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Retour au bureau : un retour vers la performance… ou vers le passé?

Alors que la pandémie de COVID-19 avait imposé un virage vers le télétravail en 2020, la tendance actuelle est au retour en présentiel.
14 novembre 2025
Sarah Bourdeau, Ph. D.

Que dit la littérature scientifique?

Une récente méta-analyse regroupant les résultats de 108 études réalisées auprès de plus de 45 000 personnes salariées (Gajendran et al., 2024) indique que les personnes qui font davantage de télétravail sont généralement plus performantes, davantage satisfaites de leur travail, se sentent mieux soutenues par leur organisation et souhaitent rester plus longtemps en poste. Ces effets positifs s'expliquent principalement par l’autonomie accrue que le télétravail peut procurer. Cependant, l’intensité du télétravail peut également accentuer le sentiment d’isolement. Ainsi, les impacts positifs liés au télétravail sont conditionnels à une augmentation réelle de l’autonomie ressentie par les employées et employés, ainsi qu’à la mise en œuvre de stratégies permettant de limiter les risques d’isolement.

Ces résultats sont conformés dans une expérimentation rigoureuse menée par Bloom et ses collaborateurs (2024) dans un service de Trip.com, un voyagiste chinois, afin d’évaluer les effets concrets du travail hybride sur divers indicateurs de performance. Les employées et employés ont été répartis aléatoirement dans deux groupes : le premier maintenait un horaire de travail à cinq jours par semaine en présentiel, tandis que le second adoptait un horaire hybride, avec deux journées de télétravail par semaine. Le test a duré six mois. Les résultats sont révélateurs : non seulement aucune différence quant à la performance des personnes salariées dans les deux groupes n’a été notée, la modalité de travail hybride a permis des économies importantes en réduisant le taux de roulement de 35 %. De plus, les membres du personnel travaillant en mode hybride sont plus satisfaits au travail et rapportent un meilleur équilibre travail-vie personnelle. Suite à l’expérimentation, Trip.com a pris le virage complet vers le travail hybride dans l’ensemble de l’entreprise.

Tendance actuelle

  • 83 % des hautes directions sondées envisagent un retour complet en présentiel dans les années à venir

Bien réfléchir à l’implantation des modes flexibles de travail

Le télétravail est un mode flexible qui permet d’effectuer ses tâches à distance, généralement depuis son domicile, ou encore depuis un lieu choisi librement selon certaines contraintes géographiques (p.ex., à l’intérieur de la province, du pays, ou n’importe où dans le monde). Cette modalité peut être implantée de manière globale (par exemple avec les équipes entièrement virtuelles) ou de manière hybride, en alternant les journées de télétravail avec des journées en présentiel. En plus de la flexibilité quant à le travail est réalisé, le travail flexible comprend aussi la flexibilité quant à quand le travail est réalisé (par exemple, flexibilité de l’horaire de travail : Gerdenitsch et al., 2015).

Il existe une grande variabilité dans la manière dont ces modes peuvent être implantés : certaines organisations opèrent entièrement à distance, d’autres restent en mode présentiel à 100 %, et beaucoup optent pour un modèle hybride combinant travail à distance et présentiel combinant ou non le télétravail avec la flexibilité de l’horaire. Ces grandes variations dans l’implantation de la modalité peuvent jouer grandement sur le sentiment d’autonomie des travailleurs.

En s’appuyant sur les données présentées précédemment, on peut ainsi conclure qu’un mode de travail flexible, qui permet de soutenir l’autonomie de la personne (par exemple laisser donner une certaine flexibilité quant à l’horaire de travail pour les journées en présentiel) plutôt que de le contraindre à venir au bureau cinq jours par semaine selon un horaire fixe, pourrait avoir des effets positifs sur la performance et le bien-être des personnes employées et réduire le taux de roulement.

