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Une toute nouvelle vision du travail!

La crise sanitaire a largement modifié les usages et les comportements dans les milieux de travail, tant pour les employés que pour les gestionnaires. Nous nous sommes entretenus avec Dr Mathias Rossi, coresponsable de l’Institut Innovation sociale et publique et professeur à la Haute école de gestion Fribourg, en Suisse, où il enseigne l’organisation et les ressources humaines.
29 juin 2022

De quelle manière la crise sanitaire a-t-elle chamboulé les pratiques managériales dans les entreprises, notamment auprès de la gestion RH?

D’abord, on redécouvre le besoin de communiquer clairement et avec empathie tout ce qu’on pourrait avoir perdu avec la normalisation du télétravail et des modes hybrides. On peut ajouter à cela le besoin de discuter de façon informelle et non verbale. Je crois que les ressources humaines ont un véritable rôle à jouer pour faciliter ce retour à la communication par des outils numériques, notamment.

Un deuxième élément est la nécessité de numériser nos processus et nos activités. Il y a un petit travail critique à faire de ce côté-là, dans le milieu des ressources humaines, à savoir que l’effort de s’adapter n’a pas toujours été fait. Certaines entreprises s’en sont très bien sorties, mais chez d’autres, c’était plus du bricolage, une dépense d’énergie inutile qui a généré beaucoup d’insatisfaction.  

Le troisième élément est la santé au travail. Le mode de travail hybride, qui permet beaucoup de liberté, rend la frontière entre le travail et la vie personnelle beaucoup plus floue. Je crois qu’on sous-estime les risques de surcharge, de stress, de sentiment de solitude et d’incertitude. Là aussi, les ressources humaines ont un rôle à jouer en prêtant davantage attention à cela, et c’est d’autant plus complexe que les personnes sont dispersées.

Pour démontrer leur valeur ajoutée et mieux accompagner les employés, les ressources humaines auront donc un rôle plus stratégique dans l’entreprise?

Tout à fait. Il faut désormais mettre en place une gestion différenciée, individualisée, dans les entreprises. Cela va de pair avec le développement d’une intelligence collective, possible quand chacun fait ce qu’il aime, ce qui le motive. En fait, les gestionnaires des ressources humaines doivent repenser l’ordre de priorité des questions qui concernent les employés. Le bien-être, la santé, la motivation, la flexibilité devraient être plus centraux.

Quelles sont les questions auxquelles les gestionnaires doivent désormais impérativement réfléchir, pour s’adapter à tous ces changements?

Il faut prendre conscience qu’on a changé d’époque, que les attentes ne sont plus les mêmes en termes de flexibilité, d’individualisation et de recherche de sens. En théorie, beaucoup de gestionnaires ont conscience de cela, mais on n’a plus de mal dans la pratique. Dans les entreprises plus « libérées » auxquelles je m’intéresse, on essaie d’aplanir davantage la hiérarchie, de faire davantage participer les collaborateurs, de prôner la transparence et l’équité. Une piste à explorer, pour s’assurer de la bonne intégration des personnes dans l’entreprise, pourrait être de faire participer davantage les collègues aux processus de recrutement.

On remarque aussi — ce n’est pas uniquement lié à la pandémie — la nécessité de démontrer la valeur ajoutée des ressources humaines dans une entreprise. La mise en place d'indicateurs de mesure démontrant la contribution de la fonction RH à la performance financière de l'entreprise n'est certes pas encore une démarche systématique. Toutefois, cela demeure un enjeu important sur lequel il faudra travailler dans les années à venir, sachant que l’on est désormais dans un environnement de plus en plus compétitif.

Justement, l’environnement compétitif d'aujourd'hui peut-être éprouvant pour la santé mentale. Quel pouvoir d'agir de la Fonction RH?

On détecte souvent trop tard les phénomènes de burn-out. Il ne faut pas attendre que les gens viennent vers nous. C’est important de faire de la prévention, de bien réfléchir aux conditions de travail en posant un cadre pour le travail à distance, par exemple. Les gestionnaires des ressources humaines peuvent mettre en place des barrières, des garde-fous. Cela passe, par exemple, par des rendez-vous en présentiel avec les employés, où le sujet central ne sera pas nécessairement les objectifs et la performance de l’entreprise, mais le bien-être.