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Incidences du travail à horaires atypiques sur la santé mentale

Le travail à horaires atypiques engendre plusieurs conséquences sur la santé mentale et le sommeil des travailleuses et travailleurs. Des interventions individuelles et organisationnelles adaptées peuvent réduire l’incidence de ces enjeux.
30 avril 2024
Annie Vallières | Julia Pizzamiglio Delage | Patricia Nolin | Tyna Paquette | Valérie Viau | Marie-Pier Boivin | Mélanie Lefrançois | Célyne Bastien | Julie Carrier

Au Québec, environ le tiers des travailleuses et travailleurs sont soumis à des horaires atypiques de travail[1]. Ces horaires atypiques englobent tous les horaires sortant du cadre normal de la journée de 8 h à 18 h; ils peuvent être fixes, sur appel ou en rotation. Ceci inclut l’horaire débutant tôt le matin, de soir, de nuit, de fin de semaine, les longues heures de travail (plus de 10 heures/jour ou plus de 40 heures/semaine) et l’horaire fragmenté en plusieurs blocs de travail dans une journée. Ces horaires touchent notamment le personnel du système de santé, des services d’urgence, des télécommunications, de l’hôtellerie, de la restauration et du transport qui assurent des activités en tout temps.

Au Québec

  • 30% de travailleuses et travailleurs sont soumis à un horaire atypique de travail

Horaires atypiques de travail et santé mentale

Les nombreuses conséquences du travail à horaires atypiques sont bien documentées. Premièrement, un effet sur la santé mentale des travailleurs et travailleuses est reconnu : les horaires atypiques augmentent le risque de souffrir de dépression, d’anxiété ou d’épuisement professionnel[2][3]. Le risque est plus élevé aussi d’éprouver des idées suicidaires [4] et de développer un problème d’abus d’alcool[5][6]. Environ la moitié du personnel ayant un horaire atypique exprime une insatisfaction de son bien-être et près d’un tiers se dit insatisfait de sa santé physique et mentale [2]. Enfin, les parents ou proches aidants ayant des horaires atypiques vivent plus de conflits travail-famille liés à de la détresse psychologique [7].

Horaires atypiques de travail et sommeil

Les quarts de nuit, les longs quarts de travail et le travail sur appel ont un contrecoup indéniable sur le sommeil, se traduisant par une réduction de la qualité et de la durée du sommeil ainsi qu’un grand temps d’éveil pendant le sommeil [8][10]. Dans ce contexte, les difficultés de sommeil sont principalement liées au fait d’être appelé à dormir en décalage par rapport à la nuit, moment où l’horloge biologique favorise le sommeil. Conséquemment, le sommeil se produira, totalement ou en partie, de jour alors que l’horloge biologique envoie un signal d’éveil perturbant le sommeil. Ces personnes ressentent aussi une somnolence accrue lors des quarts de travail en raison du manque de sommeil ou des signaux de sommeil envoyés par l’horloge biologique durant leur travail. Une période de repos de moins de 11 heures entre les quarts diminue le temps consacré au sommeil et augmente la fatigue [11]. Les inquiétudes liées aux conséquences des perturbations du cycle éveil-sommeil sur le travail contribuent à maintenir les difficultés de sommeil [12] et peuvent devenir un trouble de l’horaire de travail (THT) caractérisé par la présence d’insomnie et/ou de somnolence excessive [13][14]. Le THT est présent chez 26,5 % des travailleurs à horaires atypiques [15].

Santé mentale et sommeil

Le sommeil a une influence directe sur la santé mentale et physique[16]. Nos recherches révèlent qu'au sein du personnel hospitalier travaillant de nuit, les personnes souffrant d'insomnie présentent une prévalence plus élevée d'anxiété et de dépression que leurs collègues qui dorment bien[10]. Les personnes souffrant de THT sont également à risque de développer des symptômes dépressifs[17]. Une perturbation du sommeil, qui est primordial au traitement émotionnel et à la consolidation des émotions[18], peut altérer la régulation émotionnelle, diminuer la capacité à gérer le stress et accroître le risque de développer d’autres troubles de santé mentale[19].

Le travail à horaires atypiques a des conséquences organisationnelles. Ainsi, les longs quarts de travail, les difficultés de sommeil et la somnolence ressentie durant le quart nuisent à la vigilance au travail[20][21], augmentant les risques d’erreurs ou d’accidents de travail. Par exemple, les infirmières et infirmiers souffrant de THT rapportent davantage d’erreurs procédurales, de blessures au travail et d’accidents de la route que leurs collègues n’en souffrant pas[22]. Devant les difficultés posées par les horaires atypiques, il importe d’agir pour minimiser leurs conséquences sur la santé mentale, le bien-être au travail et la performance des organisations.

Pistes de solutions

Les horaires atypiques, comme facteurs de risques psychosociaux, nécessitent l’apport de solutions systémiques agissant sur différents plans[23]. Ces solutions doivent considérer les stratégies complexes des personnes pour concilier famille et horaires atypiques ainsi que préserver leur santé, incluant le sommeil[24]. Une solution consiste en un programme d’intervention comportementale pour les problèmes de sommeil, proposant des horaires de sommeil fixes dans le noir et tenant compte de l’horaire de travail et de la conciliation travail-famille[25]. Des actions préventives visent à améliorer l’hygiène de sommeil à travers les conditions de travail et les pratiques de gestion des horaires. Ceci inclut la planification des quarts visant à consacrer du temps au sommeil, avec une période de repos de plus de 11 heures entre deux quarts, ainsi que des quarts de travail ne dépassant pas neuf heures. L’offre de mesures de conciliation travail-famille ajouterait des solutions de rechange aux stratégies de conciliation affectant le sommeil lorsque mises en place par défaut en l’absence d’accommodements, comme de travailler le soir ou la nuit pour des mères monoparentales[24][26]. Des études démontrent les avantages d’ajouter une sieste[27] et de contrôler l’exposition à la lumière[28] pour le personnel de nuit. Ces interventions avantageraient l’organisation en réduisant le risque d’accidents et d’erreurs au travail, tout en profitant à la santé mentale et la qualité de vie des personnes occupant un travail à horaires atypiques.

Bibliographie

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  25. Vallières, A., Pappathomas, A., Garnier, S. d. B., et al. (2024). Behavioural therapy for shift work disorder improves shift workers’ sleep, sleepiness, and mental health: A pilot randomised control trial. Journal of Sleep Research.
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Annie Vallières Université Laval

Julia Pizzamiglio Delage Université Laval

Patricia Nolin Université Laval

Tyna Paquette Centre de recherche du CIUSSS du Nord-de-l'Île-de-Montréal

Valérie Viau Centre de recherche du CIUSSS du Nord-de-l'Île-de-Montréal

Marie-Pier Boivin Université de Montréal

Mélanie Lefrançois Université du Québec à Montréal

Célyne Bastien Université Laval

Julie Carrier Université de Montréal

Source : Revue RH, volume 27, numéro 2 ─ AVRIL MAI JUIN 2024