Par ailleurs, les entreprises qui sauront miser sur la technologie pour garder contact lors des journées à distance et miser sur les journées en présentiel bien réfléchies pour briser l’isolement (plutôt que de forcer les employées et employés à revenir au bureau pour se connecter à des rencontres Teams avec leurs collègues qui ne sont pas dans les mêmes locaux) auront une longueur d’avance sur leurs concurrents.

Le leader : un acteur clé

Au-delà de la réflexion quant à l’implantation des modes de travail, les gestionnaires jouent aussi un rôle important. Ainsi, certaines pratiques managériales peuvent miner l’autonomie associée au télétravail. Par exemple, des gestionnaires, qui se préoccupent du manque de visibilité sur le travail réalisé et qui ont de la difficulté à faire confiance aux membres de leurs équipes, tendent à imposer une surveillance excessive ou à exiger une disponibilité constante pendant les heures habituelles de bureau. La clé du succès : inciter les gestionnaires à développer leur confiance envers les membres de leur équipe (voir Hughes & Saunders, 2021) et à promouvoir leur autonomie, ce que les CHRA | CRIA peuvent faire via des programmes de formations, du coaching de leadership et le développement de pratiques inclusives (p.ex. : gestion de la performance qui ne considère pas les heures travaillées).

Conclusion

Les organisations qui réussiront à mettre en place ou à maintenir des modes de travail réellement habilitants, fondés sur l’autonomie, la confiance partagée et qui implanteront des stratégies efficaces pour contrer l’isolement disposeront d’un avantage concurrentiel majeur. À l’inverse, celles qui adopteront des politiques rigides de retour au bureau risquent de subir des coûts importants en termes de roulement, d’engagement et potentiellement de performance. L'avenir du travail ne dépend pas du lieu physique, mais bien d’un environnement intelligemment pensé, adapté aux objectifs de chaque organisation. Les CRHA | CRIA ont un rôle essentiel à jouer pour accompagner leurs organisations lorsque celles-ci souhaitent repenser leurs pratiques pour concevoir des modes de travail adaptés à leurs objectifs et leurs besoins opérationnels.

Références

  • Bloom, N., Han, R., & Liang, J. (2024). Hybrid working from home improves retention without damaging performance. Nature, 630(8018), 920–925. https://doi.org/10.1038/s41586-024-07500-2
  • Gajendran, R. S., Ponnapalli, A. R., Wang, C., & Javalagi, A. A. (2024). A dual pathway model of remote work intensity: A meta‐analysis of its simultaneous positive and negative effects. Personnel Psychology, 77(4), 1351–1386. https://doi.org/10.1111/peps.12641
  • Garfinkle, M. (2023, May 17). Elon Musk Says Remote Work Is “Morally Wrong.” Entrepreneur. https://www.entrepreneur.com/business-news/elon-musk-says-remote-work-is-morally-wrong/452358
  • Gerdenitsch, C., Kubicek, B., & Korunka, C. (2015). Control in Flexible Working Arrangements: When Freedom Becomes Duty. Journal of Personnel Psychology, 14(2), 61–69. https://doi.org/10.1027/1866-5888/a000121
  • Gibson, C. B., Gilson, L. L., Griffith, T. L., & O’Neill, T. A. (2023). Should employees be required to return to the office? Organizational Dynamics, 52(2), 100981. https://doi.org/10.1016/j.orgdyn.2023.100981
  • Hughes, C., & Saunders, M. N. K. (2021). Building and Maintaining Trust in Virtual Teams. In D. Wheatley, I. Hardill, & S. Buglass (Eds.), Advances in Human Resources Management and Organizational Development (pp. 264–285). IGI Global. https://doi.org/10.4018/978-1-7998-6754-8.ch015
  • KPMG. (2024). KPMG 2024 CEO Outlook. https://kpmg.com/xx/en/our-insights/value-creation/kpmg-global-ceo-outlook-survey-2024.html

Author
Sarah Bourdeau, Ph. D. Psychologue, professeure en comportement organisationnel au Département d’organisation et ressources humaines École des sciences de la gestion de Université du Québec à Montréal