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À l’ère de l’intelligence… émotionnelle? Oui, et comment!

Le présent article traite des compétences relationnelles dans un contexte de service à la clientèle. Sur la base d’une recension des écrits et de deux groupes de discussion, nous abordons l’importance de ces compétences et quelques idées clés pour leur développement.
31 octobre 2024
Michel Cossette, CRHA | Romina Bolanos | Guillaume Delroeux

Pour les organisations, les personnes et la technologie constituent les deux grands leviers de création de valeur.

Avec l’essor de l’intelligence artificielle (IA), les organisations voient dans la technologie la perspective de se démarquer. Pour qu’une organisation développe un avantage compétitif, elle doit disposer de ressources qui sont 1) valorisées sur le marché, 2) rares, 3) difficilement reproductibles par d’autres organisations, et 4) non substituables par d’autres moyens[1]. L’IA crée(ra) certainement de la valeur notamment en permettant la prise en charge et l’automatisation de tâches mécaniques et analytiques[2].

Ironiquement, la montée en puissance de l’IA accroît l’importance de la dimension humaine dans la création d’un avantage concurrentiel puisque la technologie a le « défaut » de se démocratiser : les organisations ont un accès à des conditions technologiques similaires, minant du coup les critères de rareté, de reproductibilité et de substituabilité pour l’obtention d’un avantage compétitif. En comparaison, la capacité à déployer ces nouvelles technologies et à organiser la prise en charge des activités non automatisables s’avèrent probablement aussi – si ce n’est plus – importantes à développer un avantage concurrentiel durable.

Tirer parti de cette possibilité pose aux CRHA et aux CRIA un double défi : susciter la réflexion stratégique dans un environnement priorisant souvent des résultats opérationnels à court terme et déployer des stratégies de développement des compétences relationnelles appropriées et efficaces.

Une organisation doit disposer de ressources :

  1. Valorisées sur le marché
  2. Rares
  3. Difficilement reproductibles par d’autres organisations
  4. Non substi­tuables par d’autres moyens

L’effet à moyen et long termes des compétences relationnelles

Bien que l’importance des compétences relationnelles soit généralement reconnue[3], démontrer concrètement leur effet sur la performance organisationnelle pour obtenir le soutien de la haute direction reste un défi pour plusieurs. Parler de développement de ces compétences ne suffit pas : il faut pouvoir faire les liens avec un retour concret sur le capital investi. Ceux qui réussissent le mieux priorisent l’effet sur l’expérience client et la santé psychologique du personnel.

La satisfaction client

S’il y a un résultat qui dépend des compétences relationnelles, c’est bien la satisfaction client[4][5]. C’est d’autant plus vrai que la manière dont nous communiquons et interagissons avec les organisations a profondément changé dans les dernières années : quand nous parlons à quelqu’un dans un magasin ou un centre d’appels, c’est très souvent après avoir tenté par nous-mêmes - en ligne, sur un site web ou avec un chatbot - d’obtenir un produit ou un service.

Or, plus l’automatisation progresse, et plus les interactions humaines sont teintées d’émotions, d’attentes non rencontrées, de besoins implicites. Dans ce contexte, il devient essentiel de développer l’intelligence émotionnelle du personnel-contact, c’est-à-dire leur capacité à cerner reconnaître et réguler les émotions, les leurs comme celles de la clientèle pour adapter adéquatement leurs comportements[6]. C’est aussi vrai pour les habiletés de communication du personnel en contact avec la clientèle, mais aussi des gestionnaires qui les soutiennent ou les supervisent.

L’effet de la maîtrise des compétences relationnelles sur la satisfaction client, leur fidélité, leur loyauté, mais aussi sur l’efficacité peut se quantifier. Le défi pour les CRHA et les CRIA n’est pas de trouver des données généralement présentes en grand nombre, mais plus de les réunir, de les faire parler et ainsi établir clairement le besoin de développer les compétences comportementales.

La santé psychologique des équipes

Au-delà de l’effet sur la performance, les compétences comportementales contribuent également à la santé psychologique des équipes. En effet, lors d’interactions, l’employée ou l’employé misant sur l’interprétation de la situation du point de vue de la clientèle aura davantage de facilité à désamorcer la situation émotionnelle intense par sa posture plus authentique et réceptive. Inversement, miser sur la simulation des émotions attendues piégera doublement la personne employée puisqu’elle se retrouvera dans un état de dissonance émotionnelle, laquelle est perceptible et est dommageable pour la santé psychologique[7][8]. Bref, la présence de ces compétences donne lieu à des situations gagnantes-gagnantes pour le personnel et l’organisation en matière de performance de service et de santé psychologique au travail.

