Les autrices et auteurs de cet article souhaitent exprimer leur reconnaissance envers la Fondation CRHA pour la bourse de recherche offerte ayant permis la réalisation de ce projet.
Les visées de ces pratiques sont généralement assez similaires : aligner les objectifs du personnel sur les priorités de l’organisation, prendre des décisions éclairées en matière de gestion des employées et employés, ou soutenir et améliorer le développement et la performance de ces derniers (Murphy et al., 2018).
Si les objectifs poursuivis sont clairs, une réflexion s’impose sur les moyens pour y arriver, car les pratiques « traditionnelles » de gestion de la performance ne sont plus adaptées aux nouvelles réalités organisationnelles (Pulakos et al., 2019). Les employées et employés rapportent des seuils grandissants d’insatisfaction face aux pratiques de gestion de performance dans leur entreprise. Aussi, les gestionnaires et les équipes de direction y voient souvent une faible valeur ajoutée par rapport au temps investi (Cappelli et Conyon, 2018; Ernst et Young, 2019). Ce constat est alarmant dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre où les organisations peinent à retenir leurs ressources les plus qualifiées (De Smet et al., 2021). Dans ce nouveau contexte, la littérature met en lumière cinq défis cruciaux que les organisations doivent relever pour optimiser leur système de gestion de la performance (Schrøder-Hansen et Hansen, 2022).
Cinq défis cruciaux que les organisation doivent relever
Des entreprises telles qu’Adobe, Deloitte, Microsoft et Netflix sont souvent citées comme des exemples d’organisations ayant relevé ces défis grâce à des stratégies innovantes de gestion de la performance. Mais qu’en est-il réellement? Il manque de données probantes afin de déterminer si ces stratégies sont véritablement efficaces ou relèvent d’effets de mode. Les nouveaux modèles proposés répondent-ils aux attentes des organisations qui les mettent en place? Sont-ils réellement en harmonie avec les besoins des gestionnaires et des membres de leurs équipes? Ces nouvelles pratiques sont-elles généralisables aux autres organisations? Et que font les entreprises d’ici?
Dans le cadre d’une étude sur le renouvellement des pratiques de gestion de la performance, quatre organisations d’ici ayant adopté des approches innovantes ou ayant révisé leur système de gestion de la performance ont accepté de partager leur expérience. Des entretiens approfondis avec des professionnelles et professionnels RH dans chaque organisation, ainsi que 22 gestionnaires et 29 personnes employées par ces organisations ont permis de mettre en lumière l’expérience des différentes pratiques en place et mieux comprendre les avantages, enjeux et conditions de succès de celles-ci pour les parties prenantes qui les mettent en œuvre et qui les vivent au quotidien.
Des pratiques aux visées convergentes
Nos entretiens ont mis en lumière un vaste éventail de pratiques formelles et informelles adoptées par chacune des organisations afin de soutenir et améliorer la performance des employées et employés. Quatre éléments transversaux sont ressortis des pratiques rapportées par les répondantes et répondants.
Responsabilisation des employées et employés
Premièrement, une volonté de responsabiliser l’employé en regard de sa performance et de la gestion de celle-ci transparaît dans l’ensemble des données collectées. La participation active de l’employé dans la définition de ses objectifs et le recours à l’auto-évaluation sont des outils préconisés. Dans certains cas, l’employé devient même l’initiateur du cycle d’évaluation de la performance et a la responsabilité de colliger l’information pertinente auprès de différentes sources. Les plateformes et outils numériques d’accompagnement à la gestion de la performance facilitent la prise en charge par l’employé en structurant le processus et en facilitant le partage d’information.
Pour une majorité d’employées et employés, cette responsabilisation est fort appréciée. Elle leur permet de mieux s’approprier la vision et la mission de l’organisation et d’avoir une certaine latitude sur la façon de contribuer aux objectifs organisationnels. Certains gestionnaires soulignent d’ailleurs que cette responsabilisation, tant dans la gestion de la performance que dans le développement, procure les bases aux employées et employés pour en donner plus. En revanche, elle crée chez ces derniers de nouvelles attentes pour avoir plus d’informations sur leurs résultats, ceux de leur équipe ou service, et plus largement de l’organisation. Une entreprise qui souhaite s’engager sur cette voie doit être prête à offrir plus de transparence, afin que son personnel dispose de toutes les données nécessaires pour utiliser cette marge de manœuvre de manière efficace.
