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Valoriser la remise en question : En quoi défier le statu quo contribue-t-il à l’apprentissage continu?

En tant que fondement de l’apprentissage organisationnel, la capacité des employés à partager leurs connaissances en remettant en question constructivement le statu quo est essentielle à la réussite organisationnelle.
20 octobre 2023
Audrey Bélanger

Toute organisation souhaitant se démarquer aujourd’hui doit être apte à capitaliser sur les expériences, perspectives et acquis de ses employés. Pour ce faire, les entreprises ont toutefois la responsabilité de cultiver un environnement où la remise en question est encouragée et respectée. Lorsque les employés se sentent libres de partager leurs opinions, visions et réflexions, un dialogue dynamique se crée, stimulant ainsi des apprentissages collectifs.

Définition :

Dans la littérature scientifique en gestion, une dimension de la prise de parole implique de remettre en question le statu quo « sur des enjeux liés au travail, dans l’intention d’y apporter des améliorations ou changements » constructifs (Morrison, 2023, p. 80, trad. libre). Ce comportement proactif constitue donc un facteur clé d’apprentissage, d’efficience et de performance organisationnelle (Chamberlin et al., 2017). En partageant des idées novatrices, préoccupations inédites ou points de vue divergents, les employés enrichissent les connaissances de leur équipe de travail, permettant aussi aux organisations de mieux s’adapter, d’innover et de prendre des décisions optimales en délibérant de manière éclairée et réfléchie (Morrison, 2014).

Lorsque les employés peuvent sortir des sentiers battus en prenant des initiatives, ils aident leur organisation à adopter de nouvelles pratiques et, conséquemment, à être plus audacieuse. De plus, ces prises de parole renforcent la capacité de l’organisation à anticiper les problèmes potentiels, tout en rectifiant les erreurs jusqu’ici ignorées, négligées ou inexplorées (Detert & Edmondson, 2011). En d’autres termes, cette prise de parole proactive encourage l’exploration des réalités, enjeux et défis sous différents angles, ce qui favorise une meilleure compréhension du contexte. Sur le plan personnel, remettre en question de manière proactive et constructive renforce le sentiment de contrôle chez l’employé, c’est-à-dire la croyance d’être apte à influencer les processus décisionnels (Tangirala & Ramanujam, 2008). De plus, cette démarche permet à l’employé de se sentir libre d’exprimer sa vision des choses, contribuant ainsi à accroître son sentiment d’être valorisé ainsi qu’entendu et, corollairement, son engagement. L’instauration d’une culture d’apprentissage solide dépend ainsi de la valorisation de la prise de parole au travail et de la responsabilisation des employés dans la réussite de l’organisation.

Facilitants :

Afin de stimuler la prise de parole, plusieurs catalyseurs clés sont déterminants. À propos du rôle du gestionnaire, la documentation montre l’importance d’un leadership d’ouverture qui promeut des espaces où les voix sont entendues et écoutées avec attention, inspirant les autres employés à faire de même (Detert & Burris, 2007). La bienveillance et l'humanisme du gestionnaire renforcent d’autant plus ces espaces. Enfin, certains facteurs contextuels, comme la sécurité psychologique, sont décisifs lorsqu’un employé désire défier le statu quo (Edmondson & Lei, 2014). En effet, quand un employé se sent psychologiquement à l'aise de prendre des risques interpersonnels sans craindre d'être jugé, puni ou humilié, il aura davantage tendance à se montrer plus enclin à partager idées, points de vue et préoccupations. De même, lorsque les employés ont la perception que l’organisation traite les gens de manière juste et équitable, cela crée un terrain propice à une expression transparente, sincère et franche (Zhang et al., 2014).

Barrières :

Plusieurs obstacles entravent ce comportement constructif au sein des organisations.

Du côté de l’employé, lorsque celui-ci entame un processus mental de détachement face à l’organisation, le sentiment d’impuissance et la crainte de défier ou contredire une autorité représentent des barrières significatives (Burris et al., 2008; Kish-Gephart et al., 2009). D’autant plus, les comportements autoritaires et abusifs des gestionnaires créent un climat de répression, limitant l’impression que la prise de parole est la bienvenue. Sur le plan organisationnel, la peur des conséquences, « le sentiment que de parler n’en vaut pas la peine et ne fera pas de différence » (Milliken et al., 2003, p. 1464, trad. libre), et l'appréhension face à des répercussions négatives restreignent également la prise de parole (Detert & Edmondson, 2011). De plus, la perception que les structures organisationnelles sont centralisées accentue ces barrières, faute d’offrir la marge de manœuvre et l’autonomie nécessaire aux employés pour s’exprimer librement (Bélanger & Harvey, 2022).

Rôle des professionnels RH :

Les professionnels RH occupent un rôle crucial en tant que moteurs de changement dans l’appréciation des prises de parole visant à défier le statu quo en organisation. Cette mission s’articule autour de deux perspectives complémentaires, chacune contribuant à créer un écosystème d’apprentissage.

