La « guerre des talents » est souvent invoquée pour exprimer le contexte actuel plus complexe dans lequel le professionnel RH doit repenser ses pratiques. Si les réalités sont loin d’être homogènes, le monde du travail est néanmoins affecté par de profondes perturbations telles que l’introduction de technologies numériques, les effets de la récente pandémie (Santana et Valle-Cabrera, 2021; Amankwah-Amoah, 2021) ou encore la transformation des identités et du sens du travail (Murray et coll. 2020).
Bien que ces lignes de fractures occasionnent plus d'incertitudes chez les acteurs du travail (Ferreras et coll. 2020), elles représentent néanmoins des possibilités d’expérimenter de nouvelles façons de faire dans la sphère de la gestion des ressources humaines.
Nous proposons au professionnel RH d’aborder son rôle et ses pratiques sous l’angle de l’expérimentation afin de développer les capacités nécessaires pour faire face à la « guerre des talents ». Ces capacités se fondent sur une vision plus collective de son rôle, de ses réseaux et de ses alliances (Murray et coll. 2020). À la lumière de recherches récentes[1] et de réflexions des deux auteures, trois modes d’expérimentation sont proposés comme sources d’idées innovantes porteuses d’expérimentation pour les RH : la collaboration avec les employés et gestionnaires, la collaboration transversale à même l’organisation et la collaboration de nature écosystémique avec la communauté.
Trois sources d’expérimentations
La première source d’expérimentation s’appuie sur les principes du « design utilisateur » (Liedtka, 2018) et se situe au niveau des employés ainsi que des gestionnaires. Cette dernière implique un changement quant aux logiques traditionnelles de détermination, de résolution des enjeux et d’implantation des solutions dans le domaine des RH. L’idée maîtresse est de prendre la perspective des « utilisateurs » des solutions RH. Dans la réalité du professionnel RH, il s’agit le plus souvent des employés et gestionnaires. Ceci implique donc de partir de l’expérience de ces acteurs afin de déterminer et d’améliorer ce qui est important pour eux. Dans l’ensemble, ces principes permettent de façonner des expériences de travail qui ont du sens pour les travailleurs, qui contribuent à l’attraction et à la fidélisation des employés. Un exemple concret tiré de l’expérience de Geneviève comme directrice de l’analytique employé a été de suivre en continu durant la période pandémique les besoins des employés et d’offrir des mesures d’accommodements répondant à leurs plus grands besoins, notamment des congés supplémentaires et des ateliers sur la gestion du stress et sur le sommeil.
La seconde source d’expérimentation repose sur le développement de collaborations à l’interne et l’extension des réseaux hors de la fonction RH. En d’autres termes, le professionnel RH doit d’avoir une vision plus holiste des activités de l’organisation qui ont un effet sur la vie des gestionnaires et des employés. En s’appuyant sur l’exemple précédent, en contexte d’accélération du télétravail et d’expérimentations autour du mode hybride de travail, Geneviève a découvert l’importance de développer des liens avec les équipes responsables de l’expérience client. Cela a permis de bénéficier de leurs apprentissages liés à l’expérience des clients en mode hybride (c’est-à-dire en succursale, par téléphone, en mode virtuel) et de transférer certains de ces apprentissages à l’expérience des employés.
La troisième source réside dans une extension des réseaux du professionnel au-delà de son organisation. Il s’agit principalement de développer des liens avec la communauté à travers des collaborations avec les comités sectoriels de main-d’œuvre, les associations professionnelles, les écoles ou les universités par exemple. Ces dernières sont souvent à la recherche d’organisations afin de mener des projets de recherche et plusieurs membres de la communauté universitaire cherchent des occasions d’échanger des idées avec les milieux de la pratique. Encore, il peut s’agir de contribuer à des groupes de partages de pratiques entre professionnels du domaine. Pour Geneviève, cela s’est traduit par le développement de collaborations avec plusieurs acteurs du monde universitaire pour favoriser l’adéquation des programmes avec les besoins du monde du travail et attirer de jeunes talents ainsi que par le développement d’une communauté de pratiques en analytique RH basé sur un partage d’expériences, d’idées et de réflexion. Encore, le présent article incarne cet esprit de collaboration.
Conclusion : l’importance du collectif
La « guerre des talents » ainsi que, plus largement, les transformations qui touchent la sphère du travail sont propices à l’expérimentation de nouvelles façons de faire. Les trois sources d’expérimentation présentées dans cet article mènent à un constat : l’importance pour le professionnel RH de bâtir de nouvelles alliances et de nouveaux réseaux. Pour faire face aux enjeux qui découlent de la « guerre des talents », les solutions résident non plus dans une vision traditionnelle du rôle et du quotidien du professionnel RH, mais plutôt dans une vision renouvelée basée sur la force du collectif.