Rétroaction, rétroaction, rétroaction…
Qu’elle soit formalisée dans le processus ou offerte de manière informelle, la rétroaction en continu est un incontournable. Les employées et employés interrogés disent vouloir savoir s’ils vont dans la bonne direction, s’il y a des rajustements à apporter et ils souhaitent recevoir de l’accompagnement. Le fait d’avoir des échanges plus fréquents permet de réajuster les attentes, de s’assurer d’un cadre de référence commun sur les objectifs et de cibler avec l’employé des possibilités de développement. La rétroaction en continu semble également faciliter les rencontres d’évaluation formelles. En effet, plusieurs gestionnaires et employés d’une organisation où la rétroaction est formalisée mensuellement ont mentionné que l’évaluation annuelle se déroulait plus aisément puisque les rencontres fréquentes permettent d’éviter le stress et les mauvaises surprises en fin d’année. Toutefois, là où la rétroaction en continu est encouragée et non formalisée, on note une grande variabilité dans l’adhésion à cette pratique par les gestionnaires, étant souvent perçue comme une charge supplémentaire de travail par ces derniers. Alors que plusieurs mentionnent le développement de relations plus riches avec les membres de leurs équipes, d’autres estiment qu’il s’agit d’une perte de temps, n’y voyant pas l’utilité. Ces nouvelles pratiques de rétroaction exigent donc de repenser le travail des gestionnaires, de réfléchir aux ratios de supervision et d’outiller ces derniers afin de s’assurer qu’ils ont le temps et les compétences nécessaires pour réaliser efficacement ces tâches.
Alignement sur la stratégie, mais aussi sur les valeurs
L’alignement des objectifs individuels et organisationnels n’est pas un fait nouveau, mais l’utilisation du système de gestion de la performance comme vecteur de transmission et d’appropriation des valeurs de l’organisation devient une pratique clé qui offre une occasion unique de renforcer la culture d’entreprise. Les employées et employés développent une meilleure compréhension de la façon dont leur travail contribue aux objectifs globaux tout en respectant les principes et façons de faire de l’organisation. Il ressort des échanges avec les participantes et participants que l’intégration des valeurs favorise la responsabilisation des employés dans l’atteinte de la mission de l’entreprise. L’accent mis sur les valeurs au moment de l’évaluation, mais aussi tout au long de l’année lors des rencontres de rétroaction et des échanges informels, est perçu comme un élément distinctif par plusieurs répondantes et répondants, une force de leur processus, qui se démarque de ce qu’ils ont connu dans d’autres organisations. Il s’agit là d’un élément encore plus important dans des contextes hybrides de travail ou de gestion à distance.
Approche orientée employé
Les entretiens ont révélé une tangente dans les quatre organisations vers une approche de gestion de la performance centrée davantage sur la personne. Dans toutes les organisations, le perfectionnement professionnel constitue un axe important du système de gestion de la performance. Par différents moyens, on cherche à exploiter les forces des employées et employés afin qu’ils contribuent pleinement et puissent évoluer au sein de l’organisation. L’enjeu de la rétention n’est pas étranger à cette approche, qui mise moins sur le contrôle et plus sur l’accompagnement. Pour trois des organisations participantes, l’approche de bienveillance dans le système de gestion de la performance mis en place ressort clairement du discours, non seulement des spécialistes RH et des gestionnaires, mais aussi de celui des employées et employés. On évoque le droit à l’erreur, la capacité du gestionnaire à comprendre la réalité des membres de son équipe, l’écoute et l’approche consultative et collaborative. Les plus critiques de cette approche évoquent toutefois le risque d’abaisser les attentes de performance ou de ne pas gérer adéquatement les écarts. En d’autres mots, certains estiment que la bienveillance ne devrait pas être une porte ouverte au nivellement vers le bas et qu’elle doit être accompagnée d’un soutien rigoureux des spécialistes RH dans les cas de sous-performance.
Une gestion de la performance qui répond aux défis?
Le devis de l’étude ne permet pas de conclure que les pratiques, telles que décrites par les participantes et participants, répondent en tout ou en partie aux défis définis dans la littérature. En revanche, il est clair que les professionnelles et professionnels RH, ainsi que les gestionnaires partagent plusieurs des préoccupations évoquées par les expertes et experts. Simplifier les outils pour éviter les lourdeurs administratives et s’adapter au changement, susciter l’adhésion et la collaboration des employées et employés à la mission et aux objectifs de l’entreprise et les aider à accomplir leur travail en misant sur le développement et l’amélioration continue. Tels sont les défis qui ont été évoqués dans le cadre de nos entretiens et sur lesquels s’attellent actuellement les professionnelles et professionnels RH, de même que les gestionnaires sondés.