Le travail en présentiel dans les bureaux d’une organisation est-il plus ou moins productif que le travail à domicile? Ou bien c’est le contraire? Or, la réponse à cette question ne serait pas clairement oui ou non, nous dit la science. Les résultats de deux méta-analyses scientifiques (méta-analyse = intégration d’une multitude d’études scientifiques aux méthodes rigoureuses) récemment publiées (Gajendran et al., 2024) apportent un éclairage intéressant : l’effet du télétravail sur la productivité amène un effet bénéfique modéré et des désavantages limités.
Et si la vraie question était de s’interroger sur la manière dont le travail est fait? 88 % du temps de travail d’une personne (Gramarly et al., 2024) est morcelé entre rencontres (en présentiel ou en virtuel), messageries (internes, courriels, textos) et autres applications à mettre à jour. Résultat : une infinité de tâches fragmentées laissant très peu de place au travail de concentration. Pour des travailleurs du savoir, c’est paradoxal!
La désorganisation du travail individuel et collectif amène le temps de travail à être dense et le mode multitâches (Wajcman, 2015) devient la norme quotidienne. Devoir gérer un flux constant de demandes provenant de toutes parts (collègues, clients, partenaires d’affaires, fournisseurs, gestionnaires, hautes directions) crée une pression de temps (Wajcman, 2015) qui poussent les employés et employées à agir, à exécuter, à faire plusieurs tâches simultanément, à opérer des petites actions rapides, etc.
Le sentiment d’affiliation, le désir de collaborer et la bonne volonté des employées et employées les poussent à répondre aux autres et faire tout ce qu’ils peuvent pour les aider. Ceci est humain… et positif! Toutefois, cela se fait au détriment d'un temps de travail concentré et de qualité qui lui, serait productif, satisfaisant, collectivement engageant et porteur.
Beaucoup de recherches scientifiques ont été conduites sur la gestion du temps depuis le début des années 1990. (Claessens et al., 2007; Strzelecka, 2022; Wajcman, 2015; Gregg, 2018; Holdsworth,2021).
La question des différents outils de gestion du temps (technologiques ou non) provient du fait que l’enjeu de la productivité n'est pas considéré de façon structurelle ou organisationnelle, mais plutôt de façon individuelle (Gregg, 2018).
La pression de la gestion du temps est considérée comme la responsabilité (ou la « faute ») de chaque personne plutôt que de reconnaître des causes structurelles générant un cauchemar logistique pour atteindre la synchronicité entre les tâches individuelles et celles des collègues (Gregg, 2018).
Peut-être connaissez-vous l’espace Thèsez-vous? Il s’agit d’un espace de cotravail en présentiel et en virtuel, destiné aux étudiants et étudiantes de maîtrise et de doctorat. Le fonctionnement est unique et fait le succès de l’endroit. Le travail s’y fait selon une adaptation de la technique Pomodoro. Celle-ci, développée dans les années 1980 par un consultant en gestion (Cirillo, 2018) et ayant pour but d'améliorer les flux de travail et de minimiser les interruptions, a amplement été étudiée scientifiquement dans les milieux académiques.
Que se passerait-il si cette technique était intégrée au marché du travail, dans le quotidien des organisations?
Une étude scientifique publiée en 2024 (Pedersen et al., 2024) montre justement les résultats très positifs d'une entreprise qui l'a mise en place. Ce qui avait commencé par une expérimentation (à la suggestion d'une employée) s'est transformé en un fondement essentiel à la productivité de l'entreprise. Tellement, que les employées et employés y travaillent maintenant quatre jours et sont payés pour cinq!
Les principaux effets positifs rapportés sont les suivants :
- permet de terminer les tâches qui traînent depuis longtemps;
- permet d’entamer les tâches plus longues, fastidieuses et complexes;
- les employés et employées se trouvent naturellement à structurer et diviser les tâches, qui semblent inabordables, en parties de 25 minutes réalistes;
- amène les employées et employés à se sentir plus en contrôle, plus efficaces et plus engagés dans leur travail;
- créé un sentiment d'affiliation renforcé : accomplir en même temps des tâches individuelles de concentration qui font avancer l'entreprise.
Il semble que le travail individuel de concentration, lorsqu’effectué en groupe, est loin de rendre les employées et employés déconnectés de leurs collègues. Cela a plutôt créé une complicité, une connivence et une bienveillance palpables.
À noter que cela n’a pas été instantané. Des adaptations ont été requises. Baliser et encadrer les sessions Pomodoro semblent faire partie de la saine gestion de cette transformation de l’organisation du travail.
Encore peu d’études scientifiques intégrant la technique Pomodoro appliquée dans une organisation ont été conduites. La science doit aller plus loin afin d’obtenir des résultats concluants et sans équivoque.
L’étude scientifique présentée ici (Pedersen et al., 2024) et ses résultats positifs ouvrent cependant la porte à explorer davantage l’intégration du temps de travail de concentration de façon structurelle et organisationnelle.
Que ce soit la technique Pomodoro, les sessions de « deepwork », le silence numérique, les « sprints », le « focus time » (ou autres!), la place au temps de travail de concentration semble déterminante, peu importe que ce soit au bureau ou à la maison. De façon plus globale, cela amène aussi à regarder de plus près comment le contexte de travail en entier se déroule, comme le soulève l’article sur le retour au bureau de la professeure-chercheure Sarah Bourdeau, à lire dans ce numéro : comment la flexibilité, l’autonomie et la confiance sont intégrées dans la gestion des organisations.
Je vous invite à lire en entier l’article scientifique sur la technique Pomodoro appliquée en entreprise (Pedersen et al., 2024). L’organisation y témoigne de son cheminement, de ses découvertes, de ses adaptations et des commentaires de son personnel. Cela peut donner des idées et des perspectives!
Porteuses ou non, quelles sont vos expériences sur le plan de la gestion organisationnelle du temps de travail de concentration? J'aimerais vous entendre. Voir les chercheurs et les organisations dialoguer, collaborer étroitement et concrètement à l’avancement de la science est l’un de mes rêves.
Références
- Cirillo, F. (2018). The Pomodoro Technique. Virgin Books.
- Claessens, B. J. C., Eerde, W. van, Rutte, C. G. and Roe, R. A. (2007). A review of the time management literature. Personnel Review, 36(2), 255–276. https://doi.org/10.1108/00483480710726136
- Gajendran, R. S., Ponnapalli, A. R., Wang, C. and Javalagi, A. A. (2024). A dual pathway model of remote work intensity: A meta-analysis of its simultaneous positive and negative effects. Personnel Psychology, 77(4), 1351–1386. https://doi.org/10.1111/peps.12641
- Grammarly and Harris Poll. (2024). 2024 State of Business Communication. https://go.grammarly.com/thankyou/content/2024-SOBC-Report
- Gregg, M. (2018). Counterproductive : time management in the knowledge economy. Duke University Press.
- Holdsworth, C. (2021). The Social Life of Busyness. https://public.ebookcentral.proquest.com/choice/publicfullrecord.aspx?p=6725049
- Pedersen, M., Muhr, S. L. and Dunne, S. (2024). Time management between the personalisation and collectivisation of productivity: The case of adopting the Pomodoro time-management tool in a four-day workweek company. Time & Society, 33(4), 417–437. https://doi.org/10.1177/0961463x241258303
- Strzelecka, C. (2022). Time paradoxes of neoliberalism: How time management applications change the way we live. Time & Society, 31(2), 270–290. https://doi.org/10.1177/0961463x211059727
- Wajcman, J. (2015). Pressed for time : the acceleration of life in digital capitalism (Paperback edition). The University of Chicago Press.