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Accélérer le développement des compétences : Un angle mort?

Les organisations auraient avantage à investir davantage dans le développement accéléré des compétences des employés à l’interne. Cette stratégie impose la mise en place de cinq chantiers.
20 décembre 2022

Pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre, notre attention se porte principalement sur l’acquisition du talent issu du marché externe du travail. Toutefois, cette stratégie rencontre des problèmes importants (ex. embauche accrue de personnel sous-qualifié) et place l’entreprise en compétition directe avec d’autres employeurs pour des ressources rares, une guerre des talents que peu d’organisations peuvent vraiment gagner.

Dans cet article, je suggère que cette vision en tunnel peut conduire à un important angle mort. Peut-être devrions-nous porter plus d’attention à une stratégie complémentaire pour combler les besoins en personnel. Il s’agit de miser davantage sur le développement accéléré des compétences des employés à l’interne. Cette approche a les avantages d’éviter le plus possible le mode compétition, de faciliter l’attraction et la fidélisation du personnel en place et de miser sur la collaboration entre les entreprises d’un même secteur faisant face au même défi de main-d’œuvre.

Toutefois, cette stratégie de type Build (développer) plutôt que Buy (recruter) exige la mise en place de cinq chantiers.

  1. Prioriser l’accélération des compétences

    Les études montrent que, dans un monde de post-pandémie, nous devrions entreprendre un vaste chantier pour mettre à niveau les compétences du personnel. Selon Gartner (2021), plus de 40 % des employés ont besoin de nouvelles compétences. McKinsey (2020, 2021) a déterminé dans un sondage global que 85 % des entreprises font ou feront face à une pénurie de compétences et que déjà 58 % d’entre elles avaient inscrit un tel chantier dans leurs priorités.

    À cela s’ajoute notre besoin d’investir dans le développement des compétences du personnel pour accroître notre productivité, une stratégie qui ajoute 6 à 12 % selon McKinsey (2020), tout en permettant de mieux contrôler les coûts de main-d’œuvre et d’être une importante source d’engagement.

  2. Former les compétences de demain

    Peu d’adultes ont été formés sur les compétences clés de demain, par exemple les compétences digitales (littératie numérique, codification, sécurité des données). Mais ce sont les compétences interpersonnelles, cognitives et de leadership qui vont devenir vraiment incontournables (voir Dondi et al., 2021). Prenons par exemple la pensée critique. Face à la désinformation et aux théories du complot qui se multiplient, être apte à déterminer si une source est fiable ou distinguer entre les faits et les opinions devient une exigence de base dans plusieurs emplois … et dans la vie.

    Également, une main-d’œuvre plus instruite permet plus de responsabilisation et d’autonomie au niveau des équipes. Il faut donc envisager que, demain, tous les membres d’une équipe devront posséder des compétences interpersonnelles (conflits, négociation, empathie, intelligence émotionnelle) et de gestion de soi (connaissance de soi, émotions, entreprendre, se développer) qui, hier, étaient l’apanage des gestionnaires.

  3. Requalifier les travailleurs

    Notre expérience collective dans le cadre de la formation de milliers de préposés aux bénéficiaires nous a appris qu’il est possible de former, qualifier et insérer à court terme sur le marché du travail des milliers de travailleurs aptes à répondre aux besoins urgents. Cet effort exceptionnel peut être multiplié comme le démontre le Virginia Ready Initiative.

    Glen Youngkin, ex co-PDG de Carlyle Investment Management et aujourd’hui Gouverneur de la Virginie, a créé en peu de temps, dans le contexte de la pandémie et à partir de ressources existantes, une initiative similaire, mais à un niveau plus élevé (McKinsey, 2020). Il a ciblé 19 emplois en manque de personnel, a su mobiliser 35 entreprises ayant ce type d’emplois ainsi que 23 collèges (équivalent CÉGEP) qui offraient des formations diplômantes ou continues en lien avec ces emplois. En seulement quelques semaines, 10,000 personnes avaient montré de l’intérêt et des programmes de formation de 10 à 12 semaines avaient été montés.

    Cette initiative montre que l’on n’a souvent rien à créer, seulement à mettre ensemble des ressources existantes peu habituées à collaborer entre elles. Mais pour cela, le système d’éducation devra donc devenir plus agile et, entre autres, proposer des programmes de formation courts et ciblés laissant une place importante aux stages en entreprises (voir Christensen, 2021).

  4. Rehausser les compétences dans l’entreprise

    Selon McKinsey (Fenton et al., 2021), jusqu’à 50% de tous les employés devront bénéficier d‘un rehaussement de leurs compétences. Cela va exiger un important investissement, mais aussi une remise à niveau de plusieurs de nos pratiques : moins de formations ad hoc sans lendemain, plus de parcours de développement continu en lien avec des cheminements de carrière mieux définis, plus de diversité des formats d’apprentissage misant davantage sur l’expérience (rotation, stages, projets) et l’apprentissage par les pairs, plus d’individualisation dans le choix des moyens de développement et la présence de plateformes pour un accès plus facile aux moyens d’apprentissage et un meilleur suivi pour accompagner les nombreux employés qui devront se redéployer à l’interne vers un nouveau poste ou un rôle plus en phase avec leurs compétences.

  5. Bâtir une culture d’apprentissage continu 

    Selon McKinsey (Fenton et al., 2021), jusqu’à 50% de tous les employés devront bénéficier d‘un rehaussement de leurs compétences. Cela va exiger un important investissement, mais aussi une remise à niveau de plusieurs de nos pratiques : moins de formations ad hoc sans lendemain, plus de parcours de développement continu en lien avec des cheminements de carrière mieux définis, plus de diversité des formats d’apprentissage misant davantage sur l’expérience (rotation, stages, projets) et l’apprentissage par les pairs, plus d’individualisation dans le choix des moyens de développement et la présence de plateformes pour un accès plus facile aux moyens d’apprentissage et un meilleur suivi pour accompagner les nombreux employés qui devront se redéployer à l’interne vers un nouveau poste ou un rôle plus en phase avec leurs compétences.

Aujourd’hui, nous sommes tous sensibilisés au fait que la formation doit être continue et s’échelonner tout au long de la vie professionnelle. Aussi, elle ne doit pas être simplement motivée par la crainte de perdre son emploi, mais être davantage animée par une curiosité naturelle. Or, il semble que seulement 15% du personnel soit animé d’une telle passion pour son développement (Haguel, 2021).

Il devient donc impératif de s’assurer que la culture de l’organisation valorise l’apprentissage continu (Fuller, 2019). Cela passe par un contexte de sécurité psychologique qui valorise et soutient les investissements personnels en développement et la prise de risque en disant oui à des expériences significatives qui accélèrent le déploiement de son talent.

Un tel contexte exige que certaines conditions soient présentes. Les dirigeants s’engagent à privilégier la progression du talent à l’interne (promotions internes) et à soutenir personnellement le développement des gens de talent (mentorat, coaching). Aussi, il y a un accès facile aux ressources de développement, dont le soutien financier et l’accès à des communautés d’apprentissage.