Entrevue avec Julie Bouchard, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ)
« Depuis deux ans, on n’a jamais vu autant de départs à la retraite précipités, de démissions pour aller dans une agence de placement, de salariées quitter complètement la profession », note Julie Bouchard. Il faut dire que les professionnels en soin, sur la ligne de front, ont écopé pendant la pandémie. C’est d’ailleurs l’une des pires crises des conditions de travail vécues par ces travailleuses, selon la présidente.
Julie Bouchard donne en exemple les conditions de travail suspendues pendant la crise, comme les vacances reportées. Une mesure censée être appliquée uniquement dans les milieux de soin très affectés par la COVID-19, explique-t-elle. « Toutefois, certains gestionnaires ont décidé d’utiliser cela parce qu’ils avaient de la difficulté à attirer et à retenir le personnel. » La pandémie est aussi venue amplifier certains phénomènes, comme le recours au temps supplémentaire obligatoire. Bref, les membres du personnel sont à bout de souffle et plusieurs désertent le réseau.
En mode solutions
Julie Bouchard estime qu’une « gestion de proximité » pourrait améliorer la situation. « En tant qu’infirmière auxiliaire, j’ai vécu une époque où il y avait un gestionnaire pour chaque unité de soin. Ils étaient donc extrêmement proches du personnel. » Ainsi, quand il y avait un problème dans l’équipe, des absences s’accumulant par exemple, le gestionnaire rencontrait directement la personne. « Il essayait de comprendre ce qui se passait, de voir si tout allait bien à la maison et offrait son soutien. Selon moi, c’est la meilleure approche. »
Or, avec l’implantation de superstructures, les gestionnaires se sont éloignés du terrain, observe Julie Bouchard. Suite aux dernières réformes, le nombre de gestionnaires a été réduit, ce qui fait en sorte qu’ils ont des territoires incroyables à couvrir. Et ils ne sont pas capables d’être présents partout. » De plus, plusieurs problèmes sont judiciarisés, alors qu’une simple rencontre aurait souvent suffi à régler la situation.
Selon la présidente, il faut donc rapprocher les gestionnaires des équipes sur le terrain. « C’est avec le gestionnaire que le lien de confiance se crée, car ce sont eux qui veillent à ce que tout fonctionne bien. En déshumanisant cela, on réduit l’adhésion aux décisions et les gestionnaires perdent leur crédibilité. » La présidente aimerait aussi qu’ils osent dénoncer les décisions et leurs conséquences sur le personnel, si nécessaire. Ce qui peut être difficile, convient-elle.
Recréer un sentiment d’appartenance
Il faut aussi renforcer les liens entre les salariés, alors que le syndicat mise sur la stabilité des équipes de soin et des horaires, explique-t-elle. « C’est une façon d’améliorer le sentiment d’appartenance et, à plus long terme, cela facilite aussi la conciliation travail-famille. Comme tu connais tes collègues, il y a plus d’empathie les uns envers les autres quand il se passe quelque chose. » Selon la présidente de la FIQ, toutefois, les décideurs sont encore frileux à cet égard.
Même chose pour la diversité dans les horaires de travail, une façon d’offrir des conditions de travail plus flexibles aux travailleurs. « Il y a toutes sortes de formules qui existent pour les horaires, par exemple travailler huit, dix ou douze heures par jour ou encore en offrant la possibilité de faire une semaine de quatre jours. Mais actuellement, cela ne passe pas. » En effet, les décideurs veulent pouvoir déplacer la main-d’œuvre pour répondre à leurs besoins, dit-elle.
Bref, il existe des solutions pour améliorer les conditions de travail du personnel, mais pour aller de l’avant, il faut instaurer un réel dialogue. « Chaque fois qu’il y a eu de petites victoires, c’est quand les parties syndicale et patronale ont fait preuve d’ouverture que les échanges se sont déroulés dans le respect, relate Julie Bouchard. Il faut aussi avoir le même objectif, c’est-à-dire de rendre la vie plus facile aux professionnels en soin, mais aussi d’améliorer les soins donnés aux patients. »
Le succès réside donc dans la discussion et l’ouverture. « On ne peut plus continuer ce genre de relations de travail qui fait en sorte qu’on amplifie l’absentéisme et la pénurie de main-d’œuvre, résume-t-elle. Alors que, s’il y avait une volonté politique et administrative, c’est sûr et certain que nous pourrions nous entendre ensemble. »