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La guerre des talents : un reliquat d’une gestion du changement déficiente

Le fait que nous continuions de parler de guerre des talents confirme que c’est non seulement un choc, mais aussi une rupture. Deux positionnements possibles pour les organisations dans ce contexte : le voir comme un enjeu ou comme une occasion.
20 décembre 2022

Comme plusieurs d’entre nous, j’ai commencé ma carrière dans un poste d'acquisition de talents, dans le secteur des technologies de l’information de surcroît, au tournant du millénaire. Déjà à cette époque, il y avait une dissonance entre le nombre de candidatures reçues et nos besoins sur le plan des profils de compétences recherchés. Je crois que c’est à ce moment que la transition s’est effectuée d’un marché du travail favorable aux entreprises vers un marché du travail à l’avantage des candidats. Et c’est là qu’on a commencé à parler de la « guerre des talents ». Soudainement, les entreprises se faisaient moins courtiser par les travailleurs et se retrouvaient dans une position pour le moins désavantageuse : elles devaient leur faire la cour! Nul besoin de préciser que ce fut un choc brutal pour plusieurs. Conséquemment, je crois que le fait que nous continuions à parler de guerre des talents confirme que c’est non seulement un choc, mais aussi une rupture.

Dans les faits, selon moi, il y a deux positionnements que les organisations peuvent adopter dans le contexte actuel : le voir comme un enjeu ou comme une occasion. Mais quelle que soit la vision, cette dernière influencera considérablement les actions qui seront déployées, et par la suite, celles des ressources humaines qui sont les mieux placées pour les appliquer. 

Permettez-moi de m’expliquer.

Les organisations qui voient la pénurie de travailleurs (qualifiés ou non) comme un enjeu investiront des ressources considérables pour se démarquer de leurs compétiteurs. Cet investissement se traduira par une nouvelle proposition de valeur aux employés (PVE) qui prendra forme notamment dans des campagnes de marketing avant-gardistes ou dans des stratégies salariales agressives.

Ainsi, selon une enquête de Solertia[1], l’attraction serait l’enjeu principal pour les organisations en lien avec leur main-d’œuvre, de loin supérieur à la fidélisation et la mobilisation. C’est malheureusement à croire que la gestion du changement n’a pas été faite pour certaines de ces entreprises. La même étude relève malheureusement que 55 % des travailleurs de ces mêmes organisations songent à quitter leur poste. Cela dit, je pense que les organisations gagneront à miser à la fois sur leur environnement externe et interne afin d’anticiper et réagir au plus vite aux changements pour ne pas perdre cette guerre.

À l’inverse, les organisations, qui voient le contexte social et démographique actuel comme une occasion, déploieront des stratégies fort différentes. Une réflexion sera tout d’abord faite sur la définition même du « talent ». Est-ce un travailleur chevronné, avec de nombreuses certifications, une feuille de route impressionnante ainsi qu’un bagage académique prestigieux? Ou est-ce un être humain de grande qualité, avec un désir de s’investir, une capacité à se développer, et une soif d’apprendre? Par ailleurs, combien d’organisations se questionnent adéquatement sur la valorisation et le développement de leur patrimoine humain? Il est inévitablement moins risqué de développer des travailleurs déjà à l’emploi, qui ont fait leurs preuves, et qui désirent s’investir dans l’entreprise que d’intégrer une personne externe, qui devra non seulement apprendre le rôle, mais également s’acclimater à la culture organisationnelle.

En résumé, je crois sincèrement que la guerre des talents devrait être un concept révolu. Il est acquis que l’environnement social actuel demeurera minimalement pour les vingt prochaines années. Les organisations qui ne font pas un effort conscient et matériel à développer en continu les compétences de leurs gens, qui négligent de faire de la requalification un différentiateur stratégique seront vouées à vivre déception par-dessus déception : créer des attentes auxquelles elles ne pourront pas répondre, et se sentir à la merci d’une course frénétique aux salaires de plus en plus élevés… alors que la solution est souvent déjà à leur enseigne.