Le TRANS-FAIRE © est un néologisme que nous avons inventé pour exprimer le transfert de savoir-faire entre les pairs. L'expression associe le préfixe « trans », qui exprime l'idée de changement et de traversée (Larousse) et « faire ». Il a été conçu dans le contexte d’une recherche-action menée en partenariat avec le Réseau des délégués sociaux et déléguées sociales de la FTQ et le Conseil régional du Montréal métropolitain-FTQ à l’été 2020.
Au début des années 1980, la FTQ s’est dotée d’un réseau de sentinelles dans le but d’accompagner les syndiqués devant faire face à des états de détresse psychologique au travail (Dufour-Poirier et Le Capitaine, 2018). Les DS (délégués sociaux/déléguées sociales) sont des pairs-aidants (Bonnami, 2019), utilisant et partageant leur savoir expérientiel et leur vécu de manière volontaire, quel que soit leur métier, leur âge, leur genre ou leur expérience. L’approche préconisée mise sur une entraide en milieu de travail, indépendante des programmes patronaux d’aide aux employés (PAE) mis en place par les employeurs : l’aide est prodiguée par des non professionnels et elle est accessible en tout temps, depuis les milieux de travail. Par ailleurs, le spectre d’intervention des DS se révèle assez vaste, sans pour autant procéder à une prise en charge complètement généralisée et solidaire, en amont des problèmes de santé mentale dans les milieux de travail (Dufour-Poirier, 2020). Les DS recommandent ainsi leurs collègues à des ressources professionnelles (médecins, psychologues, avocats, etc.), les conseillent et les accompagnent dans leurs épreuves personnelles et dans l’épreuve professionnelle, en toute confidentialité, et parfois en collaboration avec le PAE de l’employeur.
Nous menons des recherches auprès du Réseau des délégués sociaux et déléguées sociales de la FTQ depuis dix ans. L’invention du concept de TRANS-FAIRE © remonte cependant à l’été 2020. Notre intention visait à cerner les transformations qui découlaient d’un mémento historique, à savoir le Grand confinement du mois de mars 2020, vécu par tous les DS. La prémisse alimentant ces réflexions voulait qu’une expérience aussi inédite qu’unique dans l’histoire de l’humanité ait ébranlé à la fois le vécu professionnel (situation au travail), le vécu personnel (rapport à nos proches) et le vécu social (rapport à la société, aux règles, etc.) des DS dans l’exercice de leurs fonctions au quotidien. Nous disposions d’un laboratoire d’expérimentation humaine unique en son genre, porteur d’une multitude d’enseignements à un niveau intraorganisationnel pour l’ensemble des acteurs d’une communauté de travail, les gestionnaires au premier chef. Nous souhaitions mettre en lumière la richesse de ceux-ci et les rendre accessibles au Réseau des DS.
Côté méthodologie, quatorze DS, au profil, aux parcours et aux expériences diversifiés, se sont prêtés à l’exercice d’introspection proposé. Les changements liés au contexte pandémique avaient effectivement entraîné d’importantes remises en question dans leur manière de concevoir leur rôle auprès de leurs collègues, en plus d’avoir bouleversé leurs croyances et leurs représentations de la pair-aidance syndicale et motivé des apprentissages de toutes sortes. Pour continuer à fonctionner en tant que DS, d’une part, mais aussi pour conserver ou retrouver leur équilibre en tant que personne au travail, d’autre part (d’Ortun et Dufour-Poirier, 2021).
L’autoformation renvoie à un mode de formation où l’apprenant prend l’initiative et choisit, de manière autonome, les buts et les méthodes d’apprentissage et acquiert des connaissances en utilisant ses propres ressources et celles de son milieu (d’Ortun, 2012).
