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Le continuum de la transformation numérique : un défi RH qui va bien au-delà de la technologie!

La transformation numérique est un mouvement de fond  qui ébranle transversalement diverses constituantes de l’écosystème du travail : la technologie, la stratégie d’affaire, le design organisationnel, les individus et le management de l’innovation. 
10 mars 2023

Toutes les organisations ont aujourd’hui un récit à raconter concernant leur transformation numérique ou digitale. J’utilise les deux expressions parce qu’il semble y avoir un flou sémantique inhérent aux différentes traditions sociolinguistiques d’usage, et qui font que le terme « digital » soit considéré « comme un emprunt sémantique à remplacer par numérique et ce, même s’il est répertorié sans remarque particulière dans certains ouvrages de langue » (OQLF, 2022). 

Ceci étant dit, et quel que soit le dilemme sémantico-linguistique qui gravite autour de ces termes, dans le cadre de numéro de la revue, nous nous cantonnerons à l’utilisation du terme privilégié, et qui plus est, semble englobant; à savoir la transformation numérique. Cette dernière est définie comme étant une démarche visant un changement holistique d'une organisation par l'intégration de technologies numériques à l'ensemble de ses processus de fonctionnement, de ses communications et de ses activités, mais également par la refonte de son modèle culturel, organisationnel et relationnel et ce, afin de l’adapter aux nouvelles réalités du numérique (Mergel et al., 2019). C’est un processus vaste et complexe de plusieurs changements qui s’entrecroisent le long d’un continuum tendant in fine vers une certaine maturité numérique. 

Le continuum de la transformation numérique

Par définition, un continuum est un ensemble d'éléments d'un phénomène, tel qu'on puisse passer continûment d'une situation à une autre. Appliqué à notre contexte, nous dirons que la transformation numérique est un mouvement de fond engagé dans une mutation croissante qui ébranle transversalement divers éléments de l’écosystème du travail existant séparément : la technologie, la stratégie d’affaire, la structure organisationnelle, les individus et le management de l’innovation (Nambisan et al., 2017), etc. En effet, et en même temps que cette transformation rebat les cartes des métiers, des processus et des compétences, elle redessine les contours du management, des relations de travail et celles avec les parties prenantes (Jacob et al., 2022), de même qu’elle dématérialise les lieux de travail, construit de nouveaux cadres de prestation de services, et démultiplie les possibilités d’apprentissage et de création. Cette transformation génère également de nouvelles « porosités » entre l’espace-temps professionnel et privé, met en porte-à-faux la sécurité des données et ébranle la perception des employés dans leur culture d’entreprise en plein chamboulement. Bref, une mutation de l’ensemble du design organisationnel où le changement devient la seule constante qui persiste. Un changement qui exige une vision stratégique certes, mais surtout une approche humaine, une prise de conscience collective et une nouvelle façon de travailler ensemble dont les professionnels RH sont les catalyseurs et les meilleurs garants.

Les RH comme catalyseurs de la transformation numérique

Sachant qu’un catalyseur est un élément clé qui permet d’augmenter, de faciliter ou d’accélérer la vitesse d’un processus ou d’une transformation (OQLF, 2018), le rôle des RH devient dans ce cadre, d’accompagner les organisations dans leur transformation numérique. Leur périmètre d’action touchera particulièrement trois terrains : les compétences, la gestion du changement et la culture d’entreprise.

Concernant le développement des compétences, l’appropriation du virage numérique consiste à donner aux employés le contrôle sur la technologie afin qu’elle soit considérée comme une opportunité plutôt qu’une menace. Combien de processus métiers ou d’activités, seront redessinés par l’usage du numérique! Combien d’autres feront leur apparition! L’essentiel pour les RH, c’est de trouver et préparer les compétences qui soient en harmonie avec les multiples facettes du nouveau contenu du travail et requalifier celles existantes pour les repositionner et leur permettre de capitaliser et tirer parti de leurs connaissances dans ce nouvel environnement. 

En matière de gestion de changement, on aura tort de penser qu’il suffit de mettre de nouvelles solutions ou applications IA à l’œuvre dans les processus pour que l’organisation soit modernisée, opérationnelle et dans un équilibre stable. En fait, c’est tout le contraire. Dans un contexte de changement disruptif par la technologie qui peut d’ailleurs être parfois intrusif et déstabilisant, la vision de l’entreprise se trouve chamboulée, bouleversant avec elle les certitudes des employés et des collaborateurs qui ne peuvent s’empêcher de se poser moult questions simples mais légitimes. Pourquoi ce changement? À quel besoin répond-il ? En quoi améliore-t-il concrètement notre quotidien ? Qu’est-ce qu’on attend de nous ? Le rôle des RH devient très complexe dans ce cadre. Non seulement elles doivent répondre à ces questions, mais également construire une représentation partagée de ce changement, l’expliquer, le justifier et lui donner du sens. Créer du sens, c’est s’écarter de la dimension hiérarchique et instrumentale du changement (Dupriez, 2015) pour se rapprocher davantage des conditions de motivation et d’engagement des personnes; qui constituent tout autant des leviers que des facteurs de blocage du changement. 

Sur le plan de la culture de l’entreprise, le rôle des RH est de positionner chaque employé et valoriser ses particularités dans ce projet majeur de transformation numérique. Véritables artisans du social, elles doivent créer cette perception et même générer cette conviction chez les collaborateurs qu’ils ne sont pas seulement des chaînons dans cette boucle de transition, mais des partenaires et des parties prenantes de cette dynamique collective de changement. Une dynamique qui démocratise la prise de décision (Tremblay et al., 2005) et sème le pouvoir d’agir pour moissonner l’adhésion et l’engagement de chacun. Équilibristes, ils savent quand, comment et rapidement capitaliser sur l’intelligence collective en décomplexant la prise d’initiative et la créativité pour la mettre au service de l’innovation globale et la résolution des problèmes.

Pour finir, je dirai que les organisations qui embarquent dans des projets de transformations numériques ouvrent une boîte de Pandore aux conséquences multiples, positives et parfois inattendues. Le savoir-faire des professionnels RH devient indispensable, car ils sont les mieux placés pour avoir cette vision transversale, et cette réflexion globale, augmentée et argumentée des enjeux d’affaires, des besoins humains, et des potentialités et effets délétères des technologies. 

Bibliographie

  • Dupriez, V. (2015). Les approches fonctionnalistes du changement. Dans : , V. Dupriez, Peut-on réformer l'école: Approches organisationnelle et institutionnelle du changement pédagogique (pp. 23-36). Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur.
  • Jacob,S.; Defacqz, S. et Agossou, N. (2022). Promesses et défis de la transformation numérique du secteur public. Cahiers de recherche sur l’administration publique à l’ère numérique, no 6
  • Alvarenga, A., Matos, F., Godina, R. et Matias, J. (2020). Digital transformation and knowledge management in the public sector. Sustainability, 12(14), 5824.
  • Nambisan, S., Lyytinen, K., Majchrzak, A., & Song, M. (2017). Digital Innovation Management: Reinventing Innovation Management Research in a Digital World. MIS Quarterly, 41(1): 223-238.
  • Tremblay, M., Simard, G. (2005). La mobilisation du personnel : l’art d’établir un climat d’échanges favorable basé sur la réciprocité. Gestion, vol. 30, no 2