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Dopage cognitif, une quête de performance?

Psychostimulants, bêtabloquants, microdoses de champignons magiques… Avaler une pilule pour stimuler ses facultés intellectuelles ou diminuer son stress soulève bien des questions dans le milieu du travail.
16 octobre 2024
Fanny Rohrbacher, Journaliste scientifique

Outre les vitamines, le café ou les boissons énergisantes qui donnent des ailes, de plus en plus de personnes se tournent vers des substances moins innocentes pour tenir le coup au bureau. Un comprimé de Ritalin pour améliorer sa concentration. Un cachet de propranolol pour calmer son stress. Une microdose de psilocybine pour amplifier son efficacité et libérer sa créativité. Ces substances pour mieux performer sont-elles en train de devenir la panacée dans une société occidentale[1] où l’on prône la réussite à tout prix? Qu’en dit la science?

Psychostimulation, à quel prix?

Ritalin, Concerta, Vyvanse, Adderall… Les psychostimulants sont prescrits afin d’aider les individus vivant avec le TDA/H — un trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité — à fonctionner normalement. Dans le cerveau, ces médicaments libèrent de la dopamine et de la noradrénaline, deux neurotransmetteurs qui jouent un rôle essentiel pour réguler l’attention, la concentration et la motivation. Mais dans le cas du dopage cognitif, plusieurs travailleuses et travailleurs les consomment pour atteindre une performance au-dessus de la normale. Une étude anglaise[2] montre qu’en moyenne, 14 % des 30 000 personnes sondées dans 15 pays, dont le Canada, avouent avoir eu recours à un stimulant pharmaceutique au moins une fois en 2017.

« Pour les personnes qui ont un vrai problème fonctionnel, le médicament corrige une pathologie dans le cerveau », explique Philippe Vincent, pharmacien clinicien et professeur agrégé à l’Institut universitaire de santé mentale de l’Université de Montréal. En revanche, en contexte de quête de performance, les individus sans réel déficit ressentent surtout une hyperconcentration et une augmentation de l’énergie. Dans un cas d’abus, comme le dopage cognitif, les effets de la médication durent moins longtemps. « Ces personnes subiront aussi davantage les effets secondaires[3], avertit le pharmacien. C’est-à-dire une perte d’appétit et de l’insomnie, donc de la fatigue, et de ce fait, la nécessité de reprendre la substance à une dose de plus en plus forte. » Des psychostimulants parfois combinés aux somnifères, voilà un dangereux cocktail pouvant facilement mener à la dépendance.

Des microdoses de champignons magiques, mythe ou réalité?

Les adeptes du microdosage consomment à intervalles réguliers un dixième d’une dose classique de psilocybine, un principe actif présent dans certains champignons hallucinogènes. Ces personnes soutiennent que cela améliore leur créativité au travail, calme leurs symptômes d’anxiété et de dépression, mais sans engendrer les effets psychoactifs courants, comme le trip, les hallucinations. En effet, seules quelques études sur le sujet, liées au caractère illégal de ces drogues, font obstacle à la confirmation des affirmations et à l'établissement d'un consensus au sein de la communauté scientifique[4]. En revanche, il existe peu de preuves que cette pratique cause une dépendance, contrairement à d’autres substances.

Dans une recherche[5] sur le microdosage de psilocybine, des scientifiques des Pays-Bas ont bien observé des changements dans le mode de pensée chez les personnes participantes, ainsi que leur habileté à résoudre des problèmes. Cependant, l’étude n’a pas confirmé l’amélioration des capacités cognitives ni celles d’analyse.

Au Canada, une équipe de recherche de l’Université de Toronto se penche actuellement sur la question[6]. Le microdosage est-il véritablement efficace et sans danger? Bien que l’essai clinique, une première mondiale, porte avant tout sur son usage dans le traitement de la dépression, il déterminera sans doute un effet réel ou placebo, et apportera une nuance sur les conséquences du microdosage. À suivre…

Des « bêta » pour calmer les angoisses?

Ici, on ne parle pas de dopage cérébral, mais de contrôle d’un stress contextuel. Les bêta-bloquants[7], des médicaments qui ralentissent la fréquence cardiaque et relâchent certaines fibres musculaires, gagnent aussi en popularité. « Chez une personne qui panique régulièrement, pendant une présentation à un conseil d’administration par exemple, le bêtabloquant réduira l’hyperactivité du cœur et donc le stress », avance à nouveau Philippe Vincent, pharmacien clinicien.

Le hic[8]? Une trop grande diminution de la pression artérielle peut occasionner des vertiges et de la fatigue, un refroidissement des extrémités, des troubles digestifs ou une diminution des performances physiques à l’effort. Aussi, en prenant les « bêta » comme béquilles, on ne se donne pas l’occasion d’apprendre à faire face au stress autrement. Les cachets deviennent ainsi notre solution par défaut.

Dopage cognitif, comment y faire face?

Face à des employées ou employées recourant à des substances stimulantes, parfois sans suivi médical, cinq pistes d'actions sont envisagées :

  • Valoriser une gestion bienveillante et une culture d'entreprise centrée sur la santé et le bien-être. Éviter de mettre les personnes sous pression excessive.
  • Porter attention aux signes, tels qu’une baisse de performance ou les changements de comportement, et orienter vers une consultation médicale si nécessaire.
  • Sensibiliser aux risques, comme les effets secondaires et la dépendance, ainsi que la nécessité d’un avis médical pour toute prise de médicament par le biais de campagnes de prévention.
  • Promouvoir un mode de vie saine, en encourageant les périodes de déconnexion, une alimentation équilibrée, une activité physique régulière, un sommeil de qualité.
  •  Optimiser les programmes d'aide aux employés en facilitant l'accès à des professionnelles et professionnels de la santé (médecins, psychologues), ainsi qu’en proposant des ateliers de gestion du stress et d'organisation personnelle.

La vigilance des CRHA et CRIA est essentielle pour prévenir les dérives liées au dopage cognitif. En valorisant un cadre de travail favorable à la santé, en collaboration avec les professionnelles et professionnels médicaux, les CRHA |  CRIA contribueront au bien-être des membres du personnel, et par ricochet, à une meilleure performance durable de leur organisation.

Bibliographie

Actualité

Microdosage

À voir  

  • Take your pills, Netflix. Le documentaire explore la consommation de médicaments psychostimulants par des gens qui ne souffrent pas d’un trouble du déficit d’attention.

Recherche  

Note

Le gouvernement du Canada a interdit, pendant quelques mois en 2005, la vente de l’Adderall XR, un stimulant du système nerveux central, après que 20 personnes qui l’utilisaient sur ordonnance soient décédées dans le monde. Bien qu’un comité indépendant d’experts ait constaté que le risque accru de mort subite ou d’accident vasculaire cérébral associé à l’Adderall XR n’avait pas été établi, il reconnaissait toutefois qu’il était théoriquement possible que tous les stimulants utilisés pour traiter les troubles de l’attention augmentent le risque de mort due à des troubles cardiaques. Sans aller jusque-là, il faut compter, parmi les effets indésirables possibles, l’insomnie (qui toucherait de 4 % à 8 % des sujets), la nervosité (de 3 % à 4 %), l’anxiété (2,5 %) ou une modification de l’humeur. (Extrait de l'Actualité)


Author
Fanny Rohrbacher, Journaliste scientifique

Source : Revue RH, volume 27, numéro 4 ─ Octobre - Novembre - Décembre 2024