Les professionnels en ressources humaines doivent être vigilants afin de préserver « l’humain » dans les organisations. Si les technologies numériques évoluent maintenant à un rythme exponentiel, ce n’est pas le cas des êtres humains qui risquent d’être dépassés par les avancées de l’intelligence artificielle et de l’informatique quantique.
Le débranchement n’est plus possible
Dans le film de science-fiction sorti il y a 55 ans, 2001, l’odyssée de l’espace, l’astronaute Dave arrive à débrancher le super ordinateur meurtrier CARL doté d’intelligence artificielle. Mais aujourd’hui, avec l’infonuagique, les données sont conservées et traitées dans un endroit distinct de leurs utilisateurs finaux et nul ne sait vraiment où est stockée l’information. CARL s’est dématérialisé.
Jusqu’à ce jour, l’être humain était capable d’influencer le monde d’une manière qui lui a permis de survivre, de s’adapter et de communiquer. Qui utilise encore des cartes routières, des annuaires téléphoniques ou des dictionnaires? Depuis une vingtaine d’années, nous avons adopté avec enthousiasme ce qui les a remplacés, notamment Google. Mais, notre capacité d’adaptation risque fort d’être mise à l’épreuve bientôt.
Les technologies numériques nous menacent-elles?
Au moment où nous rédigeons cet article, le monde entier s’émerveille tout en s’inquiétant à propos de ce que peut faire l’AI-PTG (Artificial Intelligence Pre-Training Generative) et son application ChatGPT. Et ce nouvel outil n’en est qu’à ses balbutiements.
Est-ce que nous risquons de perdre un combat crucial? Celui de notre « humanité »? Certains futuristes le pensent. L’un d’eux, le Suisse Gerd Leonhard, auteur de Technology vs Humanity, entrevoit un choc entre l’homme et la machine dans un avenir pas si lointain. Malgré tous ses avantages, croit-il, la technologie a le réel potentiel de devenir une menace pour notre humanité.
Plus l’intelligence artificielle deviendra puissante, plus l’humain voudra lui déléguer ses décisions, comme nous l’avons fait naturellement avec Google Maps qui prépare maintenant nos itinéraires. Nous pouvons arriver à un point de non-retour où les humains ne pourront plus se passer de cette intelligence artificielle. Le vrai problème est que nous changeons les choses sans savoir si nous pouvons absorber ces changements.
Les professionnels RH doivent être sentinelles de l’humain
Les professionnels RH peuvent être des moteurs facilitant l’intégration de nouvelles applications numériques dans les organisations, mais ils devraient aussi être des sentinelles pour s’assurer qu’elles n'entraînent pas des conséquences néfastes sur les humains.
L’auteur de science-fiction William Gibson a déjà affirmé que les technologies sont moralement neutres jusqu’au moment où on les met en application[1]. Les caméras de surveillance ont depuis longtemps démontré leur utilité pour des applications de surveillance et de sécurité, mais à partir du jour où elles sont utilisées pour scruter la vie privée des employés, qui dans les organisations pourra sauvegarder les frontières morales et éthiques de telles applications?
Il existe un scénario familier quand de nouvelles applications numériques sont introduites. Pensons seulement à Internet. Elles se répandent rapidement, en viennent à imprégner nos vies, et c’est seulement à ce moment, que la société commence à réaliser les problèmes qu’elles causent.
Pensons, par exemple, au développement d’un outil de formation en réalité virtuelle qui plonge l’utilisateur dans des situations d’urgence dramatiques ou difficiles. De fait, les simulations en réalité virtuelle deviennent tellement réalistes, que les possibilités de vrais traumatismes chez l’utilisateur sont réelles et doivent être anticipées.
Bien au-delà des robots et de l’automatisation qui viennent compenser avec des gains majeurs de productivité, les pénuries de main-d’œuvre, il faut se préoccuper de l’occupation du territoire mental des individus – qui n’est pas une utopie pour une firme comme Google – afin de préserver notre humanité dans nos organisations et nos sociétés.
Conclusion : des questions à se poser
Les technologies n’ont pas d’éthique, mais les professionnels de ressources humaines doivent en avoir.
Pour nous aider à tracer les lignes que les organisations devraient suivre, Gerd Leonhard a dressé une liste de questions afin de savoir si une technologie est bonne pour l’humanité, dont les suivantes [2]:
- Est-ce que cette idée ou cette technologie a le potentiel de violer les droits fondamentaux de quiconque?
- Est-ce que cette idée place l’efficience au-dessus de l’humanité?
- Est-ce que cette idée cherche à remplacer des relations humaines essentielles par des relations avec une machine?
Le bien-être humain devrait toujours être l'objectif des professionnels RH. Si les technologies peuvent améliorer les conditions de travail, elles peuvent ne pas créer forcément du bonheur et du sens.
Et pour paraphraser l’anthropologue Claude Lévi-Strauss[3], ce qui compte n’est pas de fournir les bonnes réponses, mais de poser les vraies questions. Pour les professionnels RH, la question n’est donc pas « Est-ce que nous pouvons? », mais « Est-ce que nous devrions? »
Bibliographie
- Azhar, Azeem (2021) The Exponential Age. How the Next Digital Revolution Will Rewire Life on Earth. London : Diversion Books
- Clarke, Arthur C. (1968). 2001 : A Space Odyssey. New York: New American Library
- Leonhard, Gerd (2016). Technology vs Humanity. The coming clash between man and machine. Zurich : The Futures Agency