ne sera pas en mesure de rentrer au travail dans un avenir raisonnablement prévisible.

Les clauses de congédiement automatique dans les conventions collectives
Plusieurs conventions collectives renferment des clauses qui prévoient la rupture du lien d’emploi à la suite d’une absence prolongée au-delà de douze, vingt-quatre ou trente-six mois. Or, ces clauses ont généralement reçu une application stricte, voire automatique, dès la preuve d’une absence prolongée au-delà des limites stipulées. La jurisprudence a récemment modifié cette tendance, en imposant un examen des accommodements possibles avant de procéder au congédiement. Ce nouveau courant jurisprudentiel a tout récemment été confirmé par la Cour d’appel du Québec[1]. Désormais, un employeur ne saurait esquiver l’analyse de l’accommodement du salarié malade ou invalide en se cantonnant à l’application automatique d’une clause de cessation d’emploi. Dès qu’un salarié s’est absenté pour une période équivalente ou supérieure aux limites de temps prévues, l’employeur doit tenir compte de la situation personnelle de ce dernier et évaluer s’il est possible de l’accommoder afin qu’il puisse réintégrer son emploi. Si un accommodement est impossible, l’employeur devra faire la preuve d’une contrainte excessive. Par ailleurs, saisi d’un grief contestant le congédiement, l’arbitre ne saurait omettre la question de l’accommodement, sous peine de voir sa décision cassée par les tribunaux supérieurs.

Conclusion
Enfin, l’employeur aux prises avec un salarié constamment absent pour cause de maladie ou d’invalidité doit analyser scrupuleusement la situation avant de mettre un terme à la relation d’emploi. La jurisprudence a établi quelques critères qui doivent être satisfaits afin que le congédiement soit maintenu. Au surplus, l’obligation d’accommodement de l’employeur et du syndicat, à l’égard du salarié handicapé au sens de la Charte des droits et libertés de la personne parce que malade ou invalide, ne saurait être esquivée. En effet, l’employeur et le syndicat doivent être proactifs et user de créativité pour accommoder le salarié en fonction de ses besoins, sous réserve d’une contrainte excessive. En somme, chaque cas doit faire l’objet d’un examen particulier et ne saurait être négligé, car les tribunaux sanctionnent désormais très sévèrement les violations de l’obligation d’accommodement.

Source : VigieRT, numéro 7, avril 2006.


1 Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal c. Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal), J.E. 2005-627 (C.A.) et Québec (Procureur général) c. Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), J.E. 2005-720 (C.A.).

Gilles Rancourt, CRIA, avocat Droit du travail et de l’emploi Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L., S.R.L.