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Rendre le travail durable : Réduire l’empreinte carbone grâce aux nouveaux modes de travail?

Outiller les gestionnaires en ressources humaines afin de leur permettre de contribuer à l’objectif de réduction des émissions carbone de leur organisation, tel est l'ambition d'un projet européen qui explore notamment les new ways of working ou nouvelles façons de travailler.
2 juin 2023
Christophe Lo Giudice | François Pichault

Outiller le DRH afin de lui permettre de contribuer à l’objectif de réduction des émissions carbone de son organisation : c’est l’ambition du projet NWoW4Net-Zero, co-financé par le programme Erasmus+ de l’UE et dont Htag (by Références) est l’un des partenaires. Les new ways of working ou nouvelles façons de travailler constituent l’un des trois axes explorés. Éclairage sur le sujet avec François Pichault, professeur de GRH à HEC-Liège.

Que dit la recherche sur le rôle que devrait avoir le DRH en matière de développement durable?

 « Le lien entre le développement durable et la gestion des ressources humaines est en effet à l’œuvre depuis plus d’une dizaine d’années déjà dans les travaux académiques. Ce courant dit de Green HRM se base sur l’idée que, si une entreprise doit adopter une approche respectueuse de l'environnement dans ses activités, les employés sont la clé de son succès ou de son échec. Cette approche reste toutefois très centrée sur les actions de sensibilisation aux enjeux environnementaux, de formation à des pratiques écologiques et d’encouragement à trouver et rejoindre des initiatives liées à la durabilité. Un des intérêts à faire jouer aux DRH un rôle plus ambitieux en matière de réduction des émissions carbone consiste à les forcer à sortir de leur sphère de confort. Comme je le pense depuis longtemps, si un DRH veut être (davantage) influent, il doit parvenir à faire autre chose que de la GRH au sens strict. Ce qui peut se faire dans différents domaines, mais certainement celui du développement durable. C’est d’autant plus vrai qu’il y a au moins trois dimensions qu’il doit ici pouvoir investir : l’organisation du travail — en particulier dans les new ways of working ou nouvelles façons de travailler —, les questions de mobilité du domicile ou de lieux tiers vers le lieu de travail et inversement, et l’usage des outils informatiques — notamment en lien avec le travail à distance. »

L’idée est répandue que le télétravail serait « meilleur » pour l’environnement. Dans quelles mesures est-ce validé? 

 « Beaucoup de travaux académiques montrent que l’effet (positif) du télétravail en matière de réduction des émissions carbone n’est pas aussi automatique qu’on le pensait de prime abord, et que cet effet se trouve en réalité contrebalancé par beaucoup d’autres paramètres. Ce n’est pas parce que les travailleurs ont moins à se déplacer professionnellement pour se rendre au bureau que d’autres formes de déplacement n’apparaissent pas, en lien avec la vie personnelle et familiale, voire avec les loisirs. Certains travailleurs ont par exemple profité de la crise sanitaire et des facilités du travail en mode hybride pour déménager et habiter en dehors des villes, ce qui génère des déplacements moins fréquents, mais plus longs. On le voit aujourd’hui clairement sur les routes : il n’y a pas moins de trafic, mais un autre trafic qu’avant la crise de la COVID-19. Un télétravail plus important peut donc avoir un effet positif, mais cet effet n’est pas mécanique, et certainement pas aussi important qu’escompté. »

Le déploiement des nouvelles façons de travailler offre-t-il des leviers pour contribuer à la réduction des émissions de CO2? Si oui, lesquels?

 « Le télétravail ne peut en effet avoir un effet environnemental positif que si l’entreprise dimensionne ses espaces de travail en conséquence. Si elle ne le fait pas, elle chauffe et éclaire des espaces en partie vidés de leur personnel. Ce n’est pas un hasard si l’on voit aujourd’hui de plus en plus de DRH qui sont également en charge des des installations, dans le but d’intégrer une réflexion sur les taux d’occupation, le dimensionnement et l’optimisation des espaces, l’adaptation des technologies de chauffage, etc. Dans le champ de l’organisation du travail lui-même, il y a une réflexion à mener sur les tâches qu’il vaut mieux faire sur site/en présentiel et celles qu’il vaut mieux faire à distance, en intégrant dans celle-ci le paramètre des effets environnementaux. Le modèle proposé par Autissier me paraît intéressant à cet égard. Il invite à s’interroger sur les modalités de travail à envisager en présentiel et distanciel au travers des notions de Build et de Run empruntées aux méthodes Agile. Le distanciel fonctionne bien dans le Run — c’est-à-dire dans des activités connues, récurrentes —, mais se révèle moins adapté dans le Build — à savoir toutes les activités qui relèvent de l’investissement sur le futur, comme les nouveaux projets par exemple. »

Quels sont les processus RH qui pourraient être transformés dans une perspective de contribution à la réduction des émissions carbone? 

 « Plusieurs processus clés sont à envisager. Tout d’abord, le recrutement — par exemple, évaluer le candidat sur sa sensibilité et ses valeurs en lien avec le développement durable et leur compatibilité avec les ambitions et objectifs de l’organisation. Cela dit, ce sont de plus en plus les candidats et les travailleurs qui viennent avec ces questions-là : qu’offre l’entreprise en matière de politique de mobilité, est-ce qu’il y a du télétravail, quelles sont les initiatives prises en faveur du développement durable, etc.? Ensuite, la formation qui est le levier auquel on pense le plus souvent et également la gestion des performances et l’évaluation. L’entreprise se fixe de plus en plus souvent des objectifs en matière de développement durable, mais qu’il faut décliner dans les équipes si l’on veut qu’ils se réalisent. Il importe donc d’évaluer ce que les gestionnaires font avec leurs équipes pour les atteindre. Encore très peu d’entreprises traduisent ces objectifs de durabilité dans leurs indicateurs de performance. Quand elles le font, elles se réfèrent généralement aux 17 Objectifs du Développement Durable des Nations Unies, mais je pense qu’il faut être beaucoup plus concret que cela. C’est-à-dire aller jusqu’au niveau des comportements au quotidien : prendre en considération l’aspect durabilité lorsqu’on organise une réunion, une fête d’entreprise, lorsqu’on décide d’une formation, lorsqu’on pose des choix en matière de déplacement, etc. Enfin, il y a bien entendu la rémunération, que ce soit dans les choix des avantages qui composent le package salarial ou encore dans l’intégration de critères liés au développement durable dans la rémunération des dirigeants, des gestionnaires, voire de l’ensemble des collaborateurs. ».

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Author
Christophe Lo Giudice Rédacteur en chef de la Revue Htag (Belgique)

Author
François Pichault professeur de GRH HEC-Liège, Belgique

Source : Revue RH, volume 26, numéro 2  ─ AVRIL MAI JUIN 2023