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Les environnements capacitants : clé de voûte des organisations apprenantes?

Depuis les années 90, les organisations cherchent à comprendre la façon de se développer ensemble et durablement (Senge, 2000). La question reste entière. Dans cette perspective, il semble intéressant de revenir sur l’évolution des différentes typologies d’organisation en faveur du développement des compétences.
20 octobre 2023

L’évolution des différentes typologies d’organisation en faveur du développement des compétences

Si certains discours de praticiens et chercheurs (Deci et Ryan, 2002) tendent à affirmer que le développement des compétences résulte du caractère autodéterminé des individus à se former, certaines recherches ont permis de montrer que le potentiel à être acteur de son évolution est nettement influencé par l’environnement (Fernagu Oudet, 2014).

Les organisations se sont mobilisées pour faire évoluer leur structure de travail, leurs pratiques de leadership et leurs ressources d’apprentissage pour favoriser le développement des compétences (individuel, collectif) voyant les intérêts économiques et sociaux qu’elles pouvaient en tirer. Plusieurs types d’organisation ont vu le jour : formatrice, qualifiante, professionnalisante, apprenante, capacitante (Fernagu Oudet, 2011).

Organisation

Objectif

Dispositif

Organisation Formatrice

Objectif Contribue aux apprentissages individuels en proposant des actions de formation intégrées aux pratiques de travail quotidiennes

Dispositif Dispositifs formels articulés autour de l’acquisition de savoir-faire pratiques contextualisés

Organisation Qualifiante

Objectif Permet le développement des compétences individuelles et collectives

Dispositif Dispositifs formels managériaux et organisationnels s’appuyant, en général, sur le recours aux formations diplômantes ou qualifiantes, et/ou la reconnaissance de savoirs socialement validés

Organisation Apprenante

Objectif Privilégie les apprentissages individuels et collectifs en vue d’organiser une progression collective des compétences

Dispositif Dispositifs managériaux et organisationnels, GPEC tournés vers la stratégie de l’entreprise

Organisation Professionnalisante

Objectif Favorise l’apprentissage expérientiel, la montée qualitative des compétences sur le plan individuel ou collectif

Dispositif Dispositifs formels et informels essentiellement orientés vers l’analyse des problèmes, la pratique réflexive

Organisation Capacitante

Objectif Encourage le développement des capabilités, de la capacité à agir

Dispositif Dispositifs organisationnels et managériaux formels ou informels

« Des organisations pour apprendre. Tentative de contribution à l’idée de « ville apprenante » » S. Fernagu Oudet, 2011.

Toutes ces formes d’organisation présentent des spécificités, mais visent une finalité commune, celle de «l’effet formateur du vécu par le travail dont on attend en retour une élévation de l’efficacité de l’organisation» (Fernagu Oudet, 2011).

Le mérite des différentes tendances organisationnelles en faveur de l’apprentissage, c’est d’avoir rapproché la formation du travail.

Inspirées des travaux de Solveig Fernagu Oudet (2011), trois grandes limites, pouvant être à l’origine des difficultés rencontrées par les organisations à concrétiser le déploiement durable de ces dynamiques d’apprentissage collectives, sont présentées par la suite.

Les limites rencontrées par l’organisation apprenante

  1. Entretenir le vœu pieux d’une vision univoque du partage et d’un processus universel d’apprentissage

    Penser « organisation apprenante », c’est construire un projet fondé sur la gestion du savoir et des modalités de travail basées sur la distribution généreuse de connaissances au bénéfice d’un collectif.

    Pourtant, l’organisation peut être confrontée à des enjeux de pouvoir (lié aux avantages de détenir l’information, la connaissance), à des conflits d’intérêt, à des mécanismes de routines défensives (démotivation, fuite de responsabilités, évitement, résistance ou sabotage du changement, etc.) conduisant à la préservation des ressources internes (les savoirs, l’expérience, la formation, les dispositions, etc.) et limitant la capacité à apprendre en équipe (Garavan, 1997).

    Les employés n’ont pas, forcément, les mêmes envies et besoins d’apprendre et n’apprennent pas tous de la même manière. Or, le besoin d’adoption de processus d’apprentissage, véhiculé par l’idée d’organisation apprenante, nous renvoie à l’idée d’uniformisation, de standardisation des façons de faire allant souvent à l’encontre des conditions favorables à l’apprentissage pour tous et des dynamiques d’adaptation continue que sous-tend l’idée d’organisation apprenante.

  2. Croire au transfert systématique des compétences

    Nous oublions trop souvent que les compétences sont situées, c’est-à-dire appartiennent à l’environnement de travail dans lequel elles sont nées (Jonnaert, 2004). Les travaux d’Henri Boudreault (2002) abondaient déjà en ce sens en décrivant la compétence comme un savoir-agir s’incarnant dans un contexte donné, lui-même, mouvant.

