Les personnes responsables de la formation font face à un défi de taille : en démontrer sa valeur ajoutée. Elles doivent non seulement adopter un rôle d’influence, mais également posséder les connaissances et compétences afin d’argumenter leurs choix andragogiques et stratégiques. Or, notre expérience d’enseignement en gestion de la formation nous a permis de constater que ces personnes ont des parcours académiques diversifiés, ancrés dans leur domaine d’expertise (p. ex. : ingénierie, pharmacie, droit, comptabilité), mais possèdent plus rarement une formation spécifique sur la façon dont l’humain apprend et sur les forces et limites des diverses techniques d’enseignement. Elles s’appuient souvent sur leur intuition et leurs savoirs expérientiels.
Si cette intuition est souvent efficace, il arrive néanmoins que les pratiques ne soient pas les plus optimales. Par exemple, certains formateurs plongent rapidement dans l’action en créant le matériel de formation, sans même se demander si la formation est réellement la solution au problème organisationnel. D’autres, très enthousiastes, adoptent des approches basées sur les dernières tendances technologiques, sans en évaluer l’efficacité ou la pertinence dans leur contexte spécifique. Ce décalage entre les besoins, le contexte et les stratégies peut faire en sorte que les interventions en formation n’atteignent pas la cible.
Comment alors s’assurer que les efforts de formation se traduisent par des résultats organisationnels probants? Voici trois pistes de solution.
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Analyser les besoins avant d’intervenir
Avant de lancer une nouvelle intervention de formation, il faut s’assurer qu’elle répond à un besoin réel. Les équipes de formation reçoivent de nombreuses demandes et doivent valider l’effet potentiel de chaque formation sur l’efficacité organisationnelle, de manière à prioriser. Une analyse des besoins d’apprentissage est alors essentielle. Voici trois questions clés à se poser :
- La formation comble-t-elle un besoin de relève?
- La formation permet-elle de développer des compétences nécessaires pour mener à bien un nouveau projet organisationnel?
- La formation permet-elle de régler un problème de performance individuelle ou collective?
Lorsque la formation vise l’accueil et l’intégration, la conformité, la relève ou le développement de nouvelles compétences, elle est généralement justifiée. Cependant, si le problème est lié à la performance, il faut alors s’assurer que la cause est effectivement un manque de compétences. Trop souvent, le problème de performance provient d’autres facteurs, comme des normes mal connues, un manque de rétroaction, des outils indisponibles, un manque de motivation ou un environnement qui récompense des actions inadéquates. Dans ce cas, il faut absolument aborder ces éléments pour déterminer si la formation est l’intervention la plus adaptée, et le cas échéant, s’assurer que cette intervention produise les effets escomptés.
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S’appuyer sur des pratiques validées
Toute intervention de formation devrait s’appuyer sur des principes andragogiques qui soutiennent l’apprentissage et sur des pratiques validées. Autrement, on risque de tomber dans les pièges des mythes en apprentissage ou des effets de « mode ».
Certains principes de conception sont universels, quelle que soit la modalité de diffusion. D’autres principes sont spécifiques à la formation en classe ou au e-learning, par exemple. Voici quelques exemples :
- Partir de ce que la personne apprenante doit être capable de faire (compétences) plutôt que ce qu’elle doit retenir (contenus).
- Contextualiser en fournissant des exemples et en favorisant des activités le plus près possible des tâches réelles.
- Inviter les personnes apprenantes à faire des liens avec leurs connaissances et expériences antérieures.
- Faire pratiquer à plusieurs moments au cours de l’activité de formation.
- Utiliser des stratégies engageantes, où les personnes sont actrices de leur apprentissage.
- Structurer les activités dans une séquence logique adaptée au contexte (p. ex. : du général au spécifique).
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Évaluer l’effet des interventions
Un enjeu majeur pour les organisations est d’évaluer l’efficacité des formations. Malheureusement, cette étape est souvent négligée pour diverses raisons : la formation n’est pas jugée prioritaire et l’organisation manque de compétences en évaluation. Ou alors, on craint de remettre en question des manières de faire. Pourtant, l’évaluation est essentielle pour démontrer la valeur de la formation et améliorer les pratiques.
Même lorsque les formations sont évaluées, les rapports remis aux équipes de direction se concentrent souvent sur des indicateurs comme le nombre de personnes formées, le nombre de formations offertes, le coût par personne formée et le taux de satisfaction générale envers les formations. Rien d’étonnant alors que la formation est perçue comme une dépense!
Si ces indicateurs ont leur utilité, des indicateurs qui en mesurent l’effet sur le plan du changement de comportements ou de performance organisationnelle sont aussi nécessaires. Par exemple, en fonction du problème organisationnel auquel remédier, on peut comparer, après une formation sur l’entretien d’un matériel roulant, le nombre de bris mécaniques avant et après la formation, ou encore mesurer l’évolution du temps requis pour effectuer l’entretien. Pour une formation sur les compétences relationnelles, on peut utiliser des grilles détaillées d’autoévaluation ou d’observation pour mesurer les changements comportementaux.
Ainsi, la formation est un domaine de spécialisation à part entière, avec des pratiques basées sur la science, comme la plupart des autres professions. Une intervention de formation réussie repose sur bien plus que de l’intuition : elle nécessite un solide bagage de connaissances et de compétences. Les connaissances disponibles sur l’analyse des besoins de formation, la conception et l’évaluation étant abondantes, il est judicieux de s’appuyer sur des sources fiables. Il existe des ouvrages de référence assez complets et plusieurs programmes universitaires sont disponibles pour les spécialistes de la formation au Québec qui souhaitent se professionnaliser.
Quelques ressources pour aller plus loin
- Chevalier, R. (2003). Updating the behavior engineering model. Performance Improvement, 42, 814. https://doi.org/10.1002/pfi.4930420504
- CTREQ (2018). Les neuromythes en éducation. https://rire.ctreq.qc.ca/neuromythes-education/
- Kirkpatrick, J. D., & Kirkpatrick, W. K. (2016). Kirkpatrick’s four levels of training evaluation. ATD Press.
- Kraiger, K., & Ford, J. K. (2021). The science of workplace instruction: Learning and development applied to work. Annual Review of Organizational Psychology and Organizational Behavior, 8(1), 4572. https://doi.org/10.1146/annurev-orgpsych-012420-060109
- Rivard, P., & Lauzier, M. (2023). La gestion de la formation et du développement des ressources humaines : Pour préserver et accroître le capital compétence de l’organisation (3e édition). Presses de l’Université du Québec.
- Roussel, J.-F. (2011). Gérer la formation, viser le transfert : Repères théoriques, outils pratiques. Guérin, éditeur ltée.
- Université de Sherbrooke. (2024). Description des programmes en gestion de la formation. Département de gestion de l’éducation et de la formation. https://www.usherbrooke.ca/gef/gestion-de-la-formation/description-des-programmes