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La régulation du numérique au travail : un pilier de la transformation numérique responsable

Face aux défis de connectivité constante, de présentation de soi en ligne et de protection de la vie privée liés à la transformation numérique du travail, les professionnels des RH peuvent soutenir les compétences de régulation du numérique.
10 mars 2023

Les défis liés à la transformation numérique sont collectifs. Pour accompagner le développement des compétences individuelles de régulation du numérique, les professionnels des ressources humaines peuvent (1) agir sur la culture organisationnelle pour permettre un réel détachement du travail et négocier une entente sur le droit à la déconnexion avec un « référent déconnexion » dans l’organisation, (2) établir une politique claire d’utilisation des réseaux sociaux internes et externes et former les employés et gestionnaires à ces enjeux, et (3) restreindre l’usage de logiciels intrusifs de surveillance des employés tels les « bossware » et examiner leurs pratiques concernant le travail depuis le domicile.

Bien que les technologies numériques au travail soient bénéfiques à bien des égards, elles comportent également des défis en matière de gestion des ressources humaines et de bien-être des travailleurs. Dès la fin des années 2000, un certain nombre d’écueils dans la transformation numérique des organisations ont été pointés du doigt. Les chercheurs en gestion ont mis en évidence l'érosion des frontières entre vie professionnelle et vie privée, ce qui rend plus difficiles le détachement du travail et le maintien d’un sain équilibre entre ces deux sphères de vie (Kreiner et al., 2009). Les sociologues ont reconnu la connectivité constante (Wajcman & Rose, 2011) et la surveillance (Lyon, 2018; Sewell, 2021; Zuboff, 2015) comme des risques majeurs pour le bien-être des personnes et des droits de la personne. Les chercheurs en systèmes d'information ont mis en garde contre le paradoxe de l'autonomie qui conduit les professionnels et les gestionnaires à l'épuisement malgré une plus grande flexibilité quant au moment et à l'endroit où ils peuvent travailler (Mazmanian et al., 2013). Ils ont également souligné les défis de présentation de soi dans des espaces virtuels tels que les réseaux sociaux, où les règles sont moins claires que dans les environnements hors ligne (Pitcan et al., 2018).

Devant ces nouvelles réalités, il est possible et même recommandé de développer de nouvelles compétences pour réguler de manière proactive l’utilisation des technologies au lieu de subir passivement les défis qu’elles impliquent. Dans un article paru en 2019 dans la revue Annual Review of Sociology, mes co-auteurs et moi avions caractérisé ces compétences comme étant des compétences de régulation du numérique ayant pour objectif d'aligner l’utilisation qu’une personne fait des technologies numériques avec ses besoins et valeurs. Nous avions recensé trois domaines dans lesquels les travailleurs gagnent à développer ces compétences : la connectivité constante, la présentation de soi en ligne et la protection de la vie privée (Ollier-Malaterre et al., 2019). 

Les défis liés à la transformation numérique sont collectifs et il serait illusoire de penser que les individus peuvent les surmonter seuls. Au 21e siècle, les professionnels des ressources humaines ont un rôle à jouer pour guider la transformation des conditions de travail : les compétences de régulation du numérique peuvent d’une part être intégrées dans des programmes de formation RH et d’autre part, être encouragées par des politiques et des pratiques organisationnelles. J’indique ci-dessous quelques pistes d’action à cette fin.

  1. Connectivité constante : des actions peuvent être prises pour favoriser une culture organisationnelle qui permet le détachement du travail sur une base régulière (par exemple, soirées, fins de semaine) et pendant les congés annuels. De plus, une entente peut être négociée sur le droit à la déconnexion (Pellerin et al., 2023), accompagnée de mesures concrètes comme un « référent déconnexion » dans l’organisation.
  2. Présentation de soi en ligne : (a) une politique sur la saine utilisation des réseaux sociaux dans un cadre professionnel et (b) des actions de sensibilisation permettront d’outiller employés et gestionnaires pour qu’ils puissent profiter du fort potentiel des réseaux sociaux externes et internes, notamment dans l’établissement de relations plus proches avec les collègues, sans nuire à leur image professionnelle ou à celle de leur organisation (Ollier-Malaterre et al., 2013).
  3. Protection de la vie privée : il est essentiel que les professionnels des ressources humaines examinent les pratiques qui peuvent envahir la vie privée des employés telles que la surveillance électronique des employés au moyen de logiciels « bossware » qui analysent les courriels, mesurent les frappes sur le clavier, prennent des captures d’écran, et bien d’autres choses (Cousineau et al., 2022) et même des pratiques plus banalisées comme les visioconférences depuis le domicile.

La régulation du numérique a le potentiel de donner aux individus les moyens d'atteindre l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée et de prendre soin de leur santé mentale. Elle favorise l’engagement au travail et protège les droits de la personne et civils fondamentaux des travailleurs. La régulation du numérique est également importante pour les organisations, car elle améliore la productivité et le climat de travail; il s’agit d’une démarche responsable, éthique et durable. C’est donc sans tarder que j’invite les professionnels des ressources humaines à développer un programme favorisant la régulation individuelle et collective du numérique au sein de leurs organisations!

3 domaines pour ces compétences de régulation

  1. Connectivité constante
  2. Présentation de soi en ligne
  3. Protection de la vie privée