D’une part, il est essentiel que les professionnels RH s’engagent activement dans l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies organisationnelles visant à soutenir ces comportements proactifs. Plus précisément, leur rôle s’étend à l’influence et à la sensibilisation des parties prenantes. Les professionnels RH sont en effet les mieux placés pour mettre en lumière les facteurs qui encouragent ou entravent les initiatives de remise en question. Grâce à leur compréhension approfondie des besoins et enjeux, ils sont en mesure d’inspirer les décideurs et dirigeants à adopter des approches favorisant un climat de réceptivité et d’ouverture. Ils assument également le rôle d’accompagnement en guidant les gestionnaires vers des pratiques managériales optimales, telles que l’écoute active, la formulation de questions ouvertes, le soutien et la réceptivité.

Les professionnels RH sont également les gardiens d’une culture de dialogue au sein de l’entreprise. Ils ont la responsabilité d’encourager explicitement les employés à prendre la parole, à exprimer leurs pensées et à partager leurs idées. Cela nécessite un engagement sincère envers une communication transparente et respectueuse. En créant un environnement où les voix des employés sont entendues et valorisées, les professionnels RH stimulent l’engagement et favorisent un sentiment d’appartenance. Ils doivent donner l’exemple en étant disponibles, attentifs et réceptifs aux préoccupations et suggestions des employés. Même lorsque des suggestions ne peuvent pas être mises en œuvre ou des préoccupations ne peuvent pas être répondues, il est impératif que chaque prise de parole soit écoutée et prise en considération. Les professionnels RH doivent promouvoir la réceptivité en faisant suite aux interventions des employés et en expliquant les décisions prises, créant ainsi un environnement de confiance et de compréhension mutuelle.

Bibliographie

  • Bélanger, A., & Harvey, J.-F. (2022). Promoting Voice in Policing: The Role of Imagination, Centralization, and Psychological Safety. Academy of Management Proceedings, 2022(1), 10720. https://doi.org/10.5465/AMBPP.2022.10720abstract
  • Burris, E. R., Detert, J. R., & Chiaburu, D. S. (2008). Quitting before leaving: The mediating effects of psychological attachment and detachment on voice. Journal of Applied Psychology, 93(4), 912-922. https://doi.org/10.1037/0021-9010.93.4.912
  • Chamberlin, M., Newton, D. W., & Lepine, J. A. (2017). A Meta-Analysis of Voice and Its Promotive and Prohibitive Forms: Identification of Key Associations, Distinctions, and Future Research Directions. Personnel Psychology, 70(1), 11-71. https://doi.org/10.1111/peps.12185
  • Detert, J. R., & Burris, E. R. (2007). Leadership Behavior and Employee Voice: Is the Door Really Open? Academy of Management Journal, 50(4), 869-884. https://doi.org/10.5465/AMJ.2007.26279183
  • Detert, J. R., & Edmondson, A. C. (2011). Implicit Voice Theories: Taken-for-Granted Rules of Self-Censorship at Work. Academy of Management Journal, 54(3), 461-488. https://doi.org/10.5465/amj.2011.61967925
  • Edmondson, A. C., & Lei, Z. (2014). Psychological Safety: The History, Renaissance, and Future of an Interpersonal Construct. Annual Review of Organizational Psychology and Organizational Behavior, 1(1), 23-43. https://doi.org/10.1146/annurev-orgpsych-031413-091305
  • Kish-Gephart, J. J., Detert, J. R., Treviño, L. K., & Edmondson, A. C. (2009). Silenced by fear: The nature, sources, and consequences of fear at work. Research in Organizational Behavior, 29, 163-193. https://doi.org/10.1016/j.riob.2009.07.002
  • Milliken, F. J., Morrison, E. W. et Hewlin, P. F. (2003). An Exploratory Study of Employee Silence: Issues that Employees Don’t Communicate Upward and Why*. Journal of Management Studies, 40(6), 1453-1476. https://doi.org/10.1111/1467-6486.00387 
  • Morrison, E. W. (2014). Employee Voice and Silence. Annual Review of Organizational Psychology and Organizational Behavior, 1(1), 173-197. https://doi.org/10.1146/annurev-orgpsych-031413-091328
  • Morrison, E. W. (2023). Employee Voice and Silence: Taking Stock a Decade Later. Annual Review of Organizational Psychology and Organizational Behavior, 10(1). https://doi.org/10.1146/annurev-orgpsych-120920-054654
  • Tangirala, S., & Ramanujam, R. (2008). Exploring Nonlinearity In Employee Voice: The Effects of Personal Control and Organizational Identification. Academy of Management Journal, 51(6), 1189-1203. https://doi.org/10.5465/amj.2008.35732719
  • Zhang, Y., LePine, J. A., Buckman, B. R., & Wei, F. (2014). It's Not Fair … Or Is It? The Role of Justice and Leadership in Explaining Work Stressor–Job Performance Relationships. Academy of Management Journal, 57(3), 675-697.

Author
Audrey Bélanger doctorante en comportement organisationnel et ressources humaines HEC Montréal

Source : Revue RH, volume 26, numéro 4  ─ SEPTEMBRE OCTOBRE 2023