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Progresser comme organisation apprenante : Pourquoi et comment?

L’accélération des changements économiques, technologiques, environnementaux, rend cruciale la capacité d’adaptation des entreprises; la quête de l’organisation apprenante devient ainsi un thème stratégique. Mais comment diagnostiquer le degré de maturité, et reconnaître les leviers pour progresser?
20 octobre 2023
Thierry Bonetto | Morgan Baivier de Fortis

Apprendre à la vitesse du changement : un enjeu vital au 21e siècle

Selon le Boston Consulting Group, « the winners of tomorrow will be those who can accelerate their rate of learning ». Avec le rythme accéléré des changements, l’avantage compétitif des entreprises sera leur capacité à apprendre plus vite que la concurrence, et faire face à des enjeux notamment (voir schéma ci-dessous) :

  • D’évolution: la durée utile d’une compétence technique était de 30 ans en 1987 ; elle est aujourd’hui de 18 mois[1];
  • D’innovation: selon une étude de Deloitte[2], les organisations apprenantes performantes ont 92 % plus de probabilité d’innover que les entreprises plus traditionnelles;
  • D’attraction, engagement et fidélisation: toujours selon Deloitte[3], la première raison pour laquelle les collaborateurs quittent l’entreprise est le manque de possibilité de développement.

Face à ces enjeux, progresser comme organisation apprenante devient un levier vital : comme le suggère Peter Senge[4], il s’agit d’être « une organisation qui accroît en permanence ses capacités à créer son futur ». Mais comment?

Les avantages clés des organisations apprenantes

Une « boussole » pour progresser comme organisation apprenante

À partir d’expériences opérationnelles et de nombreux étalonnages (benchmarks), nous avons développé la « Boussole Organisation Apprenante© », afin d’explorer de façon systémique les leviers pour progresser.

La boussole de l'organisation apprenante

La VISION pour partager le cap et construire les compétences nécessaires à l’ambition de l’entreprise. L’un des ingrédients clés est aussi l’engagement des dirigeants sur le mandat stratégique de la fonction Learning & développement.

La CULTURE de l’entreprise et les rituels d’apprentissage (quelques exemples ci-dessous) : à commencer par la rétroaction et le développement de la mentalité de croissance (growth mindset).

La politique de gestion des TALENTS (au sens des talents de chacun.e) en mettant à profit toutes les situations pour apprendre, formelles et informelles (suivant le modèle 70/20/10  qui suggère que 70 % de ce que nous apprenons s’opère en situation de travail, 20 % en apprentissage entre pairs, et 10 % par la formation en salle ou à distance); et en favorisant l’apprentissage « pour et par tous ».

Enfin, une ORGANISATION qui intègre les modes de travail apprenant, où les gestionnaires sont des développeurs de compétences, où l’apprentissage en équipe est favorisé, et où les processus RH renforcent cette dynamique.

Les quatre stades de maturité d’une organisation apprenante

Mais comment positionner le degré de maturité d’une organisation apprenante? Nous proposons de nous inspirer des quatre stades du modèle d’évolution organisationnelle suggéré par Frédéric Laloux dans son ouvrage « Reinventing Organizations[5] » :

  • Conformiste : le futur est une répétition du passé, avec des rôles et des processus établis - organisation pyramidale et culture de type « Contrôle et commande ».
  • Réussite: croissance, profit et innovation sont au cœur de la stratégie - modèle de gestion par objectif avec une culture méritocratique.
  • Pluraliste: la culture et les valeurs jouent un rôle clé dans le fonctionnement de l’organisation - forte autonomisation et engagement des salariés.
  • Évolutif : la mission et la vision partagée fédèrent le collectif, dans une culture d’évolution permanente - équipes responsabilisées et autonomes, en connexion avec l’écosystème.

La Boussole Organisation Apprenante© permet alors de positionner le degré de maturité sur ces quatre stades d’évolution, puis de définir des objectifs de progrès, en activant les leviers pertinents.

4 niveaux de maturité de l'OA

Voici quelques pratiques distinctives issues de l’étalonnage auprès de plus de 100 organisations françaises.

