Les gestionnaires jouent un rôle de premier plan dans les démarches de prévention des risques psychosociaux (RPS) auprès de leur personnel; ces démarches sont d’incontournables alliées dans la réduction à la source de ces risques. Mais, est-ce que ces mêmes démarches leur profitent également? L’article porte sur les RPS particuliers à la fonction des gestionnaires en esquissant quelques pistes d’action possibles pour préserver leur santé psychologique.
Les récents changements législatifs réaffirment les responsabilités des gestionnaires à l’égard de la prévention des risques psychosociaux (RPS) en milieu de travail. Bien que dans la mire des démarches de réduction des RPS, les gestionnaires de proximité doivent aussi mettre la main à la pâte pour préserver la santé psychologique de leur personnel. Cette réalité singulière soulève d’importants questionnements. Ces démarches sont-elles aussi bénéfiques pour les gestionnaires que pour leur personnel? Leur réalité particulière est-elle prise en considération lors de la détermination des RPS à éliminer?
Des RPS particuliers aux gestionnaires
Les rares recherches réalisées jusqu’à présent tendent à montrer que les gestionnaires ne sont pas à l’abri des enjeux de santé psychologique au travail (Björklund et al., 2013; Prins et al., 2015) ni des RPS (INSPQ, 2022; Gilbert et al., 2024). Leur position dite paradoxale est également mise en lumière dans la documentation : les gestionnaires de proximité sont coincés entre les cadres intermédiaires et le personnel non-cadre sous leur supervision, ce qui leur vaut l’appellation de « gestionnaires sandwich » (voir McConville et Holden, 1999; Townsend et Russell, 2013).
Une récente étude doctorale s’appuyant sur une méthodologie mixte révèle que diverses tensions paradoxales sont propres au rôle des gestionnaires de proximité et qu’elles contribuent à nuire à leur état de santé psychologique (voir aussi un article issu de cette étude : Pellerin et Cloutier, 2023). Parmi ces tensions figurent notamment l’iniquité descendante, le conflit imputabilité/contrôle et les reproches injustifiés du personnel.
Selon les données quantitatives collectées auprès de gestionnaires de quatre organisations partenaires au Québec en 2021 :
- 47% affirmaient veiller au bien-être de leur personnel alors qu’elles et ils négligent leur propre bien-être (n=788)
- 37% disaient subir le mécontentement et les reproches de leur personnel concernant leurs conditions de travail (n=672)
Ces RPS particuliers, bien qu’encore peu documentés, sont bien présents dans la réalité en gestion et constituent des risques pour la santé psychologique.
Leviers possibles
Par leur rôle de supervision, les gestionnaires exercent leurs habiletés de leadership et mettent en œuvre des pratiques RH contribuant à influencer les attitudes et les comportements des membres de leur équipe, ce qui permet d’atteindre la performance attendue (Katou et al., 2021 ; Purcell et Hutchinson, 2007). À cette fin, les professionnelles et professionnels RH sont les principaux partenaires du succès des gestionnaires en facilitant la bonification des ressources mises à leur disposition : par exemple, en embauchant un nombre adéquat de talents dotés des qualités requises, en leur procurant des outils conviviaux de gestion, en les accompagnant dans la prise en charge du personnel qui rencontre des difficultés, en leur offrant des moyens diversifiés de développer leur leadership, etc.
Inclure les gestionnaires dans les instances visant à définir des pistes de changements positifs (comités permettant de discuter des enjeux de gestion, RPS particuliers et possibilités) pourrait également s’avérer fructueux à tous les points de vue. Il semble ainsi que le maintien d’une gestion des ressources humaines de proximité soit tout indiqué!
Conclusion
Cet article réaffirme l’importance du rôle que jouent les gestionnaires dans la prévention des RPS et révèle que cela contribue à accroître leurs propres RPS. À l’heure où l’expérience employé est sur toutes les lèvres, il ne faut pas oublier l’expérience gestionnaire, qui passera assurément par la compréhension fine de leur réalité particulière, de leurs besoins propres ainsi que par la valorisation de leurs contributions supplémentaires au bien-être du personnel. Une expérience gestionnaire bien ficelée constitue en l’occurrence une condition de succès à une expérience employé réussie.
Parmi les gestionnaires
- 47 % veillent au bien‑être de leur personnel au détriment du leur
- 37 % subissent le mécontentement et les reproches de leur personnel concernant leurs conditions de travail
Références
Björklund, C., Lohela-Karlsson, M., Jensen, I. et Bergström, G. (2013). Hierarchies of health: health and work-related stress of managers in municipalities and county councils in Sweden. Journal of Occupational and Environmental Medicine, 55(7), 752-760. https://www.jstor.org/stable/48510328
Charron, C. (2022, 26 janvier). Voici ce qui mine le moral de vos gestionnaires, Les Affaires. https://www.lesaffaires.com/strategie-d-entreprise/management/voici-ce-qui-mine-le-moral-de-vos-gestionnaires/630391
Gilbert, M. H., Dextras-Gauthier, J., Boulet, M., Auclair, I., Dima, J., & Boucher, F. (2024). Leading well and staying psychologically healthy: the role of resources and constraints for managers in the healthcare sector. Journal of Health Organization and Management, 38(1), 70-91. https://doi.org/10.1108/JHOM-12-2021-0442
INSPQ (2022). Être gestionnaire ou médecin en temps de pandémie : enjeux de santé mentale et pistes d’action, INSPQ, 36p. https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/publications/3211-etre-gestionnaire-medecin-pandemie.pdf
Katou, A. A., Budhwar, P. S., & Patel, C. (2021). Line manager implementation and employee HR attributions mediating mechanisms in the HRM system—Organizational performance relationship: A multilevel and multipath study. Human Resource Management Journal, 31(3), 775-795. https://doi.org/10.1111/1748-8583.12327
McConville, T., & Holden, L. (1999). The filling in the sandwich: HRM and middle managers in the health sector. Personnel Review, 28(5/6), 406-424. https://doi.org/10.1108/00483489910286738
Pellerin, S., & Cloutier, J. (2023). Génériques et/ou spécifiques? Quels sont les facteurs de risque permettant d’expliquer la détresse psychologique des cadres de premier niveau?. Humain et Organisation, 7(2), 43-64. https://doi.org/10.7202/1107905ar
Prins, S. J., Bates, L. M., Keyes, K. M. et Muntaner, C. (2015). Anxious? Depressed? You might be suffering from capitalism: contradictory class locations and the prevalence of depression and anxiety in the USA. Sociology of Health & Illness, 37(8), 1352-1372. https://doi.org/10.1111/1467-9566.12315
Purcell, J., & Hutchinson, S. (2007). Front‐line managers as agents in the HRM‐performance causal chain: theory, analysis and evidence. Human Resource management journal, 17(1), 3-20. https://doi.org/10.1111/j.1748-8583.2007.00022.x
Townsend, K., & Russell, B. (2013). Investigating the nuances of change in front-line managers' work. Labour & Industry: a journal of the social and economic relations of work, 23(2), 168-181. https://doi.org/10.1080/10301763.2013.820683