Développer les compétences relationnelles

Une fois positionnée l’importance des compétences relationnelles, il faut savoir prioriser quelques compétences clés et établir les stratégies efficaces de développement.

Aux enjeux traditionnels de la formation – manque de temps, pénurie de personnel, difficulté à libérer les employées et employés – s’ajoutent des points d’attention particuliers au développement des compétences relationnelles :

  • S’assurer du vouloir de la personne : elles doivent pouvoir répondre à la question suivante « Pourquoi développer mes compétences relationnelles? »
  • Prévoir suffisamment de temps : ces compétences relationnelles se développent dans la durée et avec la pratique, surtout si elles sont peu présentes au début chez les personnes!
  • Outiller les personnes qui forment : certaines activités peuvent réveiller des traumatismes personnels et il est important de les outiller pour y faire. 

Pour les CRHA et CRIA, utiliser un éventail de stratégies de développement dont des activités de formation, mais aussi du coaching, du mentorat, du codéveloppement, est essentiel. Cela peut aussi impliquer des activités de simulations, des jeux de rôles, de tests de personnalités et d’auto-évaluation.

La personnalisation des parcours est considérée comme une bonne pratique, chaque personne n’ayant pas les mêmes besoins de développement, ainsi que le fait d’intégrer les activités développant les compétences relationnelles et techniques.

Enfin, on ne saurait passer sous silence la participation des gestionnaires : encadrer la performance sur ces compétences, donc faire en sorte que les gestionnaires maîtrisent ces compétences relationnelles afin de montrer l’exemple aux membres de leur équipe. Ceci implique donc que la sélection des gestionnaires tienne compte de ces compétences et que celles-ci soient développées et maintenues dans le temps.

Conclusion

Le contexte d’accélération technologique que nous vivons aujourd’hui met en avant un rôle essentiel des CRHA et CRIA dans le succès des transformations numériques menées par les organisations : en allant au-delà de la gestion du changement, par ailleurs au combien nécessaire, et en se faisant les champions du développement des compétences relationnelles, les CRHA et CRIA peuvent propulser la compétitivité des organisations.


Author
Michel Cossette, CRHA Professeur HEC Montréal

Author
Romina Bolanos Étudiante (M. Sc), HEC Montréal

Author
Guillaume Delroeux Président et leader de pratique en expérience client Prométhée Consultants

Source : Revue RH, volume 27, numéro 4 ─ Octobre - Novembre - Décembre 2024

  1. Barney, J. B. (1991). Firm resources and sustained competitive advantage. Journal of Management, 17(1), 99-120.  
  2. Khoa, T. D., Gip, H., Guchait, P., Chen-Ya, W., & Baaklini, E. S. (2023). Empathetic creativity for frontline employees in the age of service robots: Conceptualization and scale development. Journal of Service Management, 34(3), 433-466. doi:https://doi.org/10.1108/JOSM-09-2021-0352  
  3. Fox, S., & Spector, P. E. (2000). Relations of emotional intelligence, practical intelligence, general intelligence, and trait affectivity with interview outcomes: It's not all just 'G'. Journal of Organizational Behavior. Special Issue: Emotions in organizations, 21(Spec Issue), 203-220. doi:10.1002/(SICI)1099-1379(200003)21:2<203::AID-JOB38>3.0.CO;2-Z 
  4. Cossette, M., & Bergeron, M. (2016). Stratégies pour servir avec le sourire : Effet des orientations clients et impacts sur la performance de service. Humain et organisation, 2(1), 1-8.  
  5. Grandey, A. A. (2003). When "the show must go on": Surface acting and deep acting as determinants of emotional exhaustion and peer-rated service delivery. Academy of Management Journal, 46(1), 86-96. doi:10.2307/30040678 
  6. Mayer, J. D., Salovey, P., & Caruso, D. R. (2008). Emotional intelligence: New ability or eclectic traits? American Psychologist, 63(6), 503-517. doi:10.1037/0003-066x.63.6.503 
  7. Hülsheger, U. R., & Schewe, A. F. (2011). On the costs and benefits of emotional labor: A meta-analysis of three decades of research. Journal of occupational health psychology, 16(3), 361-389. doi:10.1037/a0022876 
  8. Picard, K., Cossette, M., & Morin, D. (2018). Serving customers with a smile: source of exhaustion and performance among employees of call centers? Canadian Journal of Administrative Sciences, 35(2), 179-227.