    Ainsi, le système de partage de bonnes pratiques empruntées à d’autres environnements de travail, dans une visée d’apprentissage organisationnel, peut être inefficace et inadapté du point de vue de la compétence. Il est possiblement intéressant de s’inspirer de stratégies et de modèles d’apprentissage, mais il apparaît fondamental d’avoir le recul nécessaire sur les résultats qui ne pourront pas être identiques. Les cultures de travail, les pratiques de gestion et de leadership, les ressources et les moyens, l’histoire et les expériences des employés sont différents entre organisations, mais aussi entre équipes d’une même organisation.

    Les compétences ne sont pas transférables; elles relèvent de combinaisons de ressources mobilisées, agrégées en situation dans environnement singulier.

  3. Se confronter au difficile déploiement de pratiques de capitalisation et de diffusion des connaissances

    Des initiatives se sont développées en faveur de la capitalisation et de la diffusion des apprentissages détenus par les employés. Toutefois, les résultats restent souvent insatisfaisants. Solveig Fernagu Oudet (2011) l’explique en rappelant que les sources d’apprentissage sont multiples et que les apprentissages prennent forme, la majeure partie du temps, dans «des espaces interstitiels de l’organisation» ne relevant pas d’une politique organisationnelle ou de dispositif d’apprentissage encadré, mais au détour d’un événement, d’une rencontre. Il est alors encore difficile de les capter. On parlera ici d’apprentissages informels qui constituent pourtant une part importante du savoir utile en milieu de travail et qui participent à la professionnalisation des employés et de l’organisation.

    Le contrôle des apprentissages en est de même affecté. En effet, Narver (1995) souligne la difficulté majeure de mesurer les résultats de l’apprentissage, à l’échelle de l’organisation, qui se réalise dans le cadre d’un programme d’encadrement précis, non représentatif des sources d’apprentissage et des « espaces » de partage.

    Fort de ces différentes limites, Solveig Fernagu Oudet (2013) nous invite à penser non plus en termes « d’organisation apprenante », mais plutôt en termes « d’environnement capacitant ». Falzon (2005) définit un environnement capacitant comme un environnement permettant « […] aux personnes de développer de nouvelles compétences et connaissances, d’élargir leurs possibilités d’action, leur degré de contrôle sur leur tâche et sur la manière dont ils la réalisent, c’est-à-dire leur autonomie ».

    Nombre d’études démontrent qu’il devient nécessaire de porter son attention sur le pouvoir d’agir[1]; de s’intéresser au caractère formateur des situations de travail (Falzon, 2005).

    Ni l’individu, ni les conditions de l’action, ni l’environnement dans lequel se situe l’action ne doivent être isolés pour permettre le développement des compétences des employés et des collectifs; un préalable au développement de l’organisation.

Le développement d’environnements capacitants, une perspective nouvelle

C’est un nouveau paradigme, car nous allons au-delà de la compétence et parlons de la capacité d’action. Cette dernière englobe les possibilités et les moyens d’agir, en plus des savoirs, savoir-faire et savoir-être (Zimmermann, Fernagu Oudet et Batal, 2016). On agit ainsi sur les systèmes de possibilités et de contraintes qui pèsent sur les individus lorsqu’ils agissent et se développent.

Ainsi encourager le développement d’environnements capacitants consisterait à :

  • Agir sur les RESSOURCES (informationnelles, humaines, pédagogiques, matérielles) : accompagner les employés à repérer, mobiliser et utiliser les moyens mis à leur disposition pour leur permettre d’être autonomes dans l’action et d’atteindre leurs fins.
  • Agir sur les POSSIBILITÉS ET MARGES DE MANŒUVRE offertes : accompagner les gestionnaires à revoir leurs pratiques de gestion afin qu’elles soient en faveur du pouvoir d’agir.
  • Agir sur la CULTURE ORGANISATIONNELLE afin qu’elle soit en faveur de l’apprentissage en soutenant, par exemple, des pratiques en faveur de l’exploration, l’expérimentation, la tolérance à l’ambiguïté et à l’erreur, la rétroaction constructive, le libre partage d’idées, etc.

Nous constatons qu’une personne professionnelle des ressources humaines a son influence tout autant que le gestionnaire dans l’analyse des espaces de liberté offerts et l’étude des possibilités effectives d’user des ressources disponibles pour apprendre et agir.

Tel que le dit Garavan, «il est nécessaire de conserver l’idée de l’organisation apprenante comme une orientation», une visée. Cependant, tout encourage à se pencher de plus près sur le caractère capacitant des situations de travail pour avoir une incidence notable sur les environnements de travail et, de surcroît, sur l’organisation.

Les limites de l’organisation apprenante

  1. Entretenir une vision univoque du partage et d’un processus universel d’apprentissage
  2. Croire au transfert systématique des compétences
  3. Se confronter au difficile déploiement de pratiques de capitalisation et de diffusion des connais­sances