En voici quelques exemples :
Exemples d’autoapprentissages des DS de la FTQ
« J’ai appris… » Zoom, FaceTime, Teams, comment rester zen, comment aider à distance même si je suis une fille (un gars) de terrain, prendre soin de moi là-dedans, revoir mes priorités, compartimenter mon temps en télétravail, comment repérer tout plein de sites sérieux qui parlent de la santé mentale, demander de l’aide aux collègues et consulter des experts, j’ai appris à valider des informations, j’ai créé un blogue, j’ai créé des liens avec les autres délégués (délégué syndical, délégué SST), et en vrac : mesures sanitaires, dépendances diverses, toxicomanie, rechute, souffrance au travail, dépression, isolement et solitude, usure de compassion, droit à la déconnexion, effet du confinement, télétravailler avec les enfants à la maison, fatigue chronique, charge mentale, accompagner un endeuillé, aide à mourir, surendettement, peur du retour au travail, précarité alimentaire, aide financière, confiance en soi, reconnaissance, communication non violente, comment être patient, comment lâcher prise sur ce que je ne contrôle pas, etc.
Au vu de la richesse de ces témoignages, nous avons élaboré un protocole de partage entre pairs, éprouvé et validé sur le terrain : celui-ci permet à des DS ayant choisi volontairement d’exposer leurs expériences, de documenter et de présenter ce qu’ils ont appris par eux-mêmes (objets) à leurs collègues, le contexte qui les ont motivés à apprendre cela (motifs), comment ils s’y sont pris pour apprendre cela (stratégies), les obstacles rencontrés, les solutions mises de l’avant, et « Si c’était à refaire, je… » (Dufour-Poirier et d’Ortun, accepté).
Pourquoi développer un tel protocole?
Parce que TRANS-FAIRE © favorise le partage d’expertises, génère une reconnaissance accrue des apprentissages réalisés par soi-même et par les autres pairs-aidants; il valorise la prise de pouvoir par les DS sur leur formation (autodiagnostic des besoins, autonomie); il stimule des liens de confiance entre ces pairs-aidants; les partages portent sur des problèmes réellement vécus, et résolus par les DS sur le terrain; ce qui de facto procure des indices de thèmes potentiels de formation (par le Réseau). Au-delà du renforcement souhaité des capacités d’intervention des DS et du changement de paradigme que de telles initiatives suggèrent dans l’appareil structurel de formation du Réseau des DS de la FTQ, trois grands principes guident les activités de TRANS-FAIRE © : 1) Reconnaître et valoriser l’expertise, les compétences relationnelles et l’intelligence sensible des DS; 2) Cibler les savoirs expérientiels et d’action des DS comme leviers à une chaîne de transmission des savoirs entre pairs; 3) Renforcer la vitalité délibérative et participative dans une communauté de travail et y cimenter l’esprit de corps, de façon directe ou moins conscientisée.
En somme, la valorisation et le partage de ce savoir transversal sur la vie, l’expérience, l’expertise et le vécu au travail et des enjeux les caractérisant constituent les fondements des modalités d’intervention des DS auprès de leurs pairs. Ceux-ci s’inspirent également du principe donner au suivant. En effet, l’esprit socioconstructiviste et la visée de socialisation au travail (Francq et Maroy, 1996) animant les initiatives conçues en mode TRANS-FAIRE © vise la création d’une grande chaîne d’entraide et de transferts des compétences et de connaissances empiriques indispensables à l’activité humaine, dans tout milieu de travail, que celui-ci soit syndiqué ou non. Celui-ci permettra de cultiver le savoir-manifester la proximité, adéquatement et au moment opportun (Bonnami, 2019 : 145). Les savoirs expérientiels et d’action accumulés par les DS constituent des sources inestimables d’apprentissages, d’innovations et de délibérations entre des acteurs du travail se reconnaissant entre eux sur cette visée principale : faire de leur milieu de travail, et de la société plus largement, des mondes meilleurs. Un idéal, possiblement parsemé d’utopies, dont nous contribuons à cultiver le rêve par nos travaux de recherche.
3 grands principes guident les activités de Trans-Faire ©
- Reconnaître et valoriser l’expertise;
- Cibler les savoirs expérientiels et d’action;
- Renforcer la vitalité participative dans une communauté de travail.