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Sur la voie de la transition socioécologique de nos organisations 

Il est maintenant établi que la plupart des organisations vont ressentir les répercussions du changement climatique, de la perte de biodiversité et de ressources minérales si elles ne revoient pas leurs modèles d'affaires et leurs pratiques, plus vite qu’elles ne le font actuellement.
26 mai 2023
Esther Dormagen , CRHA

Par exemple, une entreprise agroalimentaire pourra voir la diversité de son approvisionnement diminuer, tout en faisant face à de l’inacceptabilité sociale face à des fruits et légumes produits au bout du monde. Une entreprise de la construction verra ses coûts de recyclage augmenter si elle continue à n’utiliser que des matériaux vierges. Un fabricant d’appareils électroniques sera incapable de s’approvisionner en composantes lorsque les minerais rares viendront à manquer. Dans le tourisme, les dommages à la biodiversité ainsi que la plus courte saison enneigée créeront des risques directs sur l’activité.

Bref, les entreprises limitent leur capacité de résilience si elles ne comprennent pas les liens entre les effets sociaux, économiques et environnementaux (ESG) de leurs activités sur l’ensemble de leur chaîne de valeur et à toutes les étapes du cycle de vie de leurs produits et services. Elles doivent être conscientes des risques et des possibilités pour apporter des réponses aux enjeux du climat, aux nouvelles attentes des consommateurs, investisseurs, de la société civile, des employés, ainsi que les risques inhérents à leur chaîne d’approvisionnement, notamment les risques sociaux.

Les professionnels RH comprendront facilement que la disparition de certaines activités de l’entreprise et la redirection vers des solutions plus contributrices nécessiteront de nouvelles connaissances, des capacités d’innovation, une gestion des talents plus inclusive et des structures plus responsabilisantes ou se transformeront… en obsolescence des compétences.

Si l'on parle beaucoup de RSE et ESG, j’aimerais pousser l’adoption d’un concept plus enthousiasmant : celui de l’économie régénérative. Au-delà des contraintes et approches d’amélioration parfois marginales de nos pratiques, il s’agit ici d’inventer comment faire de nos organisations des agents de changement pour le bien commun.

Faire de nos organisations des agents de changements : place aux RH!

Au fond, les entreprises qui veulent perdurer demain doivent s'interroger sur leur utilité fondamentale et développer des pratiques qui non seulement diminuent leurs effets négatifs au maximum, mais font surtout augmenter leur contribution positive, pour un plus grand nombre de parties prenantes et sur un terme plus long.

En tant que gardiens des politiques et des pratiques liées aux employés, les professionnels RH peuvent influencer significativement la manière dont nos entreprises abordent les enjeux sociaux, économiques et environnementaux dans leur chaîne de valeur et tout au long du cycle de durée utile de leurs produits et services. Pour développer une culture de durabilité et mener la transformation de l’organisation, il s’agit d’agir sur plusieurs fronts :

D’abord créer le langage commun

  • Développer une vision systémique des enjeux de fond : le développement durable, les changements climatiques, la consommation de ressources non renouvelables et les risques reliés, les enjeux sociaux sur la chaîne de valeur, etc.

Repenser la raison d’être de l’organisation

  • Travailler avec les équipes de direction à développer une vision à long terme de la société à laquelle l’entreprise veut contribuer et redéfinir sa raison d’être fondamentale. (En quoi doit-elle apporter des solutions tellement utiles à la société et à la planète que celles-ci s’en portent mieux que si l’entreprise n’existait pas?)

Formaliser les cadres de référence internes et externes

  • Mettre en place des politiques de responsabilité sociale, par exemple en matière de justice, d'équité, de diversité et d'inclusion, ou en ajoutant les notions de risque environnemental dans les politiques SST.
  • Lier le système d’évaluation et de rémunération avec les cibles de décarbonation.
  • Contribuer à la reddition de comptes en illustrant les retombées sociales en lien avec les activités économiques et les considérations environnementales.
  • Assurer la vigilance sociale sur la chaîne de valeur, notamment en insistant sur l’adoption de normes internationales généralistes comme les certifications B Corp et Écoresponsable, ou des labels sectoriels (textile, alimentaire, etc.).

Faire évoluer les compétences

  • Déterminer les compétences manquantes pour atteindre cette vision puis les développer et recruter des candidats ayant une expérience antérieure, par exemple en approvisionnement responsable, communication responsable, gestion environnementale, stratégie, et des expertises sectorielles pertinentes à la chimie verte, la construction durable, les emballages écoresponsables, l’écoconception, etc.

Mobiliser en impliquant les équipes

  • Mobiliser les équipes autour de cette grande ambition en développant le narratif interne, par de l’écoute des freins et des propositions d’action, le soutien à l’organisation de groupes de travail thématiques, la mise en valeur des actions les plus prometteuses.
  • Aider à créer le dialogue avec les parties prenantes.

Ouvrir la gouvernance

  • Développer de nouveaux modèles de gestion : gouvernance ouverte, entreprise libérée, holacratie, recherche participative ou ouverte en innovation (living lab) pour libérer la créativité et la coresponsabilisation.
  • Faciliter la mise en place d’une structure d’innovation, qui va mener des activités de prospective et de conception créative (design thinking).
  • Mettre en place les forums de dialogue et de co-design permettant l’innovation sociale avec les parties prenantes internes et externes. Cela peut inclure la collaboration avec les fournisseurs, clients, partenaires, syndicats, organismes communautaires et gouvernementaux pour mettre en œuvre des pratiques de gestion responsable de la chaîne d'approvisionnement et de cohésion sociale à l'échelle locale.
  • Intégrer des employés dans les différents groupes de l’organisation, même au CA, au comité de planification stratégique, etc.

Et bien sûr, rendre nos pratiques de GRH écoresponsables

  • Mettre en place des pratiques exemplaires dans le service RH pour montrer l’exemple : financer le transport collectif ou l’autopartage, éliminer le papier, organiser des événements écoresponsables, éliminer les articles promotionnels ou acheter des cadeaux d’entreprise qui offrent à la fois un sens et une incidence environnementale négligeable (ex. : produits zéro déchet, billets de théâtre, etc.), organiser des activités communautaires, reconnaître le droit à la déconnexion numérique, etc.

En veillant à ce que les employés soient au cœur de la stratégie et qu’ils en retirent des avantages, nous renforçons non seulement la rétention des talents, l’attractivité de notre marque employeur, mais nous augmentons grandement la capacité de l’entreprise à perdurer et à maintenir ses emplois. En cas de coup dur, nos talents auront des compétences à jour pour maintenir leur employabilité.

En tissant des liens forts avec notre écosystème local, notre chaîne de valeur et notre industrie, nous développons un système de solidarité et d’innovation qui s’enrichit lui-même, comme les écosystèmes le font dans la nature pour perdurer.

Pour les professionnels RH, c’est aussi une façon de montrer nos aptitudes stratégiques et de légitimement devenir des leaders de la démarche de transformation de l’entreprise.

Agir en faveur d'une culture de durabilité c'est notamment :

  1. Créer le langage commun
  2. Repenser la raison d’être de l’organisation
  3. Formaliser les cadres de référence
  4. Faire évoluer les compétences
  5. Mobiliser en impliquant les équipes
  6. Ouvrir la gouvernance
  7. Rendre nos pratiques de GRH écoresponsables

Author
Esther Dormagen , CRHA Présidente Ellio, cabinet-conseil en responsabilité sociale basé à Montréal

Source : Revue RH, volume 26, numéro 2  ─ AVRIL MAI JUIN 2023