Vision

Les organisations « conformistes » ont une approche plutôt administrative de la formation, considérée comme un centre de coût; les indicateurs se focalisent sur les dépenses, le taux de participation et la satisfaction. Une organisation apprenante de type « évolutif » y verra une fonction stratégique et fera la promotion de l’apprentissage en continu; par exemple :

  • Satya Nadella, CEO de Microsoft, a incité tous ses collaborateurs à développer une « mentalité de croissance », pour passer d’une culture de « know it all » (tout savoir) à « learn it all » (tout apprendre).
  • Doctolib a construit sa culture d’entreprise autour de quatre valeurs, dont l’apprentissage.

Culture

Les organisations « conformistes » attendent de leurs collaborateurs qu’ils soient performants dans leur poste, et le développement professionnel à moyen terme n’est pas la priorité. Les organisations de type « évolutif » ont quant à elles bâti des « rituels » favorisant la culture d’apprentissage à différents volets (individuel, par service et organisationnel) :

  • Individuel : Société Générale incite ses collaborateurs à consacrer une heure par semaine pour apprendre sur une thématique choisie et parrainée par les directeurs de service.
  • Service : chez ING, les « tribus » organisent mensuellement un « Fuck-up Friday », durant lequel les collaborateurs partagent des échecs et les leçons apprises.
  • Organisation: Nexity organise, depuis plusieurs années, un E-Learning Tour : série de journées de formation par région, combinant cours magistraux et ateliers à distance ouverts à tous.

Talents

Les organisations « conformistes » ont souvent un catalogue de formation centré sur des compétences techniques, avec une part importante de formations obligatoires ou réglementaires. Les organisations de type « évolutif » investissent le territoire du « 70/20/10 », par exemple :

  • L’Oréal vise un réel équilibre entre « push » et « pull » (pousser et tirer) : 50 % des actions de développement sont choisies par les collaborateurs, pour développer les compétences de leur choix.
  • Décathlon a mobilisé plus de 1 000 collaborateurs pour créer 7 000 capsules de formation en deux ans, couvrant toutes les filières métiers.

Organisation

Les entreprises « conformistes » reconnaissent les gestionnaires d’abord pour leur degré d’expertise et leurs résultats; dans les organisations du stade « évolutif », les gestionnaires ont un rôle de développeurs de compétences, par exemple :

  • Vinci Énergies intègre dans sa politique de rémunération le critère « contribution au développement de mon équipe ».
  • Danone a mis en place des plans individuels de développement structuré sur les trois dimensions du modèle 70/20/10.

Le rôle des RH dans l’organisation apprenante

Les directions RH ont un rôle clé de construction des stratégies d’apprentissage pertinentes pour accompagner les transformations de l’entreprise et le développement professionnel des employés; mais au-delà, ce rôle pourrait évoluer vers ceux de :

  • Consultant de la performance - par exemple en contribuant à redéfinir les processus opérationnels, pour y intégrer des modalités de formation « en situation de travail ».
  • Facilitateur d’apprentissage - en investissant plus fortement le champ du « 20/70 », et en aidant les processus opérationnels à activer des modalités d’apprentissage au sein des équipes.

Et vous, comment comptez-vous (continuer à) progresser comme organisation apprenante?

Les enjeux des organisations au 21e siècle

  1. Évolution
  2. Innovation
  3. Attraction, engagement et fidélisation

Author
Thierry Bonetto Fondateur et conseiller principal Learning Futures

Author
Morgan Baivier de Fortis entrepreneur RH (logiciel MonMentor) et associé LearningFutures, expert en Learning et développement organisationnel

Source : Revue RH, volume 26, numéro 4  ─ SEPTEMBRE OCTOBRE 2023

  1. OCDE, Rapport « Skills Outlook 2021 »
  2. Deloitte, Rapport “Leading in Learning Building capabilities to deliver on your business strategy”
  3. Deloitte Rapport Global Human Capital Trends
  4. Peter Senge, directeur du « Center for Organizational Learning » au MIT et auteur de « La Cinquième Discipline » 
  5. Frédéric Laloux, Reinventing Organizations, Diateino, 2015